BEALE STREET… BIJOU D’ÉMOTIONS

Quand l’écriture de James Baldwin rencontre la sensibilité et la mise en image de Barry Jenkins on peut clairement atteindre des sommets. Si Beale Street pouvait parler ne déçoit pas… Mieux que ça, il atteint une certaine perfection rare. C’est ainsi qu’un grand roman devient, devant nos yeux attendris, un grand film ! Et ce peut bijou sort ce mercredi 30 janvier sur les écrans français.

  

Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s’aiment depuis toujours et envisagent de se marier. Alors qu’ils s’apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d’une erreur judiciaire, est arrêté et incarcéré. Avec l’aide de sa famille, Tish s’engage dans un combat acharné pour prouver l’innocence de Fonny et le faire libérer… 

Le réalisateur Barry Jenkins a commencé sa carrière il y a plus de dix ans maintenant. Mais c’est en 2016 qu’il est entré dans le club restreint des grands cinéastes américains avec le sacrement multiple de son chef d’œuvre Moonlight. Immense succès, et pas seulement d’estime, en Europe, mais également aux États-Unis, ce film éblouissait par sa force du propos. Racisme et sexisme au cœur d’un scénario finement ciselé porté notamment par la grande délicatesse avec laquelle était mise en scène cette violence sociale. Un combat pour l’égalité, la liberté, le respect de chacun qui prenait la forme d’une poésie cinématographique. Avec l’adaptation du roman de James Baldwin, Si Beale Street pouvait parler, Jenkins double la mise et va encore plus loin avec un film, sans doute, plus abouti et plus poignant. L’hyper sensibilité du réalisateur américain est à son apogée et vient percuter le spectateur. Car, là encore, on est face à de la poésie visuelle renforcée par des parties narratives régulières qui viennent comme un slam, dans la voix douce et franche à la fois de Tish (le personnage principal de l’histoire), rythmer comme un refrain le déroulement de l’histoire. Ici, chaque plan, chaque séquence va être l’occasion de faire transparaître une émotion.

Les deux jeunes amoureux sont filmés en gros plan, comme si le monde ralentissait quand ils se regardaient. Nous les étudions, centrés dans l’œil de la caméra, captés par leurs yeux pleins d’émotions qu’apportent le premier amour. Leurs expressions dans l’attente de parler, prenant plaisir au silence… Bref, nous nous perdons en eux, comme ils se perdent l’un dans l’autre. Mais, au fur et à mesure que l’histoire avance et recule dans sa chronologie, il devient rapidement clair que nous ne sommes pas dans une romance idyllique. Dans le début des années 1970 à Harlem, Fonny, un artiste, a été emprisonné pour un crime qu’il n’a pas commis. Tish, enceinte de leur bébé, vit avec sa famille pendant qu’elle attend et travaille en vue de sa libération espérée.

Douleurs, souffrances, injustice… Mais Jenkins laisse néanmoins l’histoire se dérouler lentement et patiemment, donnant à ses acteurs l’espace pour raconter leurs propres histoires tout en tranquillité. On découvre les familles, les amis, des moments heureux, des moments d’épreuves… Des histoires qui remplissent l’écran de beauté : un parapluie rouge un jour de gris humide ; la fumée de cigarette formant une sculpture autour de Fonny alors que lui-même est en train de sculpter ; la chaleur de la maison familiale de Tish ; la musique parfumant l’air… On assiste ainsi, par exemple, à une scène dantesque qui restera dans les mémoires : Les parents de Tish invitent la famille de Fonny pour qu’ils puissent partager la nouvelle de la grossesse de Tish, alors que Fonny est derrière les barreaux… L’occasion de découvrir la mère de Fonny et ses sœurs marquées par un obscurantisme religieux révoltant. La spiritualité est d’ailleurs un enjeu de l’histoire… avec deux approches, deux conceptions qui se confrontent. Étroitesse dogmatique et jugements tranchants d’un côté et espérance ‘priante’, ‘doutante’ mais persévérante de l’autre. On retrouve là, la marque de James Baldwin et de son histoire personnelle, tantôt prédicateur pentecôtiste puis critique sévère mais toujours marqué par une foi certaine.

La ligne du temps non linéaire renforce en fait le punch émotionnel de l’histoire, car il y a des moments où nous en savons plus que les personnages n’en savent eux-mêmes, et notre cœur se brise pour eux parce que nous savons que leur joie et leur optimisme ne dureront pas longtemps. Il faut aussi évoquer la sublime partition de Nicholas Britell qui enrobe le film dans des sommets de lyrisme insoupçonnables et inattendus. Entre jazz et cordes classiques, cuivres et claviers, la musique joue son rôle à la perfection, ni trop présente, ni jamais totalement absente, les silences intégrant la partition comme il se doit.

