Au cinéma cette semaine, A United Kingdom, un chapitre oublié de l’Histoire britannique, un épisode riche en manigances politiques résonnant de racisme “subversif” et d’esprit colonialiste. Mais, c’est aussi une histoire qui montre que l’amour peut dépasser toutes les frontières et tous les tabous.
En 1947, Seretse Khama, jeune Roi du Botswana et Ruth Williams, une londonienne de 24 ans, tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Tout s’oppose à leur union : leurs différences, leur famille et les lois anglaises et sud-africaines. Mais Seretse et Ruth vont défier les ditkats de l’apartheid. En surmontant tous les obstacles, leur amour a changé leur pays et inspiré le monde.
Cette véritable histoire d’amour bouleverse les stéréotypes habituels quand on aborde les jeux de pouvoir, les questions raciales ou autres formes de métissage. La réalisatrice Amma Asante, anglaise, née de parents ghanéens, a trouvé dans ce scénario des thèmes qui lui sont chers et elle les transcende précisément en mettant en avant ces inversions de rôles : Seretse, l’homme noir, est de lignée royale, et c’est Ruth, la femme blanche issue de la classe moyenne, qui est perçue comme de statut inférieur. De plus, si le gouvernement britannique, par crainte d’offenser l’Afrique du Sud de l’Apartheid, s’oppose à ce mariage, une autre forme de racisme apparaît au cœur même de la tribu de Seretse.
On pourra apprécier de la part d’Asante une vraie finesse d’analyse politique dans la façon de nous faire parvenir cette romance historique. Elle y fait apparaître avec grande intelligence les nombreuses ambiguïtés et complexité de l’histoire sans poser, avec facilité, un jugement trop manichéen.
Bonheur aussi de retrouver l’excellent David Oyelowo, qui multiplie les incarnations héroïques, passant d’un biopic à un autre et ainsi de la peau de MLK à celle de ce prince progressiste du Béchuanaland. L’alchimie fonctionne de plus parfaitement dans le duo qu’il forme avec Ruth Williams ou plutôt Rosamund Pike, dans la vraie vie, cette actrice britannique à la filmographie plutôt réussie et diversifiée qui s’était faite particulièrement remarquer dans Gone Girl de David Fincher. Enfin, comment ne pas évoquer aussi la superbe photo du film de Sam McCurdy qui rend compte avec magnificence de l’extraordinaire beauté de la nature sauvage du Botswana. On apprécie évidemment le choix de tourner en extérieur sur les lieux même de l’histoire et plus précisément pour ce qui est de l’Afrique en périphérie des villes de Serowe et de Palapye.
A United Kingdom, avec simplicité, est un très beau manifeste pour le courage et la force des convictions et c’est avant tout pour cela qu’il faut aller le voir, même si la jolie histoire d’amour qui le porte peut, bien entendu, également émouvoir.
Il y a des histoires qui construisent la société et le vivre ensemble mais qui pourtant ne sont pas forcément connues de tous. Jeff Nichols avec son nouveau film Loving, présenté cette année en compétition au Festival de Cannes, nous en raconte une… de la plus belle des façons possibles.
Mildred et Richard Loving s’aiment et décident de se marier. Rien de plus naturel – sauf qu’il est blanc et qu’elle est noire dans l’Amérique ségrégationniste de 1958. L’État de Virginie où les Loving ont décidé de s’installer les poursuit en justice : le couple est condamné à une peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu’il quitte l’État pour 25 ans. Richard et Mildred iront jusqu’à la Cour Suprême qui, en 1967, casse la décision de la Virginie. Désormais, l’arrêt « Loving v. Virginia » symbolise le droit de s’aimer pour tous, sans aucune distinction d’origine.
Beaucoup de films nous ont déjà raconté l’esclavage et ses conséquences, la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, ou y font directement référence d’une façon ou d’une autre. Mais Loving ne le fait justement pas comme les autres, grâce à ce qui touche au génie chez Nichols, et qui me fait le considérer comme l’un de mes réalisateurs préférés. Ici, c’est la légèreté qui prédomine. Légèreté à ne pas prendre au sens péjoratif du terme mais au contraire comme une douceur, une vraie tendresse qui raconte une histoire d’amour, celle des Loving. Pas de violence, aucun excès sous aucune forme. Mais des personnages avec leurs émotions, leur vérité, leurs peurs, leurs joies, leur simplicité. Jeff Nichols restitue tout cela. La caméra suit ce couple, cette famille, leur amour, avec, peut être comme chez Ken Loach (mais autrement), une expression d’humanité particulièrement puissante. Nul besoin d’en dire trop, de surgonfler l’histoire qui se suffit à elle même. C’est même parfois le silence qui en dit plus… le silence, par exemple, de cette bonne nouvelle annoncée à Mildred par téléphone. Rien n’est dit pour le spectateur mais tout est compris juste dans le visage de Rutt Negga cette actrice formidable. La bande son, remarquable, sait aussi se mettre en pause quand il le faut et respecter l’action.
Douceur du cheminement pour dire la souffrance et l’horreur de la haine et du racisme. Mais emballements possibles aussi parfois, permettant notamment de saisir les tensions et luttes internes des personnages. C’est par exemple la peur qui surgit chez Richard Loving quand il voit arriver au loin la voiture de son beau frère à vive allure, déclenchant un nuage de poussière dans ce paysage de campagne bucolique. C’est encore quand tout s’accélère au moment d’une partie de base-ball avec les jeunes enfants du couple Loving, et dans le même temps le risque d’accident sur un chantier pour le père. . On est pris, tout semble vaciller, on s’attend au pire… mais non, la sérénité l’emporte comme une vague d’espérance qui continue d’avancer.
Et puis il y a le sujet profond. Cette lutte pour les droits civiques, cette décision de justice qui ira jusqu’à modifier la constitution des Etats-Unis. Deux choses me semblent importantes à relever. Tout d’abord, qu’encore une fois nous est montré, qu’il en va de l’implication et de la volonté courageuse de parfois un ou deux individus. Même face aux plus grandes murailles semblant indémontables, ce n’est pas forcément une foule qui fait changer les choses ou du moins pas seulement, mais cela passe par chacun dans ce qu’il peut faire, dans ce qui lui revient de faire. Et la justice est un élément clé qui ne peut être facultatif. Ces deux avocats qui porteront les Loving jusqu’à la Cour Suprême en sont les témoins. Et enfin, il y a ces parpaings que Richard pose pour construire, et qui reviennent encore et encore comme un plan qui constitue une sorte de refrain au film. Des murs qui se montent pour bâtir une maison mais qui semblent ne jamais en finir. Un refrain qui nous rappelle que la lutte n’est jamais finie, que l’égalité, la justice, la fraternité sont toujours à construire.
Jeff Nichols l’a fait. Après Take Shelter, Mud, Midnight special, Loving installe un peu plus le réalisateur comme un véritable artiste de l’image et de l’histoire.
The place, Billie, Drunk, Michel-Ange… Toute l’actualité ciné avec Jean-Luc Gadreau, journaliste et blogueur.
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