Récompensé du Lion d’or à la dernière Mostra de Venise et d’ores et déjà auréolé de 13 nominations aux Oscars, la Forme de l’eau la nouvelle pépite de Guillermo Del Toro sort cette semaine sur les écrans français. Deux heures de grâce et de poésie visuelle avec cet hymne à l’amour pétri de spiritualité parvenant ainsi à rappeler un certain nombre de fondamentaux qui construisent les relations humaines au travers d’une histoire étonnante et bouleversante.
Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…
Au-delà de ce pitch minimaliste, il faut le dire tout simplement, La forme de l’eau est d’abord une histoire d’amour pas comme les autres, totalement improbable… mais ne s’agit-il pas là justement des plus belles qui soient et qui nous font rêver, qui nous donnent de toujours espérer, qui nous permettent de vivre. Imaginez, une jeune femme muette, jolie sans être particulièrement belle et quelque peu lunaire qui découvre l’amour dans la rencontre et l’attachement à une créature à écailles mi-homme mi-poisson, effrayante et sublime, féroce et plein de tendresse, fragile et puissant à la fois. Guillermo Del Toro nous embarque une fois de plus avec brio et virtuosité dans un récit au goût de parabole. Amour disais-je mais aussi tolérance et rejet qui se confrontent sur de multiples registres et dans de nombreuses situation… conduisant à une interrogation des valeurs, des différences… distillant une certaine critique sociale et politique… en passant par une réflexion sur la solitude ou le langage… et constamment fait d’ouvertures spirituelles symboliques ô combien.
Technique irréprochable aussi de Del Toro avec une réalisation, un montage et une photo remarquable avec, notons-le, de nombreux clin d’œil à plusieurs réalisateurs comme Tim Burton ou Terry Gillian ou plus largement aussi aux heures de gloire du cinéma hollywoodien des années 50 et de la comédie musicale. Et justement la musique, cet ingrédient si important dans un film, Guillermo l’a confiée à un maître qui a su la construire, la dompter, la placer… Alexandre Desplats en super forme et plein d’inspiration a su proposer un travail musical recherché et parfaitement ancré dans l’imagerie du film. Il y beaucoup de charme dans les notes, les mélodies, les harmonies… Et du charme, on en trouve aussi énormément dans les chansons notamment une version de La Javanaise interprétée par Madeleine Peyroux ou encore You’ll Never Know chantée par Renée Fleming.
« La vie n’est qu’un fleuve dont notre passé est la source » lit Elisa sur son éphéméride. Phrase qui devient une certaine métaphore de sa propre existence. Et derrière cela aussi le fait que l’eau est bien la véritable star de ce long métrage… toujours présente d’une façon ou d’une autre des premières aux dernières images. Et alors, comme submergé par elle, cette même eau qui se déverse du ciel pour abreuver la terre, qui se boit, qui se jette pour nettoyer le sang ou autres salissures, mais qui remplit aussi cette salle de bain pour en faire un nid d’amour, jusqu’à s’infiltrer et venir se déverser dans la salle de cinéma du dessous, comme une sorte de symbole baptismal qui ouvre à une vie nouvelle… c’est le public que je suis, que nous sommes qui nous retrouvons aussi baigné, immergé par elle et par sa forme bienfaisante et éblouissante et nous fait finalement revenir à la réalité et sortir de la salle obscure, sans doute un peu mieux, touchés par la grâce… comme si sur nous aussi une main s’était posée délicatement sur notre tête comme une bénédiction offerte…
Étonnamment, aucun biopic sur Martin Luther King n’avait été jusqu’alors réalisé au cinéma. C’est maintenant chose faite, avec l’heureuse initiative de la jeune cinéaste Ava DuVernay, issue du cinéma indépendant, qui avec SELMA, nous plonge au cœur du combat mené par ce pasteur baptiste pour garantir le droit de vote à tous citoyens américains. Le film sort sur les écrans français le 11 mars, après avoir reçu l’oscar de la meilleure chanson originale.
L’histoire se déroule au début de 1965. Une grande partie des Afro-Américains ne peuvent toujours pas voter. Martin Luther King demande au président Lyndon B. Johnson d’abroger la loi, mais sans succès. Pour le convaincre de changer le cours de l’histoire, il organise trois marches pacifiques dans les rues de Selma dans l’Alabama. La situation s’envenime et tourne au chaos, alors que les blessés se multiplient et que les scènes de violence ébranlent les communautés blanches et noires. Porté par ses discours de tolérance, son dévouement envers sa famille et sa foi inébranlable, Martin Luther King tente de rallier partisans et adversaires à sa cause non violente.
Autant le dire tout de suite, on ne ressort pas totalement indemne de ces 128 minutes de grand cinéma. Et nul besoin d’attendre très longtemps pour se retrouver interpelé au plus profond de soi, bouleversé par ce récit magnifique mais terriblement dur à la fois.
