PORTRAIT THOMAS SCHÜPBACH

Né en 1970, Thomas Schüpbach a effectué ses études de théologie protestante aux universités de Bâle et de Vienne, avec l’éthique comme matière principale. Passionné de cinéma, il initia de nombreux jeunes à cet art et à sa lecture. Depuis 1998, il est pasteur dans l’Église réformée en Suisse alémanique et a suivi plusieurs sessions de formations continues cinématographiques à Locarno, Francfort, Lübeck et en Islande. Membre de jurys protestants ou œcuméniques dans plusieurs festivals, il a créé un forum de formation pour adultes, incluant régulièrement des projections et des débats de films.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos envies, espérances ?

Je suis très impatient de profiter de l’ambiance de ce festival unique, de voir le programme prometteur et de travailler avec mes collègues du Jury. Je m’attends à voir des films intéressants et à avoir de bonnes discussions au sein de notre équipe.

Comment le cinéma est entré dans votre vie ?

Le fantastique « Le livre de la Jungle » de Walt Disney a été le premier film que j’ai vu dans un cinéma. Plus tard, pendant mes études de théologie, j’ai travaillé périodiquement dans un cinéma orienté vers la jeunesse où j’étais co-responsable du programme, de l’organisation et de la discussion. Depuis, j’ai suivi à plusieurs reprises des formations au travers des séminaires sur le cinéma à Locarno, Francfort, Lübeck et en Islande.

Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ?

« Brazil » de Terry Gilliam en 1985. J’ai vu ce film tellement de fois et je découvre encore de nouveaux détails. L’histoire me touche et je suis profondément impressionné par la musique et les images irrésistibles.

« Le tout nouveau testament » de Jaco Van Dormael en 2015. Superbe, drôle, intelligent – et en même temps si émouvant : la petite fille de Dieu cherchant de nouveaux apôtres et donnant de l’espoir aux gens.

« Still Life » d’Uberto Pasolini en 2013. Un drame sur la fin de la vie, sur la valeur de la vie, et toujours et surtout… sur l’amour.

De même, avez-vous un(e) réalisateur(rice) « coup de cœur » ?

J’admire les œuvres de Krzysztof Kieślowski. Outre sa grande qualité artistique et les différents thèmes qu’il aborde, je suis particulièrement touché par l’esprit particulier qu’il crée dans ses films – surtout dans « Le Décalogue » et « Trois couleurs – bleu, blanc, rouge ».

Qu’est-ce que, pour vous, un bon film ?

Pour moi, il n’y a pas de mauvais films; alors, en fait, j’essaie de comprendre chaque film et de découvrir ses trésors. Il n’existe alors que des bons films pour moi et je qualifierais un film de « très bon film » lorsque son histoire peut toucher mon cœur et me faire réfléchir longtemps.

De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?

Dans mon ministère de pasteur dans les paroisses protestantes, j’utilise souvent le cinéma : les films soutiennent des leçons de cathéchisme, des cours avec des adultes mais aussi mes services de culte. Même si un film n’a pas un sujet ou un thème religieux dédié, il peut contenir et transmettre des motifs spirituels et chrétiens et avoir des valeurs éthiques. L’un des principaux sujets et tâches du Jury œcuménique est justement de le souligner.

Autre chose à ajouter ?

Il est dangereux de proposer cela à un pasteur : il pourrait commencer un long sermon… Ce que je ne ferai pas J mais juste courtement ajouter que Dieu nous encourage à ne pas abandonner quand nous devons faire face à des difficultés dans notre vie. En plus de l’Évangile, il y a aussi beaucoup de films qui reflètent la vie et donnent de nouvelles perspectives aux gens. C’est pourquoi j’aime combiner ma foi avec le cinéma.

LE TEMPS QUI PASSE ET QUI ÉBLOUIT

Ça y est ! Le frisson qui véritablement au moment du générique de fin d’un film vous fait ressentir un immense bonheur est arrivé. Il y avait déjà eu un premier coup de cœur avec Mia Madre et plusieurs vraiment bons moments, mais, ce matin, un film fait vraiment la différence.

