Les sorties de la semaine offrent l’occasion de découvrir un bouleversant drame social ayant reçu le prix du Jury lors du dernier Festival de Cannes. Avec une acuité flagrante, le cinéaste russe Andrey Zvyagintsev zoome sur la « faute d’amour », pour reprendre le titre français de « Nelyubov », et dresse un portrait âpre d’une société russe brutale et déshumanisée.
Avec Faute d’amour, Zviaguintsev raconte l’histoire d’un couple moscovite qui se sépare pour refaire sa vie chacun de son côté. Ils ont un fils de 12 ans qu’aucun d’eux ne veut véritablement prendre en charge et qui disparait dans la nature. Commence alors la recherche, un long calvaire pour les parents qui pourrait leur offrir l’occasion enfin, mais sans doute trop tard, de manifester leur amour pour leur enfant.
Un couple qui se déchire… rien de bien extraordinaire dans la vie comme au cinéma. Presque un classique du genre même, matière à tant d’histoires, tant de scénarios faciles… Mais ici, cette histoire banale devient argument pour dire le risque d’une société perdant le sens de la famille, de la fidélité et plus largement de la communauté et de la relation. De l’égoïsme exacerbé chez ces deux adultes qui ne se préoccupent que d’eux, de leur présent et avenir respectif en laissant sur le carreau le fruit de leur relation, plus que de leur amour… ce jeune garçon de 12 ans, Aliocha, qui sombre dans la douleur d’un abandon virtuel en passe de devenir réel. Aucune concession de la part de Zvyagintsev dans la façon acerbe de peindre les deux héros. Car en plus, ils sont beaux et ont plutôt réussi dans la vie au cœur de la société moscovite, et tout cela touche ainsi à une forme d’esthétique perverse pour aller au-delà des personnages et devenir métaphore plus vaste.
On sent derrière ce scénario extrêmement bien ficelé, qui se déroule lentement dans une rythmique assez habituelle dans le cinéma russe, que nous sommes tous un peu visés, derrière nos vitres embuées comme on le voit souvent dans les images du réalisateur, et dans nos oublis qui peuvent devenir, eux aussi, de véritables fautes d’amour.
Mais alors, il n’y a aucun espoir, me direz-vous peut-être à la fin de Faute d’amour ? Impression amplifiée en particulier quand une scène entre le père et son nouvel enfant (sans en dévoiler davantage) nous laisse penser que rien n’a véritablement changé ?… Pourtant si… Un autre regard peut se poser tout au long même du déroulement de l’histoire. Car si l’amour semble mort ou s’être travesti dans des faux-semblants il apparaît néanmoins dans la force du collectif, dans l’engagement des bénévoles qui se donnent à la recherche du disparu. On peut y voir là un paradoxe, une opposition avec la famille qui se déchire mais aussi une réalité de la société où l’associatif vient prendre souvent le relai et permet ainsi de continuer à espérer sur la nature humaine au travers de valeurs qui peuvent nous donner d’avancer ensemble, même à contre courant.
Un grand bravo de toute façon à Andrey Zvyagintsev pour la qualité globale de son œuvre. Photo, son, réalisation, travail d’acteurs… Faute d’Amour est un film intense mais aussi une belle œuvre cinématographique qui méritait bien ce Prix du Jury en Mai, mais surtout qui mérite aujourd’hui d’avoir de beaux chiffres de présences dans les salles… Espérons-le !
Cette année 2017 commence brillamment cinématographiquement avec la sortie sur les écrans français de « The Birth of a Nation » qui a reçu deux récompenses (grand prix du Jury et prix du public) à l’excellent Festival de Sundance. Il s’annonce d’ailleurs comme un candidat sérieux aux prochains oscars. Ce biopic racontant la courte vie de Nat Turner, trente ans avant la guerre de Sécession, nous plonge avec intensité et spiritualité au cœur de l’horreur de l’esclavage.
Repéré pour ses capacités à lire, le jeune esclave Nat Turner va bénéficier d’une éducation qui fera de lui un prédicateur. Pour faire face aux difficultés financières de la propriété après la mort du patriarche, son nouveau maître Samuel Turner va accepter de prêter Nat aux autres esclavagistes de la région pour qu’il prêche la bonne parole à ses frères esclaves. Mais poussé à bout par la découverte des horreurs que subissent ses camarades, Nate va échafauder les prémices d’une révolte.