Il y a sans doute beaucoup de raisons à cela. Évidemment l’histoire en elle-même en tout premier lieu, mais aussi une réussite technique et artistique indéniable (au point où le prestigieux site américain Rotten Tomatoes qui recense les avis de critiques professionnels attribue une note parfaite à Selma et ce, avec plus de 80 commentaires au total). On a là déjà donc des ingrédients consistants… mais peut-être que ce qui accentue et donne tant de force à ce film se situe encore ailleurs. Dans ce parti pris de la réalisatrice Ava DuVernay de se fixer non sur la vie ou une longue période de l’histoire de MLK (ce qui est généralement le cas pour grand nombre de biopics traditionnellement, de plus quand il s’agit du premier) mais sur un événement marquant, les marches de Selma. Toute l’action est concentrée. Concentrée sur quelques jours simplement, concentrée également sur les personnages, privilégiant la proximité avec les acteurs au travers de gros plans (alternant de temps en temps avec quelques plans larges qui soudainement prennent encore plus d’importance), filmant au plus près des corps, des visages, des regards, positionnant l’humain au centre du déroulement des événements, grâce aussi à une grande qualité photographique.
Si le docteur King est inévitablement au cœur de l’histoire, Ava DuVernay nous offre de la vivre au travers également des personnages qui l’accompagnent, qui donnent sens au récit, d’un côté comme de l’autre si l’on peut dire. Et tout cela, sans surenchère émotionnelle, juste le nécessaire, avec un ton juste et un jeu remarquable des acteurs qui ont parfaitement compris la psychologie des différents protagonistes. Que ce soit l’acteur très en vue actuellement à Hollywood, David Oyelowo, s’immergeant étonnamment dans le rôle de Martin Luther King, ou, pour n’en citer que quelques-uns, Tim Roth dans la peau du cynique gouverneur Georges Wallace, la magnifique Carmen Ejogo jouant l’épouse de MLK Coretta Scott King, ou encore, dans la peau d’un président Johnson embarrassé et très politicien le talentueux Tom Wilkinson.
J’évoquais la chanson de Mahalia, plus qu’un simple moment spécifique, c’est l’ensemble de la bande son qui est aussi porteuse d’émotion et de force. Musiques instrumentales, chansons et, comme un hymne final rendant le message encore plus actuel, ce Glory de John Legend et Common, qui conclut le générique, déclenche un frissonnement bien agréable et offre l’oscar de la meilleure chanson originale. Enfin, une autre jolie trouvaille repérée dans l’excellent travail de la réalisatrice. Si le pasteur King reste connu comme un homme de parole, avec en particulier ses célèbres discours ou citations qui foisonnent encore sur internet, Ava DuVernay a su aussi donner une grande et belle place aux silences, telles les pauses qui viennent s’inscrire aussi au cœur des Psaumes…. Silences qui donnent au verbe encore plus d’impact et de réalisme, et apportant ainsi une touche de plus à l’extrême humanité présente tout au long du scénario. Cette humanité qui se manifeste sur la globalité de l’être humain : corps, âme et esprit.
Tout y est !
L’aspect physique touchant au corps dans la violence des coups, dans les regards, les visages, les poignées de mains…
L’émotion, les sentiments avec doute, joie, colère, haine, manipulation, amour, relations familiales…
Et enfin spiritualité ! Cet aspect aurait pu passer à la trappe d’une production ne voulant pas insister sur le côté pastoral de King, sur les racines profondes qui le mirent en marche, qui fondèrent ses choix, sur cette Parole de Dieu qui ancrait ses discours et ses actes avec puissance.
Et bien, non ! Cette part du héros est totalement présente, sans excès là encore, mais de façon juste et nécessaire. Cette spiritualité se trouve dans les mots même de MLK, mais aussi souvent dans ceux de ses compagnons d’œuvre qui parfois utilisent la foi et la Parole avec tant de beauté pour le remettre en marche… « regarde les oiseaux du ciel… »… ou cette voix de Mahalia Jackson qui devient celle du Seigneur et résonne au téléphone au cœur d’une nuit de doute… ou celle encore de ce prêtre blanc qui, avant de subir la violence des coups et mourir, s’interroge sur un choix de King (lorsqu’il traverse l’Edmund Pettus Bridge en tête de la dernière marche et décide, alors que les policiers s’écartent cette fois-ci, de s’agenouiller, prier et rebrousser chemin à la surprise générale) et y voit l’insertion soudaine de Dieu comme au cœur parfois de l’une de ses prédications…
SELMA, un film militant et historique qui parle de marches mais qui surtout peut encore nous mettre en marche. Une histoire d’une urgente nécessité dans notre contexte actuel d’intolérance et de violence, pour rappeler des fondements nécessaires à la vie, à l’homme et à la société, au travers de ses discours de lutte, de refus d’abdiquer et de baisser les bras et dans l’évocation de cette résistance pacifique et spirituelle qui peut faire tomber les plus grands murs de séparation et de haine.