Si Beale Street pouvait parler est assurément un film sur l’injustice, le racisme, sur la patience et la colère. On y parle de beauté et de désespoir – mais, en fin de compte, c’est l’amour par-dessus-tout qui est le vrai héro de l’histoire. « Souviens-toi, dit Sharon à sa fille Tish. C’est l’amour qui t’a amené ici. » Et c’est ce qu’on voit dans chaque image de ce film, qui brille de mille feux.

LETTRES ROCK’N ROLL

L’écrivain Michel Embareck est un véritable amoureux du rock. Journaliste notamment pour Best, Rolling Stone et Libération dans les années 70-80, il surfe sur le sujet et sur ses icones avec dextérité et, ce que j’appellerai, une certaine grâce. Grâce brute et parfois décapante, qui lui confère un charme particulier qui fleure bon finalement avec les ambiances embrumées de ses récits. Son dernier, justement, « Bob Dylan et le rôdeur de minuit », sous la forme d’un partiel roman épistolaire, nous entraine dans une amitié captivante et pas tout à fait comme les autres, celle de Bob Dylan et Johnny Cash.

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Si cette amitié est avérée, le terme roman a tout son sens ici. Car, en dehors de quelques déclarations, images d’archives, et une session de titres enregistrée par les deux artistes, la longue correspondance entre Bob Dylan et Johnny Cash que nous révèle Michel Embareck est fictive. Mais celle-ci semble tellement réelle que l’on y adhère sans peine avec joie et, presque, voyeurisme revendiqué. L’auteur part du principe que, en citant en préambule Victor Boudreaux : “Quand la véritable histoire tient en une poignée de lignes, ne reste qu’à en inventer le roman”. Et sur cette base, il nous entraine dans une fabuleuse aventure rock’n rollesque dans l’espace et le temps. Car il y a ces fameuses lettres mais il y a bien plus encore…

Ici, de 1963 à 2016 – année du prix Nobel de littérature attribué à Dylan – et pas forcément de façon linéaire, les faits réels alimentent la fiction. On croise ainsi des grands noms de l’histoire américaine et de la musique… Martin Luther King, Popcorn Sutter, prince des trafiquants d’alcool clandestin, un Richard Nixon fêlé, un Elvis pas à son meilleur, Joan Baez, les Beatles, Kris Kristofferson, June Carter et régulièrement Alice Cooper qui incarne une certaine voix de la sagesse. Et tout ça entre New York, Nashville, Saïgon et Paris… Une histoire sans cesse donc rythmée des réflexions du Midnight Rambler et de sa propre histoire, cet animateur radio vétéran des grandes heures du rock, « le Rôdeur de minuit », une sorte de double imaginaire de l’auteur, qui ici se trouvait en 1965 à Newport lorsque Dylan fit scandale chez les folkeux en « branchant » sa guitare, et en janvier 1968 à la prison de Folsom lors du mythique concert de Cash.

Et ce n’est pas fini, car derrière ces échanges de lettres et ces chapitres romanesques, savoureux et parfois très drôles, se profilent de vraies réflexions profondes sur la vie, ou plus encore… le sens de la vie et, bien sûr inévitablement, de la mort ! C’est le temps qui passe, ce sont les choses qui comptent véritablement, il y a des histoires d’amour, des occasions manquées et il y a Dieu… car il faut l’avouer, tant chez Cash que chez Dylan, et quelques soient leurs itinéraires tortueux et parfois bien sombres, se dégagent constamment des flashs de lumière qui sont marqués par la foi.

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Voilà, de quoi je l’espère, vous donner envie… envie de lire « Bob Dylan et le rôdeur de minuit »… envie de vous embarquer dans ce récit magnifique sous la plume experte de Michel Embareck.

Retrouvez la fiche complète avec extrait et vidéo de l’auteur sur le site des Éditions L’Archipel

 

RETOUR À LA CABANE

La Cabane est d’abord et avant tout un roman écrit par le canadien William P Young qui, incroyablement pour un livre à thématique chrétienne, est devenu un best-seller assez phénoménal. C’est ainsi, par exemple, qu’il resta sur la liste des best-sellers du New York Times pendant 70 semaines. On peut considérer qu’il est même devenu une sorte de phénomène publicitaire avec des croyants achetant des dizaines d’exemplaires pour les offrir. Publié dans 40 langues et vendu à 22 millions d’exemplaires, il était inévitable qu’un jour La Cabane finisse sur grand écran… Le moment est arrivé, bien que le grand écran se réduise à une sortie DVD dans plusieurs pays dont la France.

