Après deux immenses succès aux festivals de Venise et de Toronto, Three Billboards vient de s’adjuger la part du lion à la cérémonie des Golden Globes en faisant main basse sur quatre récompenses reines : meilleur film dramatique, meilleure actrice, meilleur scénario et meilleur second rôle. Le film du réalisateur irlandais Martin McDonagh vient de sortir ce mercredi sur les écrans français et s’avère être déjà en ce tout début d’année l’un des très grands films de l’année.
Pour faire avancer l’enquête stagnante sur sa fille tuée et violée, Mildred Hayes loue 3 énormes panneaux publicitaires afin de faire passer un message aux autorités locales. À l’image de l’enquête, ces panneaux sont à l’abandon – ils sont jugés inintéressants car perdus sur une route peu empruntée alors qu’au même moment la police délaisse l’affaire par manque d’éléments et d’autres préoccupations pas forcément très honorables.
Il faut le dire tout de suite, cette histoire se situe en plein Missouri, au cœur de ce que l’on pourrait appeler l’Amérique profonde… qui offre d’ailleurs une fois de plus un environnement de choix pour réaliser un mémorable long métrage. On pense évidemment aux films des frères Coen et sans chercher à faire obligatoirement des comparaisons on est bien là avec un objet cinématographique du même calibre. Humour grinçant, personnages haut en couleur, pas de bons ou de méchants… de nombreux retournements de situation inattendus, une intrigue insolite qui frise entre le polar et la comédie redneck et des acteurs vraiment géniaux ! Three Billboards nous accroche dès les premières minutes et nous mène inlassablement jusqu’au générique après une fin qui, personnellement, m’a enchanté (mais je resterai silencieux sur le sujet).
Je parlais à l’instant des acteurs, impossible de ne pas évoquer en tout premier lieu la grandiose Frances Mcdormand (que l’on avait pu voir notamment dans Fargo) dont le personnage est hanté par la mort de sa fille et qui est prête à tout pour que la police trouve le ou les coupables du viol et du meurtre innommable de son enfant. Frances témoigne d’une force de caractère purement exceptionnelle, faisant de son rôle le cœur battant de l’histoire. Une femme totalement fracturée psychologiquement qui ne courbe pourtant jamais l’échine, mû par une forme de rage contre à la fois Dieu et les hommes et forte d’une carapace forgée dans les coups, les trahisons et la souffrance. Un portrait stupéfiant qui dévoile ici et là pourtant une fragilité saisissante. Mais avec Frances Mcdormand, le casting ne fait que commencer et strictement aucun rôle n’est laissé à la marge ou mal incarné, chacun trouvant une utilité dans la création d’une cohérence globale au récit. Il y a surtout Woody Harrelson en chef de police attachant, fragilisé et désarçonné par un cancer qui le ronge et également Sam Rockwell vraiment exceptionnel. Il joue un policier raciste, stupide, violent et alcoolique qui vit encore chez sa mère. Un type parfaitement détestable qui pourtant dévoile in fine d’étonnants aspects de sa personnalité. Et puis on a aussi le droit au talent et à la classe de Peter Dinklage (le Tyrion Lannister de Game of Thrones), à Samara Weaving jouant admirablement une jeune et jolie idiote ou encore Caleb Landry Jones dans la peau du publicitaire qui va passer un sale quart d’heure. Chaque personnage est dessiné talentueusement avec toutes ses contradictions et ses travers.
Pour élargir la réflexion, je dirai que Three billboards est pour moi d’abord un drame intimiste bouleversant. Martin McDonagh y aborde des thématiques universelles de façon très originale. La famille, la mort, le deuil, la vengeance, l’acceptation de l’autre, le jugement et la possibilité offerte de changer… des thématiques souvent délicates et sensibles, mais traitées ici avec une justesse remarquable notamment grâce à l’apport de cet humour d’une rare efficacité. On se surprend alors à sourire, voire à rire à des moments les plus inattendus dans ce type de drame et finalement cet humour décalé fonctionne un peu comme une soupape de sécurité bienvenue.
En bref, Three billborads est une vraie pépite cinématographique, avec du suspense, du rire, de l’émotion et énormément d’humanité… On cherche donc très vite le cinéma du coin où il est programmé et on s’y précipite sans hésiter !
Changement de climat à Cannes en ce troisième jour de Festival. Mais ne regardez pas vers le ciel, ou votre Miss Météo… c’est sur les écrans que ça se passe !
C’est en effet dans une ambiance plus stressante que cette journée commence. Cannes ouvre ses sélections (officielle et « Un certain regard ») à deux films qui nous transportent dans l’univers policier. Enlèvement, suspense, réseau pédophile pour Captive, un film canadien d’Atom Egoyan et l’adaptation d’un Siménon, la chambre bleue, pour le dernier Mathieu Almaric où une liaison adultère se transforme en double meurtres (ou pas…). Deux films rondement menés de façons très différentes et avec des conclusions très opposées.
