EVERYBODY KNOWS… BUT

Après avoir, en 2013, offert le prix d’interprétation féminine à Bérénice Béjo avec son film  » Le passé « et en 2016, de retour en compétition, décroché le Prix du Scénario pour « Le Client », le réalisateur iranien revient sur la Croisette et se voir attribué déjà l’ouverture du 71ème Festival de Cannes. Premier film en compétition, le nouveau Asghar Farhadi « Everybody Knows », ou plutôt « Todos lo Saben » son titre original, s’offre un casting de rêve avec notamment le couple star et glamour Penelope Cruz et Javier Bardem.

Laura (Penelope Cruz), qui a épousé un Argentin (Ricardo Darin) et s’est installée de l’autre côté de l’Atlantique, revient en Espagne avec ses deux enfants dans son village natal, pour participer au mariage de sa sœur. La joie des retrouvailles avec sa famille et l’ambiance de la fête sont rapidement ternies par un évènement angoissant : la fille aînée de Laura est kidnappée à la faveur d’une coupure d’électricité et ses ravisseurs réclament une rançon de 300.000 euros. Alors que son mari est resté en Argentine, Laura se tourne vers Paco (Javier Bardem), son ancien amoureux devenu propriétaire d’une belle exploitation viticole qui suscite les jalousies de sa famille. Paco va prendre l’affaire très à cœur, trop pour certains…

L’un des mérites de Todos lo Saben est de démontrer sans doute que, suivant la façon de regarder un film, l’appréciation peut être très différente. En effet si, en l’occurrence, l’aspect policier, suspense est ce qui retient l’attention, je dois avouer alors qu’une certaine déception peut être alors hélas au rendez-vous. On a sans doute connu Farhadi un brun plus subtil car son intrigue peut paraître quelque peu cousue de fil blanc. Quelques ficelles mélodramatiques assez artificielles et convenues n’apportent guère. Et cette dimension policière de son récit finit par laisser passer quelques grosses invraisemblances.

Mais c’est justement parce que Farhadi ne réalise pas là véritablement un film d’enquête. L’intérêt est bien ailleurs et c’est avec d’autres lunettes qu’il faut se plonger dans l’histoire.  Celles qui nous permettent d’explorer avec lui la dimension beaucoup plus psychologique d’un drame familial et sociétal et d’observer des personnages filmés de près afin de dévoiler leur intimité, leur complexité, leur fragilité. Le cinéaste les approche avec bienveillance et véritable tendresse, sans les juger, et finalement sans les condamner.

Parmi les thématiques qui alors apparaissent, trois plus particulièrement m’ont interpellé :

– Une fois encore avec Farhadi la dimension du secret, et plus spécifiquement de ceux qui atteignent la cellule familiale comme un cancer qui ronge et détruit, est au cœur de son scénario. Un secret qui ici semble d’ailleurs aussi se communiquer et prendre des formes différentes mais toujours avec des conséquences terribles

– J’ai beaucoup apprécié aussi la question de l’appartenance qui ici est abordée de double manières. L’appartenance de la terre, du vignoble… (je resterai sommaire pour ne pas spoiler quoi que ce soit) mais aussi naturellement l’appartenance de l’être, de l’enfant. Qu’est ce qui nous donne droit ? Et puis-je vraiment perdre ce qui m’appartient ?

– Et avec tout cela, pour permettre d’ailleurs à ces deux thèmes de trouver sens, vient se greffer la notion du temps… ce temps qui passe inexorablement et qui peut à la fois permettre l’heureuse transformation, tel celui qui donne au jus de raisin de devenir vin, ou qui permet à un dépendance de se vaincre (un temps qui peut être alors aussi utilisé par Dieu comme un miracle s’y l’on se réfère à Alejandro, le mari de Laura). Mais qui peut devenir dangereux, risqué à la manière de cette horloge au verre brisé dans le clocher là ou la jeune Irène s’amuse et pourrait se blesser tandis que les oiseaux eux y trouvent un passage vers la liberté.