Paroles et traduction de Glory
One day, when the glory comes
Un jour, lorsque la gloire arrivera
It will be ours, it will be ours
Elle sera nôtre, elle sera nôtre
Oh, one day, when the war is won
Oh, un jour quand la guerre sera gagnée
We will be sure, we will be here sure
Nous serons c’est certain, nous serons là c’est certain
Oh, glory, glory (x2)
Oh gloire, gloire
Hands to the Heavens, no man, no weapon
Les mains au ciel, aucun homme, aucune arme
Formed against, yes glory is destined
Forgés à l’encontre d’autrui, oui la gloire est promise
Every day women and men become legends
Chaque jour des femmes et des hommes deviennent des légendes
Sins that go against our skin become blessings
Les péchés à l’encontre de notre peau deviennent des bénédictions
The movement is a rhythm to us
Le mouvement est un rythme pour nous
Freedom is like religion to us
La liberté est comme une religion pour nous
Justice is juxtaposition in us
La justice est une juxtaposition en nous
Justice for all just ain’t specific enough
Justice pour tous n’est pas assez spécifique
One son died, his spirit is revisitin’ us
Un fils est mort, son esprit revient nous voir
Truant livin’ livin’ in us, resistance is us
L’absenteïste vit, vit en nous, le résistance est en nous
That’s why Rosa sat on the bus (1)
Voilà pourquoi Rosa s’est assisse dans le bus
That’s why we walk through Ferguson with our hands up (2)
Voilà pourquoi nous marchons sur Ferguson les poings levés
When it go down we woman and man up
Lorsque ça s’envenime, nous femme et homme nous montons au créneau
They say, « Stay down » and we stand up
Ils disent « Restez à vos places » et nous nous levons
Shots, we on the ground, the camera panned up
Tirs, nous sommes à terre, la caméra tourne
King pointed to the mountain top and we ran up
Le roi s’établit au sommet et nous nous élançons
One day, when the glory comes
Un jour, lorsque la gloire arrivera
It will be ours, it will be ours
Elle sera nôtre, elle sera nôtre
Oh, one day, when the war is won
Oh, un jour quand la guerre sera gagnée
We will be sure, we will be here sure
Nous serons c’est certain, nous serons là c’est certain
Oh, glory, glory (x2)
Oh gloire, gloire
Glory
Gloire
Now the war is not over
Maintenant la guerre n’est pas finie
Victory isn’t won
La victoire n’est pas gagnée
And we’ll fight on to the finish
Et nous nous battrons jusqu’à la ligne d’arrivée
Then when it’s all done
Puis quand tout sera fini
We’ll cry glory, oh glory (x2)
Nous crierons gloire, oh gloire
Selma’s now for every man, woman and child
Selma maintenant pour chaque homme, femme et enfant
Even Jesus got his crown in front of a crowd
Même Jésus a sa couronne devant une foule
They marched with the torch, we gon’ run with it now
Ils ont marché avec la torche, nous allons courir avec elle dorénavant
Never look back, we done gone hundreds of miles
Ne jamais regarder en arrière, nous avons fait et passé des centaines de miles
From dark roads he rose, to become a hero
Des rues sombres il s’est élevé, pour devenir un héros
Facin’ the league of justice, his power was the people
Face à la ligue de la justice, son pouvoir était le peuple
Enemy is lethal, a king became regal
L’ennemi est mortel, un roi est devenu majestueux
Saw the face of Jim Crow under a bald eagle (3)
Nous avons vu le visage de Jim Crow, sous l’aigle à tête blanche
The biggest weapon is to stay peaceful
La plus grande arme est de rester pacifique
We sing, our music is the cuts that we bleed through
Nous chantons, notre musique est la coupure par laquelle nous saignons
Somewhere in the dream we had an epiphany
Quelque part dans le rêve que nous avions une épiphanie
Now we right the wrongs in history
Maintenant, nous redressons les torts de l’histoire
No one can win the war individually
Personne ne peut gagner la guerre individuellement
It takes the wisdom of the elders and young people’s energy
Il faut la sagesse des anciens et l’énergie des jeunes
Welcome to the story we call victory
Bienvenue dans l’histoire que nous appelons Victoire
Comin’ of the Lord, my eyes have seen the glory
L’avènement du Seigneur, mes yeux ont vu la gloire
One day, when the glory comes
Un jour, lorsque la gloire arrivera
It will be ours, it will be ours
Elle sera nôtre, elle sera nôtre
Oh, one day, when the war is won
Oh, un jour quand la guerre sera gagnée
We will be sure, we will be here sure
Nous serons c’est certain, nous serons là c’est certain
Oh, glory, glory (x2)
Oh gloire, gloire
Glory
Gloire
When the war is done, when it’s all said and done
Lorsque la guerre est finie, quand tout est dit et fait
The place, Billie, Drunk, Michel-Ange… Toute l’actualité ciné avec Jean-Luc Gadreau, journaliste et blogueur.
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NOUVEAU ! « Je confine en paraboles »
Chaque jour à 7h45 , pendant ce temps de confinement, je vous propose ma minute-vidéo « Je confine en parabole »… histoire de bien démarrer la journée.
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