REDOUTABLE HAZANAVIVIUS

Après l’avoir présenté en sélection officielle lors du dernier festival de Cannes, le réalisateur oscarisé Michel Hazanavicius sort cette semaine sur les écrans « Le redoutable ». Cette fois-ci, avec beaucoup d’ironie mais aussi une certaine gravité, il se penche sur l’un de ses collègues, véritable icône atypique du cinéma français, Jean-Luc Godard alias « JLG ».

Le Redoutable s’installe dans la vie de JLG pendant deux années (1967-68) de sa vie et de celle de sa jeune épouse Anne Wiazemsky. Une période marquée bien entendu par ce mois de mai qui fera basculer Godard d’un statut de réalisateur adulé à celui de Maoïste incompris, révélant ainsi certaines aspects de sa personnalité qui provoqueront notamment de nombreuses ruptures avec son entourage le plus proche. Le film débute sur le tournage de « La Chinoise ». C’est là que Godard posera son regard sur cette splendide comédienne qui deviendra bientôt sa femme. Michel Hazanivicius nous livre alors, au moyen de deux voix off, les pensées de ces deux amoureux en nous dévoilant que Godard sait déjà que cette histoire ne sera pas éternelle…

Michel Hazanavicius, en traitant ce sujet « historique » apporte néanmoins sa touche décalée avec brio. Et tout devient alors second ou troisième degré tout en restant focus sur son personnage interprété avec grande classe par un Louis Garrel, éblouissant de ressemblance et de justesse, qui aurait vraiment pu briguer le prix d’interprétation masculine à Cannes (dommage !). Les dialogues savoureux provoquent facilement les rires et on se régale des multiples doubles-sens et allusions plus ou moins cachées.

Finalement, c’est peut-être Hazanavicius qui est le plus redoutable. Il le prouve encore avec un film d’une grande esthétique, nous plongeant dans les couleurs vives des sixties, drôle et profondément intelligent. Une grande et belle réussite qui ne fera sans doute pas l’unanimité (comme ce fut le cas à Cannes), mais l’inverse eut été inévitablement paradoxal voire suspicieux en choisissant d’aborder le personnage de Jean-Luc Godard, artiste tellement indéfinissable.

Alors, un conseil, laissez-vous rafraichir par ce beau cinéma qui fait vraiment beaucoup de bien !

JOLIE TRIPLETTE CANNOISE

Aujourd’hui, zoom sur trois longs métrages présentés ce week-end à Cannes. Trois films extrêmement différents les uns des autres, tant par les sujets, la forme et les émotions qu’ils suscitent. Mais trois films qui donnent de la teneur à ce soixante dixième festival qui, pour le moment, peut se targuer d’une très bonne sélection.

OKJA

Commençons par Okja qui a surtout fait parler de lui avant sa diffusion par le fait qu’il crée un précédent à Cannes. Il s’agit, en effet, d’une production Netflix, qui sortira, non pas en salles, mais sur la plateforme de vidéos. Petit scandale… huées et sifflés en début de séance auxquels répondent rapidement des applaudissements, rien de bien méchant finalement… en tout cas, preuve en est, que Cannes fête ses soixante dix bougies et ouvre ainsi une nouvelle ère préfigurant de changements importants sur la façon de reconnaître officiellement des changements de consommation de la culture déjà bien installés dans la société.

Okja est une fable fantastique à tendance écolo extrêmement bien réussie par le cinéaste sud-coréen Bong Joon-Ho. C’est l’histoire de la jeune Mija, qui pendant dix années idylliques, s’est occupée sans relâche d’Okja, un énorme cochon au grand cœur, auquel elle a tenu compagnie au beau milieu des montagnes de Corée du Sud. Mais la situation évolue quand une multinationale familiale récupère Okja et transporte l’animal jusqu’à New York où Lucy Mirando, la directrice narcissique et égocentrique de l’entreprise, a de grands projets pour le cher ami de la jeune fille.

Derrière cette étonnante histoire qui aurait pu être signée Disney, se profile clairement une dénonciation des pratiques de Mosanto (Mirando…), des OGM, des maltraitances animales et encore plus globalement d’une société de consommation qui donne la part belle au profit quitte a perdre même le véritable goût des bonnes choses. Okja raconte comment cette multinationale, sous couvert d’une fausse identité écologique et philanthropique, veut imposer sa nourriture, ici des cochons mutants, qui, de par leur taille, produisent beaucoup plus de viande qu’un cochon ordinaire. Et tout cela nous est proposé avec humour, tendresse et des prouesses techniques.

