UN P’TIT VÉLO DANS LA TÊTE

Haute teneur poétique sur grand écran avec « Raoul Taburin a un secret », une comédie-fable du réalisateur Pierre Godeau qui signe une adaptation tendre, drôle et profonde de l’album éponyme de Sempé, superbement portée par les acteurs Benoît Poelvoorde et Edouard Baer.

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Synopsis : Raoul Taburin est un spécialiste en réparation de vélos et est un véritable expert en la matière. Mais il cache un secret qui le pèse : le grand expert en vélos ne sait pas faire de vélo lui-même. Il ressent cette carence comme une véritable malédiction. L’histoire d’un immense malentendu ou celle d’un imposteur malgré lui…

Tendresse et fantaisie forment, bien évidemment, le duo gagnant de cette jolie histoire imaginée par Sempé, dont l’écriture du récit paru en 1995 (Denoël) lui fut inspirée par son amour du vélo. Grâce notamment à une mise en scène rigoureuse, cherchant à révéler la beauté des choses et des personnages, le réalisateur Pierre Godeau nous livre une œuvre pleine de charme avec son Raoul Taburin. Le cinéaste joue admirablement bien avec les codes du conte pour tourner les pages de la vie de Saint-Céron, petit village drômois qui fleure bon la lavande et de ses habitants pittoresques. Benoît Poelvoorde trouve alors là le cadre parfait pour faire des merveilles à l’écran, comme d’ailleurs le reste du casting dont Edouard Baer, Suzanne Clément, Victor Assié ou Vincent Desagnat en sont quelques exemples mais comme aussi l’ensemble des enfants, tous magnifiques dans leurs rôles respectifs.

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Alors on pourrait en rester là, et se dire qu’aller voir ce film est une belle idée pour passer 1h30 agréables… Cool Raoul ! OK… Mais ce serait passer tout de même à côté d’une portée beaucoup plus profonde qui accompagne ce récit. On parle de fable, de conte, de parabole… et l’histoire de Raoul Taburin nous conduit à réfléchir ainsi aux apparences et à l’identité dans laquelle on se construit ou plutôt on nous construit, parfois même comme une douleur, ou un secret qui s’installe et qui alourdi jour après jour la marche ou la selle du vélo ! C’est ce que nous révèlent, par exemple, les vêtements de chaque personnage qui restent identiques, même quand les années passent. L’habit ne fait pas moine paraît-il… mais ici ils nous rappellent que l’extérieur peut devenir enfermant et étouffant. C’est aussi le nom qui prend le pas sur la chose… on ne dit plus vélo, mais taburin… ni photo, mais figougne, comme on dit une poubelle (Eugène Poubelle), une béchamel (Louis Béchameil de Nointel) ou une silhouette (Etienne de Silhouette). Par effet d’entraînement, à Saint-Céron, on dira une frognard, pour Auguste Frognard, le boucher-charcutier, « prince dans l’art de préparer les jambons ». Ou une bifaille pour Frédéric Bifaille, opticien dont « la vaillance à rectifier les myopies, les hypermétropies, les strabismes et les astigmatismes lui valait l’honneur de vendre des paires de bifailles ».

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Il y a le poids du secret qui peut devenir imposture. L’interprétation des signes qui nous confortent dans le silence. Une réflexion sur l’héroïsme… sur la famille et l’amour… mais surtout n’allez pas croire que tout cela peut devenir « prise de tête », non jamais, au contraire. Car c’est la simplicité qui l’emporte toujours, sans jamais devenir niaise ou superflue, donnant un petit quelque chose d’agréablement merveilleux, qui fait du bien, qui donne le sourire, nous emmène en balade hors du temps entre rires et émotion.

Raoul Taburin, un régal pour tous ceux qui ont gardés une âme d’enfants…

AIMER EPERDUMENT… À PERDRE LA RAISON

Éperdument est une adaptation de Défense d’aimer (Presses de la Cité, 2012), de Florent Gonçalves, dans lequel cet ancien directeur de prison racontait ses amours avec une détenue, qui avait été utilisée comme « appât » dans l’affaire du « gang des barbares ».

Le réalisateur Pierre Godeau a décidé d’adapter cette passion impossible au cinéma, en supprimant toute allusion à  à ce fait divers sordide. Il choisit de ne se concentrer que sur la passion amoureuse qui se développe entre les deux protagonistes interprétés avec brio et sensualité par Guillaume Gallienne et Adèle Exarchopoulos. Peu nombreux auraient sans doute été ceux à parier sur ce duo, mais pourtant le choix est remarquable et fonctionne à merveille. C’est d’ailleurs la grande réussite du film qui donne force à l’histoire qui, finalement, en ne se fixant que sur la passion, n’est pas tellement fournie.

Au-delà de la performance d’acteurs, deux autres points positifs m’on permis de passer un très bon moment. Tout d’abord c’est la qualité du travail effectuée pour rendre la réalité du l’univers carcéral féminin. J’y vois une grande justesse qui pourrait nous donner parfois l’impression d’être dans un documentaire en immersion. Et si parfois certaines lourdeurs peuvent néanmoins apparaître, l’ensemble reste très cohérent. Et enfin c’est la thématique en elle-même qui accroche. Ce questionnement sur la folie d’une passion amoureuse qui peut amener cet homme à tout perdre, à agir avec une folie furieuse (du moins pour le regard extérieur), sur le basculement d’une vie par amour, l’auto-destruction qui peut en découler… la complexité des rapports amoureux, l’interrogation sur le jeu entre manipulation et séduction… le sens de la famille et sa fragilité. Des sujets finalement à la fois très classiques et tellement compliqués, en tout cas universels mais qui dans le contexte si particulier de cette histoire prennent une tournure intéressante et touchante.