 

À 8h30, projection presse du nouveau long métrage de Paolo Sorrentino « Youth », avec une pléiade d’acteurs merveilleux : Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz, Paul Dano, Jane Fonda… et un certain Diego Maradona en guest star. Deux heures de plaisir immense, tant par l’histoire, l’acting, les dialogues, l’esthétique, la musique… et tous les petits détails ou clins d’œil comme Sorrentino sait si bien le faire.

« Youth » nous fait voyager en Suisse, à l’intérieur d’un bel hôtel au pied des Alpes où Fred et Mick, deux vieux amis approchant les quatre-vingts ans, profitent de leurs vacances. Fred, compositeur et chef d’orchestre désormais à la retraite, n’a aucune intention de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours, s’empressant de terminer le scénario de son dernier film. Les deux amis savent que le temps leur est compté et décident de faire face à leur avenir ensemble. L’occasion aussi alors de repenser le passé jusqu’aux premiers fantasmes amoureux d’enfance et d’assumer un présent pas toujours facile à accepter, d’une prostate qui fait des siennes, aux demandes de la reine d’Angleterre ou d’une maison d’édition française ou encore un refus d’une star de cinéma.

« Youth » est un film émouvant sur le temps qui passe. C’est évidemment le thème principal porté avec brio tout particulièrement par Michael Caine et Harvey Keitel. « Accepter la vieillesse tant physique qu’intellectuelle »… thème particulièrement difficile et plutôt peu amusant. Et pourtant, et c’est là tout le talent de Sorrentino,  il l’aborde sans lourdeur mais au contraire, à l’inverse, avec une légèreté exceptionnelle, plein d’humour, de second degré, et surtout des dialogues tout à fait extraordinaires. Sorrentino est aussi magnifique dans son usage de la caméra, du cadrage, dans sa façon de filmer les visages, les regards et de nous donner la possibilité d’observer des tas de petits détails venant apporter de la saveur supplémentaire au déroulement de l’histoire.

Les personnages secondaires sont aussi autant d’éléments de plus pour sans jamais donner l’impression de trop : Une miss univers qui n’est pas pourtant pas dénuée d’intelligence et de répartie, un moine bouddhiste qui se fait attendre pour s’élever dans les airs, un apprenti violoniste gaucher, une jeune cinéphile qui n’est pas friand que de films de robots, une masseuse qui s’éclate sur Wii-dance et qui préfère toucher que parler, un alpiniste barbu est quelque peu solaire qui tombe amoureux de la belle… et la liste s’allonge et s’allonge encore mais juste pour donner sens et faire du bien.

Mais Sorrentino ne s’arrête pas là et présente, en bonus, un grand nombre d’ingrédients pour séduire, non seulement un large public, mais aussi la fratrie Coen qui préside le Jury du Festival. Décalages humoristiques comme un jonglage vertigineux de Maradona avec une balle de tennis ou du rappel de la « main de Dieu » gauche évidemment… esthétisme de scènes surréalistes comme celle où Fred se rappelle les gestes du chef d’orchestre dans une symphonie champêtre où les vaches, les cloches et les oiseaux forment l’orchestre, ou comme celle que l’on pourrait qualifier de ‘mémoire du cinéma’ façon Fellini dans « Huit et demi »… jusqu’à une allusion discrète mais claire au Festival de Cannes…

Vous l’aurez compris, « Youth » est pour moi une réussite quasi-parfaite, une leçon de cinéma qui en fait à la fois un vrai film de divertissement grand public mais aussi un film qui fait réfléchir, plein d’humanité et de profondeur d’âme qui touche, émeut et donne du bonheur et des frissons. Alors quel sera le palmarès ? En tout cas, je mise un billet sur la présence de « Youth » en bonne place… réponse dimanche ! Mais quoiqu’il en soit, « Youth » sera le film à ne pas manquer lors de sa sortie annoncée au mois de septembre, si vous aimez le grand et beau cinéma.