Captives nous plonge au cœur d’une enquête où huit ans après la disparition de Cassandra, quelques indices troublants semblent indiquer qu’elle est toujours vivante. La police, ses parents et Cassandra elle-même, vont essayer d’élucider le mystère de sa disparition. L’histoire mélange alors ces moments de dénouement au récit même de l’histoire et au drame psychologique que vivent les deux parents. On découvre progressivement l’horreur des faits, la perversité innommable des personnes impliquées et les difficultés que rencontrent les enquêteurs.
On se laisse facilement prendre par l’histoire magnifiquement ficelée avec minutie par Atom Egoyan et surtout par le jeu remarquable de Ryan Reynolds. Intéressant, par ailleurs, de retrouver cet ex-super héro des productions hollywoodiennes dans le rôle de ce père de famille totalement laminé par la perte de sa fille, sans aucun supers pouvoirs en l’occurence mais n’abdiquant pourtant jamais. Et pour une fois, apprécions que les histoires ne finissent pas toujours mal (comme c’est désormais si souvent le cas sur les écrans), même si certaines « critiques » le préfèrent néanmoins et ont alors une fâcheuse tendance à conspuer ce qui redonne un peu d’espoir dans ce monde un peu trop souvent sombre.
Pour La chambre bleue, c’est avec l’enquête du juge d’instruction que nous suivons l’affaire : Un homme et une femme s’aiment en secret dans une chambre, se désirent, se veulent, se mordent même. Puis s’échangent quelques mots anodins après l’amour. Du moins l’homme semble le croire. Car aujourd’hui arrêté, face aux questions des gendarmes et du juge d’instruction, Julien cherche les mots. « La vie est différente quand on la vit et quand on l’épluche après-coup ». Que s’est-il passé, de quoi est-il accusé ?
Ce polar à la française (où Poitiers se retrouve plusieurs fois citée) nous présente un homme se retrouvant emprisonné par son histoire, subissant les événements, une sorte de victime consentante (ou coupable ?…), filmé de surcroit au format 1/33, ce qui ne fait qu’ajouter une sensation d’enfermement et d’isolement au déroulement du récit. Une histoire d’amour, de tromperie, de peur où finalement tout reste flou et abstrait et où chacun peut se faire son idée, même si certains indicateurs sont là possibles à décrypter. Un bien joli film parfaitement maitrisé par un Mathieu Almaric toujours aussi habile.
Et puis enfin, j’évoquerai le film autrichien du jour dans la sélection « Un certain regard », Amour fou de Jessica Hausner, une « comédie romantique » librement inspirée du suicide du poète Heinrich von Kleist en 1811. Ce qui peut ressembler à une sorte de farce tragique entre théâtre et cinéma devient une sorte d’essai cinématographique et nous donne l’occasion de philosopher sur le sens de l’amour, de la vie, ou de la mort, de la liberté… et même des impôts.
« On croit vouloir vivre alors qu’en fait on veut mourir » est l’une des répliques cinglantes de ce jeune poète tragique Heinrich qui souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l’amour. Il tente alors de convaincre sa cousine Marie, qui lui est proche, de contrer le destin en déterminant ensemble leur suicide, mais Marie, malgré son insistance, reste sceptique. Heinrich est déprimé par le manque de sensibilité de sa cousine, alors qu’Henriette, une jeune épouse qu’Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable.
Intéressant et original sujet au cœur de ce festival, surtout quand Jessica Hausner explique ce qui l’a motivé à travaillé ce thème : « C’est pour moi paradoxal de penser qu’on peut mourir à deux. On est irrémédiablement seul face à la mort, puisque son essence même est de couper nos liens avec les autres. C’est ce paradoxe qui m’intéressait. » et d’ajouter « Ce film se veut un essai sur l’ambivalence du sentiment amoureux : on peut se sentir très proche l’un de l’autre à un moment précis et remarquer tout de suite après que c’était un malentendu ; ou encore éprouver des émotions contradictoires pour une personne qu’on n’aime en fait plus depuis longtemps. » La force de ce film réside finalement sans doute dans le fait d’aborder ces questions particulièrement difficiles au travers de l’absurde et de la dérision… mais toujours avec subtilité et élégance.
The place, Billie, Drunk, Michel-Ange… Toute l’actualité ciné avec Jean-Luc Gadreau, journaliste et blogueur.
SISTER SOUL
Découvrez le dernier livre de JL Gadreau
NOUVEAU ! « Je confine en paraboles »
Chaque jour à 7h45 , pendant ce temps de confinement, je vous propose ma minute-vidéo « Je confine en parabole »… histoire de bien démarrer la journée.
Que celui qui a des oreilles…