120 BATTEMENTS PAR MINUTE

Après le conte, la réalité brutale et dérangeante de 120 battements par minute, premier film français présenté cette année en compétition. Robin Campillo nous plonge au cœur des années sida au travers de l’histoire d’Act Up, sous forme proche d’un docu-fiction et en se fixant plus précisément progressivement sur certains de ces activistes qui montent des opérations spectaculaires pour sensibiliser l’opinion aux ravages du sida et accélérer la diffusion des traitements aux malades, et en entrant dans leur histoire personnelle. Nahuel Pérez Biscayart qui incarne Sean est ainsi tout simplement magnifique et criant de vérité. Il nous entraine dans l’émotion et apporte énormément au film. Beaucoup de « second rôles » sont aussi remarquables comme, par exemple, la mère de Sean que l’on découvre en fin de film dans une scène à la fois émouvante et vivifiante (je choisi ce terme à dessein car il vient comme un paradoxe dans le contexte et correspond précisément à l’ambiance de cette scène).

Le film montre aussi très bien la préparation de ces actions spectaculaires et surtout les débats qui les accompagne, ces fameuses RH (réunions hebdomadaires) parfois houleuses entre les militants pour décider du type d’actions à mener et organiser le travail au sein de l’association.

On pourra aussi préciser que, si le film contient naturellement dans le contexte du scénario, certaines scènes de sexe explicites, Robin Campillo a su intelligemment ne pas surenchérir sur cet aspect et même les filmer avec une certaine tendresse et douceur.

120 battements par minute à donc su trouver son public à Cannes et surtout toucher son cœur.

LE REDOUTABLE

Point commun avec le film précédent, Le Redoutable part d’une réalité. Celle de deux années (1967-68) de la vie de Jean-Luc Godard et de sa jeune épouse Anne Wiazemsky, marquées bien entendu par ce mois de mai qui fera basculer Godard d’un statut de réalisateur adulé à celui de Maoiste incompris, révélant ainsi certaines aspects de sa personnalité qui provoqueront notamment de nombreuses ruptures avec son entourage le plus proche.

Michel Hazanavicius, en traitant ce sujet « historique » apporte néanmoins sa touche décalée avec brio. Et tout devient alors second ou troisième degré tout en restant focus sur son personnage interprété avec grande classe par un Louis Garrel qui peut tout à fait briguer un prix d’interprétation masculine. Les dialogues savoureux provoquent facilement les rires et on se régale des multiples doubles-sens et allusions plus ou moins cachées. Le Festival de Cannes devient même pour un moment l’un des sujets et donc l’éch se produit o naturellement dans les rangées de fauteuils du Festival.

Oui Hazanavicius est redoutable et il le prouve encore avec un film esthétique (nous plongeant dans les couleurs vives des sixties), drôle et intelligent apportant un vrai courant d’air frais sur la Croisette où le soleil ne faiblit pas.

 

MON PALMARES CANNES 2014

Arrivé au bout de cette 67ème édition du Festival de Cannes… le jury œcuménique a remis son prix et deux mentions ce soir et demain samedi à 19h il sera temps de clôturer officiellement cette édition avec la remise de la palme et des nombreuses autres récompenses. Alors vous imaginez sans doute, les pronostiques ou autres rumeurs vont bon train comme toujours et je ne saurai manquer à la règle en vous livrant, non pas des secrets quelconques qui auraient filtrés mais juste quelques uns de mes coups de cœurs personnels qui ont d’ailleurs évolué tout au long de la quinzaine.

Pour ce qui est du Jury Œcuménique, c’est le film mauritanien Timbuktu qui a reçu le prix 2014. S’y ajoutent deux mentions spéciales (les deux dans la catégorie « Un Certain Regard »), l’une pour Le Sel de la Terre de Wim Wenders et l’autre pour Hermosa Juventud de James Rosales. Pour découvrir l’argumentation de ce jury, vous pouvez vous rendre directement sur ce lien : http://cannes.juryoecumenique.org/spip.php?article2882

Alors venons-en à mon palmares, extrêmement subjectif évidemment. Je dirai tout d’abord que pour moi 2014 fut plutôt un bon cru avec pas mal de films très intéressants, beaux et touchants… et pas trop « trash » en plus.

– 2 films à qui j’aurai envie de remettre ma palme d’or :

Jimmy’s Hall de Ken Loach, cet hymne à la liberté, à la vie… et au courage, racontant l’histoire vraie de Jimmy Gralton, le seul Irlandais à avoir été expulsé de son propre pays sans procès, parce qu’il était considéré comme « immigré clandestin » en août 1933.

2 jours 1 nuit des frères Dardenne ce drame social avec Marion Cotillard

   

– Mon « prix du Jury » à The Homesman de Tommy Lee Jones, ce pseudo western sur la rédemption de ce marginal sur une route qu’il n’a pas choisi

– Mon prix spécial à Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, ce superbe film mauritanien qui aborde l’invasion djihadiste au Mali.

– Mon prix du scénario à The Search de Michel Hazanavicius, le conflit Tchétchène et la façon dont s’apprivoisent mutuellement Carole et Hadji.

– Ma caméra d’or pour un 1er film irait à Nad Benson pour La disparition d’Eleanore Rigby, cette romantique histoire d’un couple qui tente de survivre à l’absence de l’être aimé.