Si ce film raconte un combat, il en est lui-même un résultat direct puisque l’acteur noir américain Nate Parker, qui signe là sa première réalisation, s’est véritablement battu pendant sept années pour réussir à tourner son film qu’il a du finalement lui même financer en partie. On peut se réjouir de sa victoire car si The Birth of a Nation peut au départ nous donner l’impression de voir un film de plus sur le sujet de l’esclavage (avec notamment quelques mastodons comme 12 years a slave ou Django unchained qui le précèdent) il n’en est pas tout à fait ainsi. The Birth of a Nation peut en effet être vu comme une sorte de manifeste, fondé sur l’histoire et non sa manipulation pure et simple comme l’avait été un autre film du même nom (sorti en 1915 et immensément raciste faisant du Klux Klux Klan de véritables héros). La vision héroïque de cette révolte sanglante mais tragique qui nous est présentée par Nate Parker nous permet de comprendre que dans cette page d’histoire se trouve certainement une référence fondatrice dans la lutte pour l’émancipation.
C’est donc un récit extrêmement fort qui en plus pose plusieurs problématiques venant amplifier l’histoire et nous conduire à réfléchir. Il est question tout d’abord de spiritualité. Nat Turner devient prédicateur et les versets de la Bible coulent dans sa bouche avec une facilité déroutante procurant un impact reconnu de tous et surtout de la part des esclavagistes qui y voient là un outil de manipulation pratique (mais honteux). On se rend alors compte comment une parole religieuse, même si elle se veut à la base positive, peut aussi devenir une arme perverse en fonction de son utilisation… On notera que dans notre réalité d’aujourd’hui cette problématique est toujours présente et dévastatrice. Nat le réalisera vite avec amertume et douleur, en se confrontant à l’horreur de la situation (une précision sans doute nécessaire justement concerne des scènes de torture particulièrement violentes, nécessaires mais difficilement supportables). Ses larmes sur son visage parleront alors plus que ses mots. Sa prière de bénédiction pour un repas festif des tyrans blancs raisonnera alors avec une force spirituelle extraordinaire…
Se pose aussi le problème de la soumission ou, à l’inverse, de la rébellion contre le mal. Et si le combat semble la seule issue, doit-il nécessairement passer par la violence et les armes ou rester comme Martin Luther King, une autre figure majeure de l’histoire afro-américaine, le préconisera plus tard, pacifique et non-violent. Qu’est ce qui peut, d’ailleurs, faire basculer d’une position à une autre ? Quid aussi, évidemment, des conséquences de cette violence ?
Dans cette histoire, un autre personnage est particulièrement important. Il s’agit du maître de Nat qui nous apparaît avec une certaine compassion et bienveillance… même si il demeure un esclavagiste patenté. Quelle part d’humanité peut-il se trouver au cœur du mal ? Et jusqu’où la bienveillance s’arrête-elle alors ?
On sait que la réussite d’un film passe prioritairement par une histoire. Elle est donc brillamment présente, vous l’aurez compris. Mais d’autres aspects sont à considérer… acteurs, musique, photo, montage… et alors, pour une première réalisation, Nate Parker peut nous étonner par son grand professionnalisme sur tous les points. Et en particulier dans sa prouesse de jouer le rôle du prêcheur esclave avec un talent incroyable. Autour de lui, le reste du casting est excellent, jusque dans la « caricature » de certains affreux personnages, comme Jackie Earle Haley qui incarne un chasseur d’esclaves à faire vomir ! Armie Hammer le maître de Nat est d’une grande et belle justesse et puis il y a la magnifique Aja Naomi King qui joue le rôle de celle qui deviendra l’épouse de Nat.
Enfin, pour conclure et peut-être comme dernier argument pour vous convaincre de ne pas bouder ce long métrage, The Birth of a Nation est en plus une superbe histoire d’amour. Et comme MLK l’a dit… si la haine obscurcit la vie, l’amour la rend lumineuse ! Alors, ne vous privez pas. Entrez dans l’obscurité et que la lumière soit…
Arrivant au terme de ce 68ème Festival de Cannes, et dans l’attente des différents palmarès dont celui du Jury œcuménique aujourd’hui à 17h, le temps m’est donné pour oser vous partager « mon palmarès » tout à fait subjectif. Il n’y a rien à gagner, rien à perdre non plus… juste refléter un peu mes impressions.