Le film, très bien interprété, a un casting plutôt classe avec notamment Sam Worthington (le héros d’Avatar ou, plus récemment l’un des acteurs principaux de Tu ne tueras point) et la géniale Octavia Spencer (oscarisée pour La couleur des sentiments, où plus récemment l’une des Figures de l’ombre). Le film reprend globalement le roman avec quelques adaptations, racontant l’histoire de Mack dont la fille de huit ans est enlevée et assassinée. Cette tragédie l’éteint émotionnellement et cause de nouvelles souffrances dans la famille. Puis, un jour où sa famille est absente, il est invité à rencontrer Dieu dans « la cabane » où la robe sanglante de sa fille avait été retrouvée après son enlèvement. Le reste du film raconte la rencontre de Mack et sa discussion avec Dieu en particulier sur la nature du mal et sur le pardon.

C’est sans doute là, d’ailleurs, sur ces thématiques du pardon, de la guérison intérieure, de notre rapport au mal ou encore des récriminations que nous pouvons faire à Dieu que se situent les vrais intérêts du film. Il devient un excellent support de discussion, de débat. On peut aisément imaginer une utilisation en groupe de jeunes ou même avec des amis pour aborder ces questions difficiles. Autres sujets passionnants que le ciel, l’enfer et le salut et la façon dont nous voyons/imaginons Dieu, comment notre spiritualité, notre piété peut être directement affectée par ces images personnelles. Et là encore, La Cabane peut stimuler la discussion avec des ouvertures multiples et très intéressantes. On pourra souligner justement que les opinions sur ces questions théologiques peuvent diverger, et parfois violemment. Le livre avait déjà à sa sortie susciter de vives critiques de certains milieux évangéliques. Mais, en même temps, pourquoi ne pas y voir là matière à réflexion et support pour confronter avec bienveillance ces opinions. Sur tous ces aspects, comme le livre le permettait déjà, le film sera sans doute d’une grande utilité avec l’avantage de pouvoir être regardé collectivement.

Et puis s’ajoute inévitablement l’aspect émotionnel qui est efficace. Comment ne pas se laisser emporter dans l’histoire qui, d’une façon ou d’une autre, nous concerne tous et vient faire écho à des histoires personnelles ou proches ? Et l’émotion est un élément important dans le visionnage d’un long métrage. Alors sur ce point La Cabane touche là où il faut. Les points forts du film sont donc aussi ceux qui étaient présents dans le livre éponyme.

Mais ce n’est plus simplement un livre à lire, à imaginer… la caméra est passée par là… et il faut donc aussi le dire, La Cabane n’est pas que pure réussite et on peut comprendre que la sortie française se limite hélas à l’édition et la vente de DVD. Une certaine déception générale avec l’observation d’un vrai manque de relief dans la réalisation et le scénario. Il est peut être bon de rappeler que l’adaptation d’un roman sur grand écran nécessite une ré-écriture, et qu’une bonne et belle histoire ne garantit en rien d’un bon film. Occasion aussi de dire ici que dans le cas d’une adaptation cinématographique d’un roman, il est toujours nécessaire de l’aborder avec un certain détachement par rapport au livre sous peine d’être nécessairement frustré. C’est donc ainsi qu’après avoir apprécié le livre je me suis installé devant mon écran de télévision. Mais néanmoins, le ton très « monotone » au sens d’une certaine uniformité globale, une certaine platitude me laisse sur ma faim. Regret d’une absence d’envolées dans les expressions des personnages qui ne sont pas à incriminer directement car enfermés dans un scénario trop gentil et manquant d’audace (qui pourtant était au cœur du livre). Comment, par exemple, accepter qu’une mère venant d’apprendre la disparition de sa petite dernière console gentiment le mari perclus de culpabilité sans que la colère légitime ne vienne s’immiscer, et qu’en plus elle le laisse aller tout seul sans réagir ? Ce n’est bien sûr qu’un exemple mais qui laisse comprendre une fragilité du scénario et de la réalisation. Même la bande son, qui comprend pourtant des titres de Hillsong United, de Francesca Battistelli, Skillet, Lecrae ou NEEDTOBREATHE ne sauve pas cette monotonie et a même tendance à l’amplifier. Vraiment dommage ! Et donc au final un gentil film aux côtés parfois un peu kitch, entre téléfilm et cinéma…

Mais en toute chose, gardons ce qui est bon, alors n’hésitez pas, faite vous votre propre avis et encore une fois, utilisez-le pour ses points positifs sans y chercher le nouveau joyau du 7ème art ! 

 

> DVD en VF vendu au prix de 19,90 € – Sortie officielle le 12 Juillet 2017 – Actuellement en pré-commande

Plusieurs possibilités pour le pré-commander :

https://www.paul-sephora.com/dvd-fiction/4157-la-cabane

https://librairie-7ici.com/12209-dvd-la-cabane.html