REGLEMENT DE COMPTE (GLACIAL) A L’OMBRE D’UN ARBRE ISLANDAIS

Le film de la semaine nous vient du grand nord et balance une vraie fraicheur dans les sorties estivales, agrémentée d’une jolie dose de noirceur esthétique mais rudement efficace. On le sait bien maintenant, le cinéma scandinave met la barre haute depuis quelques années et les islandais ne sont pas en reste… bien au contraire. Ainsi, avec « Under The Tree », Hafsteinn Gunnar Sigurðsson fait mouche une fois de plus et plante littéralement le spectateur comme un bel arbre au milieu du jardin !

 

Atli, accusé d’adultère par sa femme, est forcé d’emménager chez ses parents. Il se retrouve malgré lui plongé au sein d’une querelle de voisinage, dont le déclencheur est l’ombre imposante d’un arbre entre les deux maisons. Leur banal conflit se transforme en guerre sans pitié.

 

Under The Tree est bel et bien une fable sociétale grinçante pointant du doigt avec quelle fatalité le vernis de l’apparence peut se craqueler au moindre soubresaut et, tel un séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter, révéler nos pires instincts bestiaux détruisant tout à l’épicentre et laissant ressentir des secousses à des kilomètres à la ronde. Mais pour se faire, point de bulldozer cinématographique, d’effets spéciaux tape à l’œil ou, à l’inverse, de niaiseries irracontables… ici, avec Sigurðsson, c’est la maitrise du sujet qui l’emporte, faite de sobriété, d’une mise en scène paramétrée au micron, d’une musique anxiogène, d’une interprétation soignée digne d’une dentelle de Calais, d’une photo et de plans de coupe implacables, d’un humour noir très flegmatique et d’une intelligence d’écriture haut de gamme, acide, glaciale et féroce à la fois.

 

 

Concrètement, Under The Tree se construit au travers de deux intrigues aux tonalités différentes qui s’entremêlent « joyeusement », se faisant écho, se portant mutuellement mais sans véritablement se rejoindre. Entrons quelque peu dans le scénario sans risque de spoiler ce qui ne devrait surtout pas l’être… Deux trames concomitantes, deux lignes narratives donc… avec une première qui suit un jeune homme en pleine procédure de séparation conflictuelle et une seconde suivant les parents de celui-ci dans leur pugilat de voisinage. Ce couple âgé de la banlieue de Reykjavík, toujours meurtri par la disparition de l’un de leurs deux fils, se retrouve donc à devoir faire face à la séparation amoureuse de l’autre. Mais c’est sans compter, qui plus est, sur la nouvelle jeune compagne du voisin, qui ne supporte plus l’arbre planté dans le jardin du couple, la gênant, et l’empêchant notamment de faire bronzette… Mais la mère endeuillée, profondément aigrie, dépressive, et particulièrement jalouse, voit d’un très mauvais œil que cette femme vienne mettre son grain de sel dans son petit univers vital, voyant sa demande comme une attaque la frappant involontairement de nouveau en plein cœur, au regard de la disparition de son aîné. À côté de cela deux maris qui se détendent à la chorale pour l’un et au tir de précision pour l’autre… et quelques faits banals du quotidien. Le réalisateur Hafsteinn Gunnar Sigurðsson installe alors le spectateur dans une atmosphère qui se tend progressivement. Il joue pleinement avec lui et envenime des situations de plus en plus savoureuses en les laissant presque toutes libres d’interprétation, ce qui est là aussi d’une grande intelligence !…

Derrière tout ça, Sigurðsson nous offre, comme un cadeau somptueux, une vraie parabole pour notre temps. Cette petite démonstration d’incommunicabilité peut aisément être lue comme la métaphore de n’importe quel conflit qui agite notre monde. On appréciera d’ailleurs le choix d’un arbre, objet particulier et symbolique dans toutes les cultures, comme point de départ de l’un des conflits qui renforce plus encore l’universalité du propos. L’axe principal du long métrage se construit comme une étude terriblement acide des rapports sociaux. Le réalisateur met ainsi en lumière les zones d’ombre tant de ses personnages que de tout comportement social en les poussant à l’extrême. Car ici, en y regardant de plus près, toutes les situations, même les plus insignifiantes sont dans cette veine là… le moindre rôle, la plus insignifiante scène du métrage, tout participe à observer la complexité des rapports humains. Jalousie, frustration, vengeance, raideur morale ou laxisme, douleur, espérances, amertume… et surtout mise en lumière de notre incapacité trop courante à communiquer, démontrant alors que ce que nous appelons communication n’est hélas trop souvent qu’une série de monologues parallèles ou moyens de défense pour ne pas dire d’armes de poing terriblement affutées et tranchantes.

