Dark Waters… pour rendre le monde plus sûr, plus sain et plus agréable

Avec Dark Waters, Todd Haynes propose une chronique des enquêtes courageuses et tenaces menées par un avocat sur les dommages causés par des produits chimiques non réglementés de l’un des plus grands groupes industriels de chimie, DuPont de Nemours. Si l’histoire est hélas familière, le réalisateur Todd Haynes reprend la formule éprouvée mais en la façonnant pour en faire un film de grande beauté et d’une force prophétique étonnante.

Robert Bilott est un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques. Interpellé par un paysan, voisin de sa grand-mère, il va découvrir que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par une usine du puissant groupe chimique DuPont, premier employeur de la région. Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l’usine, il va risquer sa carrière, sa famille, et même sa propre vie… 

Dès la première scène, Haynes nous plonge dans l’ambiance qui façonnera l’histoire de Dark Waters, en reprenant la scène d’ouverture iconique des Dents de la mer. Mais ici, point de monstre aquatique sous les eaux… le prédateur invisible est l’eau elle-même, empoisonnée par les produits chimiques toxiques de la société DuPont. L’eau est en fait le héros malgré lui, apparemment toujours présente, dans les ruisseaux pollués, les flaques, les rivières et jusque dans les verres sur les tables des salles de conférence ou dans les fontaines rafraichissantes. La caméra du directeur de la photographie Ed Lachman s’attarde dessus chaque fois qu’elle est présente, comme un tueur silencieux tapi à la périphérie de tout le film, dont la présence est vivement ressentie même lorsqu’elle n’est pas à l’écran.

Cet étrange sentiment de danger indétectable est le cœur de Dark Waters. Qu’il s’agisse de l’eau empoisonnée ou du capitalisme sauvage à l’origine du problème, le film est rempli de méchants fantômes et de personnages obscurs dont l’avarice a affecté la vie de millions de personnes, pour ne pas dire de 99% de l’humanité, pour reprendre un chiffre du générique de fin. Pendant de nombreuses années, DuPont a régné en tant qu’entreprise chimique la plus prospère aux États-Unis. Son omniprésence se traduisait par son slogan « Mieux vivre grâce à la chimie » ; à ce jour, la société prétend toujours « travailler à rendre le monde plus sûr, plus sain et plus agréable » (slogan qui peut encore être retrouvé en première page du site français…). Les produits en Téflon de l’entreprise – principalement des poêles de cuisson avec un revêtement « antiadhésif » – ont rapporté des bénéfices de plus d’un milliard de dollars par an. Mais il y a un côté extrêmement sombre dans l’histoire et les activités de la société, qui ont été mises en lumière grâce aux enquêtes courageuses et tenaces de l’avocat d’entreprise Robert Bilott. Ce film retrace ses efforts sur une période de 20 ans. Mark Ruffalo, qui a également été l’un des instigateurs et producteurs du film, joue le rôle de Bilott.

L’histoire racontée est donc celle d’une malversation de grande envergure et des efforts déployés pendant des années pour réparer les torts qui ont été commis. Mais, il s’agit aussi des conséquences que l’obsession – aussi juste ou vertueuse soit-elle – peut faire à quelqu’un et aux personnes qui l’entourent. Nous assistons avec Bilott au combat qui se forge face à la volonté d’entreprises de se battre bec et ongles contre tout ce qui peut faire obstacle au profit tout-puissant… et de ce qu’il faut alors comme énergie pour résister face au soi-disant « progrès ». C’est en effet une histoire sombre, une procédure sinistre qui plonge dans l’obsession singulière d’un homme pour une affaire dont il se sent en partie responsable. De cette façon, il n’est pas si éloigné du Zodiac de David Fincher, un film où l’obsession devient presque plus importante que l’identité réelle du tueur que les personnages chassent. Dans le cas de Dark Waters, Haynes semble être en conversation directe avec son film de 1995, Safe, dans lequel une femme devient paranoïaque à l’idée que tout ce qui l’entoure essaie de la tuer. Mais ici, cette paranoïa se justifie de façon vraiment terrifiante… Le combat de Bilott est le poumon du film, mais ce n’est pas seulement sa détermination à faire tomber DuPont qui alimente le drame, c’est aussi son réveil en tant qu’homme qui faisait autrefois partie du problème et qui est maintenant déterminé à aider à le résoudre. Il n’est pas juste engagé dans une croisade vertueuse, c’est un homme rongé par la culpabilité d’avoir aidé ces capitalistes corrompus à empoisonner la nation par des procès et des campagnes de désinformation. En surface, nous sommes face à une histoire façon « David contre Goliath », mais sous ces fameuses eaux sombre, se construit un film sur le conflit intérieur d’un homme, avec ces questions constantes sous-jacentes : Comment résoudre un problème que vous avez volontairement ignoré pendant des décennies ? Comment faire en sorte de réveiller ceux qui sont encore aveugles comme vous l’avez été ?