Enfin, comment ne pas souligner l’autre grande réussite de ce film avec le choix des acteurs. Les deux rôles principaux bien entendu, écrits pour le couple phare du cinéma espagnol et hollywoodien : Penelope Cruz et Javier Bardem, mais globalement l’ensemble du casting qui apporte un éclat remarquable et une vraie chaleur, au risque, quand même, de devenir parfois un tantinet exubérant.

En conclusion, Todos lo Saben n’est pour moi pas le meilleur film du réalisateur iranien, mais il est tout de même plein de qualités avec cette possibilité de l’aborder autrement, en se fixant sur ce qui n’est pas forcément le plus visible mais qui est, sans nul doute, le plus intéressant.

 

 

TOUT POUR MA FILLE

Un Almodóvar à Cannes ne peut laisser indifférent. Julieta ne fait pas exception à la règle. Et pour ma part, c’est avec un vrai bien-être que je sors de cette première projection presse matinale. Almodóvar, comme plusieurs autres cinéastes cette année, nous livre une belle histoire centrée sur quelques personnages qui s’éclairent devant nos yeux, et en particulier ici, Julieta, d’hier et d’aujourd’hui. Un récit inspiré librement de la nouvelliste canadienne Alice Munro.

Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía une semaine plus tôt. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec sa fille qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle décide de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours. Julieta parle du destin, de la culpabilité, de la lutte d’une mère pour survivre à l’incertitude, et de ce mystère insondable qui nous pousse à abandonner les êtres que nous aimons en les effaçant de notre vie comme s’ils n’avaient jamais existé.

C’est au travers d’un flashback qu’Almodóvar nous livre son histoire. Julieta replonge dans l’histoire de sa vie, 30 ans plus tôt, avec la rencontre de Xoan, un pêcheur qui bouleversera sa vie. Une vie qui, si elle commence dans le bonheur d’une rencontre et d’un amour, se voit vite malmenée par le destin. Un destin qui en 2016 la frappe de nouveau, mais cette fois-ci pour ouvrir une porte nouvelle. Une ouverture vers une forme de véritable résilience qui ne sera pas juste une fuite mais la possibilité d’une restauration.

La culpabilité est l’un des éléments forts de ce film. Ce type de culpabilité qui n’a de véritable sens que pour celui ou celle qui la subit. Mais finalement, sans doute, cette culpabilité qui est la plus difficile à supporter. Si difficile qu’elle peut provoquer la séparation et le rejet. À cette culpabilité vient alors s’ajouter l’horreur du vide, de l’absence. Absence de celui qu’on aime que la mort nous retire mais, pire encore, absence de celle qu’on aime, Antía, chair de sa chair, et qui a choisi de disparaître sans expliquer pourquoi.  « Ton absence emplit ma vie et la détruit » écrit Julieta, prise, enchaînée par tout cela, même si la vie continue, même si sur son chemin s’est greffé une âme bonne et immensément respectueuse.

Cette notion de respect conduit à évoquer une autre thématique. Celle du secret de Julieta. Celle d’un silence choisi, d’un mutisme pour oublier, ou du moins croire oublier. Secret qui fait d’ailleurs écho à celui d’Antía qui a choisi de s’inscrire dans le secret de son choix sous le couvert d’un besoin de spiritualité, que l’on peut voir comme une forme de prétexte pour quitter tout.

 

Il y a donc du silence au cœur de ses fins dialogues, comme avec Xoan qui dit ne pas aimer beaucoup parler… Et Almodóvar a la délicatesse de l’utiliser aussi dans la réalisation de son film. Tout n’est pas dit, tout n’est pas livré, et c’est l’un des nombreux points forts de Julieta. Cette capacité à nous laisser imaginer derrière les images, derrière les sons, derrière ces visages si savamment filmés, et derrière les sublimes couleurs qui éclairent magiquement chaque instant, et ce, dès le tout commencement avec ce tissu rouge qui nous embarque.

«Les dieux ont créé l’homme et d’autres êtres avec de l’argile et du feu ». Fragilité et malléabilité de l’argile qui s’endurcit dans et par le feu… L’histoire peut-être de Julieta, à l’image de ces statuettes, et celle de l’homme assis en particulier, sculptées par Ava.

Un très bel Almodóvar à déguster et sans aucun doute à revoir pour mieux saisir…