 

Au final Under The Tree est pour moi un film drôlissime et terriblement fascinant, proposant une étude féroce des comportements humains qu’il faut, bien entendu, voir et qui restera à revoir encore comme un bon film qui se bonifie avec le temps.

 

NEBRASKA

Imaginez un membre âgé de votre famille vous annoncer qu’il vient de gagner le gros lot à la loterie de son catalogue de VPC favori, et qu’il part donc chercher son lot de l’autre côté du pays. Voilà le pitch de Nebraska, le dernier film d’Alexander Payne, présenté et vu pour moi à Cannes le 23 mai 2013. Et je dois vous avouer, ce fut mon véritable coup de cœur de ce dernier festival. Voici donc le moment, à l’occasion de sa sortie en salles, de vous en dire quelques mots.

Voici l’argument du film : Un vieil homme, persuadé qu’il a gagné le gros lot à un improbable tirage au sort par correspondance, cherche à rejoindre le Nebraska pour y recevoir son gain… Sa famille, inquiète de ce qu’elle perçoit comme le début d’une démence sénile, envisage de le placer en maison de retraite, mais un de ses deux fils se décide finalement à emmener son père en voiture chercher ce chèque auquel personne ne croit. Pendant le voyage, le vieillard se blesse et l’équipée fait une étape forcée dans une petite ville en déclin du Nebraska. C’est là que le père est né. Épaulé par son fils, le vieil homme retrace les souvenirs de son enfance.

Je dois vous avouer que, lors des première minutes du film, je suis resté un peu dubitatif… en attente. Je n’avais rien lu sur le film, et je venais donc tout frais, sans à priori quelconque. Et tout commence donc avec la découverte de ce personnage joué par Bruce Dern. Une « gueule »… un papi désagréable et paraissant tout proche d’un début de sénilité. Le temps risquait d’être un peu long pour moi… ça arrive parfois dans les festivals. Mais que nenni  !  Bien au contraire… avec lui commence alors un vrai voyage. Bien réel sur la route en direction du Nebraska, mais aussi, de façon subtile et plein de tendresse, dans la vie de ce personnage, son histoire et dans celle d’une relation père-fils ayant fortement besoin d’être restaurée. Sur cette route en Noir et Blanc, d’autres personnages sont croisés, des histoires du passé remontent à la surface, des ressentiments apparaissent, des choses se règlent, des noeuds se dénouent… la vie passe.

Si le point de départ de l’histoire semble assez peu porteur et si un risque d’approche larmoyante, voire pathos existe forcément avec ce genre de scénario, Alexander Payne ne tombe pas dans le panneau. Il manie avec justesse les astuces du scénario. Il choisit l’élégance du N&B et offre une photo remarquable. Et par-dessus tout, à la tendresse des personnages il y ajoute une bonne dose d’humour du début à la fin, et même dans les moments les plus improbables de l’histoire. L’ensemble forme alors un délicieux objet cinématographique qui ne se tarira pas au fil des années et qui risque même de se bonifier comme un bon vin, j’ose prendre le pari !

Et puis comment ne pas évoquer aussi tout ce qui se joue humainement tout au long de ce road movie, qui devient petit à petit une vraie parabole pour aujourd’hui. J’évoquais la restauration d’une relation père-fils malmenée jusqu’à ce jour. C’est manifestement l’un des grands thèmes de ce film. Et c’est en étant en route ensemble que Woody Grant et son fils cadet vont enfin apprendre à se connaitre et peut-être même à se comprendre. Les apparences sont en effet souvent trompeuses mais le vernis s’est parfois tellement incrusté sur plusieurs couches que ce qui est en-dessous a bien du mal à réapparaitre… surtout si, en plus, les autres autours en rajoutent en vous figeant dans des stéréotypes dégradants… Et puis, faut-il encore profiter des occasions qui se présentent à nous, ces portes qui s’ouvrent soudainement nous permettant de changer l’histoire, c’est ce que David Grant saura faire… seul contre tous les autres et peut-être même contre lui-même. Et enfin, même s’il ne figure pas au générique, il y a aussi un autre « acteur » immuablement présent tout au long de ce récit. C’est le temps… ce temps qui s’écoule inexorablement et qui nous conduit, nous pousse à faire des choix et à subir ou traverser les conséquences qui en découlent. On parle parfois de « feel-good movie »., de façon un peu péjorative… Nebraska aura été pour moi un « feel-very-good movie »… et ça c’est drôlement bien, et ça vaut tout les gros lots du monde !

Un (vieux) père (un peu fêlé)  avait deux fils (et une femme peu engageante). Un jour il voulut prendre la route (vers le Nebraska, coute que coute)… et son fils cadet fit ce chemin avec lui…