C’est cette dichotomie qui rend le film si fascinant. Haynes prend l’histoire et la transforme dans la beauté et l’horreur, une revisite des thèmes qui ont fait de Safe l’une de ses plus belles œuvres. L’obscurité s’est en fait toujours cachée sous l’apparence d’une société polie dans l’œuvre de Haynes, de Loin du paradis à Carol, mais ici cette obscurité devient tout à fait littérale. C’est un film pétri d’une juste colère, oui, mais c’est aussi un film dont la douloureuse résignation face à l’obscurité écrasante du monde refuse de nous laisser avec le faux espoir qu’il s’agit d’une bataille qui a été gagnée de quelque façon que ce soit. Haynes tisse un sentiment obsédant de mélancolie à travers chaque image, imprégné de la partition souffrante de Marcelo Zarvos, nous laissant avec un sentiment troublant produit par les dommages causés par le capitalisme et la poursuite incontrôlée de la richesse qui continue à faire des ravages dans notre monde. C’est un portrait absolument essentiel de et pour notre époque.

Ruffalo est à la fois la star et le champion, il donne vie à la personnalité de Rob Bilott. Cet homme humble et déterminé n’est pas un héros typique, mais son intégrité, sa loyauté et sa volonté d’aller à contre-courant pour protéger ceux qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes font de lui un héros. Son langage corporel, jamais confiant et certainement pas stéréotypé d’un avocat d’entreprise puissant, nous le fait rendre encore plus sympathique. Et Anne Hathaway, à ses côtés dans le rôle de son épouse, Sarah, est admirable et tout simplement essentielle, même si son rôle n’est pas énorme. Elle apporte de la profondeur, une vraie perspective fondamentale, au personnage de Rob. Leur vie familiale est affectée par cette affaire, et nous voyons les sacrifices qu’elle a faits pour lui, les enfants et elle-même afin de subvenir aux besoins de son mari. Sans sa performance extrêmement juste, le personnage de Bilott aurait sans doute pâti d’un caractère plus aplati. Robbins est solide, tout comme Camp, tout comme la merveilleuse collection de talents qui compose l’ensemble – William Jackson Harper, Bill Pullman, Mare Winningham, Louisa Krause, Victor Garber, etc. Il y a une merveilleuse cohérence dans la distribution, chacun apportant l’énergie nécessaire à ce film extrêmement fort.

La photographie ajoute à l’authenticité du film et au sentiment désastreux de ce qui est révélé. La création et la capture de ces images obsédantes et dérangeantes de bétail, d’enfants et même d’animaux de compagnie affectés, sont ponctuées par un ciel infiniment gris. Le soleil semble ne jamais briller, ce qui crée une atmosphère aussi obsédante que les images que nous voyons.

On dit parfois que certains films sont « difficiles à regarder », mais ce terme peut avoir des significations différentes selon les personnes. Habituellement, il s’applique à des films trop graphiques, que ce soit en termes de violence, de langage ou autre, mais parfois, on obtient un film difficile à regarder parce qu’il vous oblige simplement à apprendre ou à vous souvenir d’une vérité douloureuse et à regarder cette vérité en face. C’est le cas de Dark Waters et c’est aussi pour cela qu’il ne faut pas le manquer, faisant de lui l’un des films les plus « spirituels » de ce début d’année. Avec des performances incroyables jamais surjouées et une histoire captivante, Dark Waters changera sans doute votre façon de voir notre monde.

 

À noter qu’un dossier pédagogique et un abécédaire peuvent être téléchargés sur le site du distributeur.

 

WONDERSTRUCK… ÉMERVEILLEMENT SUR GRAND ÉCRAN

Après Carol en 2015 (qui avait d’ailleurs permis à Rooney Mara de recevoir à Cannes le prix de la meilleure interprète féminine), le réalisateur Todd Haynes revient avec un magnifique conte original et métaphorique, Wonderstruck (émerveillement) ou dans sa version française « le musée des merveilles ».