– Les interprètes masculins de cette 67ème édition (puisque j’en mettrai 2 ex-aequo) seraient pour moi Steve Carell, dans le rôle du milliardaire excentrique John du Pont de Foxcatcher et le tout jeune Abdul-Khalim Mamatsuiev, âgé de 10 ans qui interprète Hadji avec tant d’émotion dans le film The Search.

– Et pour finir… l’interprète féminine reste pour moi cette année Marion Cotillard, bouleversante d’authenticité dans 2 jours, 1 nuit des Dardenne

Voilà… c’est fini… c’était mon humble palmarès à moi… le vrai reste à venir et sera sans doute une autre histoire… à découvrir samedi soir !

 

 

THE SEARCH

Un certain nombre de situations dramatiques très diverses ont été présentées dans les films de cette sélection 2014 du Festival de Cannes. Si on a l’habitude de dire que le cinéma est une fenêtre sur notre monde, notre société, cela n’est pas tout à fait surprenant en fait. Le réalisateur Michel Hazanavicius ne déroge pas à cette règle, mais il le fait en prenant un vrai risque (surtout après le succès de The Artist), celui de nous projeter audacieusement pendant la seconde guerre de Tchétchénie, en 1999. 

THE SEARCH raconte, à échelle humaine, quatre destins que la guerre va amener à se croiser. Après l’assassinat de ses parents dans son village, Hadji un petit garçon fuit, rejoignant le flot des réfugiés. Il rencontre Carole (Bérénice Béjo), chargée de mission pour l’Union Européenne. Avec elle, il va doucement revenir à la vie. Parallèlement, Raïssa, sa grande sœur, le recherche activement parmi des civils en exode. De son côté, dans une sorte flashback décalé, on découvre Kolia, un jeune Russe de 20 ans, qui se retrouve enrôlé dans l’armée. Il va petit à petit basculer dans le quotidien de la guerre.

Je parlais de situations dramatiques, et bien c’est précisément comme cela que nous entrons dans l’histoire, à la façon d’un pré-générique. THE SEARCH s’ouvre par des images vidéo très dures, celles de l’exécution d’une famille tchétchène, les parents de Hadji, par des soldats russes. Il s’agit d’un plan séquence d’environ 5 minutes, avec le grain sale d’une caméra vidéo et un format différent de celui utilisé dans le reste du film. Le ton est donné… la violence, l’horreur de ce genre de conflit, et un monde qui s’écroule pour le petit Hadji.

Si le film est sans doute un peu long (même si le réalisateur s’en défend en assumant ce choix pour ne pas rester dans l’allégorie), et que certains passages auraient pu être supprimés (comme toute cette partie où Carole va à l’ONU par exemple), THE SEARCH réussi à nous toucher. Il y a bien sur cette souffrance permanente, tant du côté tchétchène que de celui de ce jeune russe enrôlé de force qui progressivement lui même tombe dans cette violence. Mais il y a surtout cette relation qui s’installe entre Carole et Hadji. Tout se fait progressivement, avec des hauts et des bas, des coups d’éclats et des ruptures, mais avec beaucoup de douceur, de tendresse, de subtilité. Une sorte d’apprivoisement mutuel… où même la force de savoir demander pardon (même si les mots ne sont pas compris de l’autre) devient vecteur de transformation.

Sur l’attitude de Carole, Michel Hazanavicius précise justement en interview : « Carole n’a pas d’engagement affectif, pas d’enfant ni d’amoureux. Tout son engagement est militant, politique. En même temps qu’elle va se rendre compte de la vanité de cet engagement, va naître un engagement personnel et pas seulement intellectuel, beaucoup plus émotionnel. » Et cette émotion fait du bien !

Un magnifique film au final, avec, même si le sujet n’a rien à voir, un sentiment assez similaire que celui ressenti après 2 jours 1 nuit, la veille. Et puis surtout un vrai coup de cœur pour Abdul-Khalim Mamatsuiev qui interprète le petit Hadji. Un peu, pour rester dans les comparaisons, comme celui ressenti il y a deux ans ici-même à Cannes avec Quvenzhané Wallis dans Les bêtes du sud sauvage.

——————————-

Hadji : Agé de 10 ans et lui-même tchétchène, Abdul-Khalim Mamatsuiev a été choisi au terme d’un long processus de « casting sauvage ». Il a su convaincre Michel Hazanavicius par sa capacité à interpréter la peur et à pleurer sans donner un seul instant l’impression de faire semblant. Ses dispositions extraordinaires pour le jeu, mais aussi ses espiègleries, ses grimaces et ses plaisanteries avant et après les prises — parfois même pendant — ont séduit toute l’équipe, dont ses trois partenaires, Bérénice Bejo, Annette Bening et Zukhra Duishvili, qui dit de lui qu’il est le garçon le plus adorable qu’elle ait rencontré.