Palme d’or : YOUTH de Paolo Sorrentino
Grand Prix : MIA MADRE de Nino Moretti
Prix de la mise en scène : Denis Villeneuve pour SICARIO
Prix du scénario : Yorgos Lanthimos pour THE LOBSTER
Prix d’interprétation féminine : Rooney Mara dans CAROLL de Tood Haynes
Prix d’interprétation masculine : Vincent Cassel dans MON ROI de Maïwenn
Prix du Jury : SAUL FIA par Laszlo Nemes
Alors les dés sont jetés… nous verrons bien dimanche soir quel est le véritable palmarès…
Cinq ans, jour pour jour, après les faits réels, sort sur les écrans français l’adaptation du tragique fait divers de Fruitvale Station.
Le 1er janvier 2009 au matin, Oscar Grant, un afro-américain de vingt deux ans, est abattu par un policier d’une balle dans le dos à la station de Fruitvale à Oakland, près de San Francisco, dans la confusion d’une bagarre au retour d’une sortie avec quelques amis et sa fiancée pour participer au feu d’artifice du nouvel an.
L’agent de police incriminé, arguant qu’il avait confondu son arme et son taser, a finalement été condamné pour homicide involontaire à deux ans de prison et en est sorti quelques mois après. L’affaire, filmée par les caméras de surveillance du métro, puis le verdict du procès ont déclenché des vagues de protestation, parfois violentes, attisées par les images du drame diffusées en boucle sur les chaînes de télé et sur le web.
Ryan Coogler, jeune cinéaste de vingt sept ans originaire précisément d’Oakland, en a tiré un film, son premier, faisant le choix de raconter les vingt quatre heures qui ont précédé cette tragédie. Cette dernière journée lui permet de nous dessiner le portrait extrêmement attachant d’un jeune noir de San Francisco qui est loin d’être parfait, qui se pose beaucoup de questions sur sa vie, mais surtout qui n’est pas un mauvais garçon, ni un mauvais père. Ce que le réalisateur nous dit là finalement, sans vouloir faire de son travail un film polémique, c’est qu’Oscar ne méritait pas de finir comme cela.
Les faits de société, faits divers ou autres problèmes de fond peuvent nous faire perdre la réalité d’existences individuelles, d’histoires personnelles. Ils ont tendance à nous focaliser sur l’ « angle majeur » du problème mais oublier la personne et sa réalité propre. Ryan Coogler (épaulé à la production par l’excellent Forest Whitaker) fixe précisément sa caméra habilement en contrechamps du récit. Nous retrouvons alors Oscar dans son cheminement personnel, une vie encore brouillonne, avançant par toutes de sortes de détours vers un rêve tranquille : se marier, et d’abord trouver comment acheter la bague. Et on le suit alors avec sa maman qui prie et qui ne veut pas renoncer, on a même envie de l’épauler dans ses combats contre ses « vieux démons » qui tentent de surgir à tout moment… jusque dans cette nuit où la tragédie éclate et bouleverse. Oscar meurt et le film revient à des informations récapitulatives : le policier qui avait tiré a été condamné et a fait très peu de prison. L’affaire a été classée.
Voilà un film qui fait mémoire et qui nous donne à réfléchir. C’est d’ailleurs l’un des points forts d’un cinéma contemporain que j’apprécie et qui ne se satisfait pas de simplement distraire ou faire bien, mais qui nous entraine dans une quête personnelle, ne nous délivre pas forcément des réponses mais pose d’importantes questions. Ce film en fait partie et il touche aussi avec force nos émotions. Même avec des parcours bien différents, nous avons tous un peu d’Oscar Grant en nous. Nous ne pouvons rester insensible à sa vie, à ses échecs, à ses bonheurs et à sa fin. Quand les questions de racismes ressurgissent régulièrement dans les médias, quand la peur de l’autre devient un argument ou une arme politique… alors on se dit que des films comme « Fruitvale Station » font du bien et sont nécessaires. Et d’ailleurs plusieurs festivals ne se sont pas trompés et ont déjà remis plusieurs prix élogieux : Grand prix du Jury et prix du public à Sundance, prix du public et de la révélation Cartier à Deauville.
Sortie en salle : 01-01-2014
Durée : 85 min
Scénario et réalisation : Ryan Coogler
Production : Forest Whitaker & Nina Yang Bongiovi
Avec : Michael B. Jordan, Melonie Diaz, Octavia Spencer, Kevin Durand…
The place, Billie, Drunk, Michel-Ange… Toute l’actualité ciné avec Jean-Luc Gadreau, journaliste et blogueur.
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