Sur deux époques distinctes et deux quartiers différents –  le Manhattan des années 30 pour la partie consacrée à la fillette, le quartier du Queen’s bariolé et funk des années 70 pour celle consacrée au garçonnet, les parcours de Ben et Rose. Ces deux enfants souhaitent secrètement que leur vie soit différente ; Ben rêve du père qu’il n’a jamais connu, tandis que Rose, isolée par sa surdité, se passionne pour la carrière d’une mystérieuse actrice. Lorsque Ben découvre dans les affaires de sa mère l’indice qui pourrait le conduire à son père et que Rose apprend que son idole sera bientôt sur scène, les deux enfants se lancent dans une quête à la symétrie fascinante qui va les mener à New York.

Il faut le dire tout de suite, Todd Haynes ne nous propose pas un film académique tant dans sa construction et dans sa forme que dans l’histoire et ce que l’on peut en faire. La narration nous entraine très vite dans deux récits à la fois loin l’un de l’autre, notamment par l’époque et par le choix stratégique de les présenter en noir et blanc pour le premier et en couleur pour le second, et en même temps suffisament proches grâce à de nombreuse similitudes ou parallèles. Et puis, Wonderstruck est tout sauf bavard. Peut-être un peu long parfois, mais surtout fonctionnant à l’économie de dialogues pour privilégier une musique remarquable et parfois funky aux paroles excessives et pesantes. Une volonté du réalisateur qui colle avec l’une des thématiques de son histoire, la surdité, et au travers d’elle le défi d’arriver à nous donner à voir le silence.

Conte métaphorique, ce Wonderstruck, adapté d’un roman de Brian Selznick (qui signe d’ailleurs le scénario du film), se complait dans ce temps de l’enfance, avec son côté frais et magique où le merveilleux est toujours possible et à portée de main, mais où aussi les blessures peuvent s’inscrire en profondeur. Haynes parle de descendance, de cauchemars, de secrets, du manque d’un parent absent, mais aussi de destin et d’amitié. Tout ça avec beaucoup beaucoup d’amour et le talent immense de se réalisateur qui me régale une fois de plus.

Ce Musée de merveilles est un vrai bonheur dont il ne faut surtout pas se priver. Beau, délicieusement artistique, touchant et imprégné d’un sens profond, ce qui ne peut évidemment pas me déplaire, bien au contraire… et je l’espère vous aussi.

CHUUUT… WONDERSTRUCK !

Retour de Todd Haynes sur la Croisette, après Carol en 2015 (qui avait d’ailleurs permis à Rooney Mara de recevoir à Cannes le prix de la meilleure interprète féminine) et avec Wonderstuck, un magnifique conte original et métaphorique.

Sur deux époques distinctes, les parcours de Ben et Rose. Ces deux enfants souhaitent secrètement que leur vie soit différente ; Ben rêve du père qu’il n’a jamais connu, tandis que Rose, isolée par sa surdité, se passionne pour la carrière d’une mystérieuse actrice. Lorsque Ben découvre dans les affaires de sa mère l’indice qui pourrait le conduire à son père et que Rose apprend que son idole sera bientôt sur scène, les deux enfants se lancent dans une quête à la symétrie fascinante qui va les mener à New York.

Pour l’ouverture du Festival, les fantômes d’Ismaël avait pu dérouter le spectateur. Aujourd’hui, dans la compétition cette fois-ci, ce sentiment sera sans doute encore partagé par certains. Todd Haynes ne nous propose pas un film académique tant dans sa construction et dans sa forme que dans l’histoire et ce que l’on peut en faire. La narration nous entraine très vite dans deux récits à la fois loin l’un de l’autre, notamment par l’époque et par le choix stratégique de les présenter en noir et blanc pour le premier et en couleur pour le second, et assez proches dans de nombreuse similitudes ou parallèles. Et puis, Wonderstruck est tout sauf bavard. Peut-être un peu long parfois, mais surtout avec très peu de dialogues privilégiant la musique remarquable et parfois funky aux paroles excessives et pesantes. Une volonté du réalisateur qui colle avec l’une des thématiques de son histoire, la surdité, et au travers d’elle le défi d’arriver à donner à voir le silence.

Conte métaphorique que ce Wonderstruck, adapté d’un roman de Brian Selznick (qui signe d’ailleurs le scénario du film), où l’on parle de descendance, de cauchemars, de secrets, du manque d’un parent absent, mais aussi de destin et d’amitié. Et tout cela se fait avec le talent immense d’un Todd Haynes qui me régale une fois de plus.

Alors pour conclure, comme je le tweetais à la sortie de la séance :

Un vrai bonheur ce nouveau Todd Haynes. Car Wonderstruck est beau, délicieusement artistique, touchant et imprégné d’un sens profond !