PORTRAIT PIERRE-AUGUSTE HENRY

Jeune professionnel des médias et festivalier cannois régulier aux côtés du Jury Œcuménique, il est diplômé de l’Essec en 2013 où il fut président du ciné-club. Dans ce cadre, il organise des cycles de projections thématiques en partenariat avec d’autres associations cergypontaines, et distribue en festivals le catalogue de courts-métrages produits par le ciné-club. En 2016, il est juré SIGNIS au festival Lumières d’Afrique de Besançon, puis au FilmFestival Cottbus en 2017.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos envies, espérances ?

Tellement heureux de rencontrer les autres membres du Jury. C’est une chance formidable de vivre un Festival de cette façon. La sélection est nettement renouvelée, et je m’attends donc à beaucoup de découvertes et de surprises. J’espère que nous aurons un large corpus de films à considérer, afin que nos discussions soient les plus enrichissantes possibles.

Comment le cinéma est entré dans votre vie ?

Je suis né à Cannes et ai passé mes 20 premières années ici avant d’aller étudier puis travailler à Paris. Mes parents étaient déjà engagés autour du Jury Œcuménique et j’avais la chance de voir quelques films chaque année, principalement au Certain Regard. La cinéphilie m’est venue comme ça. D’ailleurs, un des premiers films « cannois » dont j’ai encore un vif souvenir est un docu-fiction kazakh, Tulpan, et dont le réalisateur est réinvité 10 ans plus tard – cette fois en Compétition.

Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ?

2001 : L’Odyssée de l’espace reste, pour moi, le plus grand film de cinéma. Celui qui réunit toutes les potentialités du support au service d’une énigme fondamentale, pour un voyage total qui est propre à chaque spectateur. La projection de la pellicule originelle de 1968, restaurée en 70mm, est l’événement majeur du festival cette année.

J’ajouterai deux autres films qui n’ont que le grand écran pour corps. D’abord, Tropical Malady, un chef d’œuvre aussi singulier que toute la filmographie d’Apichatpong Weerasethakul, et qui donne au cinéma une fonction hypnothérapeutique. Puis, Les Moissons du Ciel, qui est une leçon de dramaturgie et de photographie, précurseur de tout le southern gothic américain contemporain, et qui a infusé bien au-delà du genre et des frontières.

De même, avez-vous un(e) réalisateur(rice) « coup de cœur »

Beaucoup et de cinémas très différents ! Kelly Reichardt, Harmony Korine, Whit Stillman, James Gray, Miguel Gomes… mais Paul Thomas Anderson avant tout !

Qu’est-ce que, pour vous, un bon film ?

Il y a une multitude de façons, pour un film, d’établir une relation avec son public, et c’est tout autant de définitions d’un « bon film ». L’exigence d’écriture et la rigueur de réalisation me semblent être des éléments essentiels, que l’on choisisse de s’adresser au ventre, au cœur ou à la tête.

De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?

Je pense que la recherche de transcendance est intrinsèque au 7ème art, cela fait même partie de ce qui définit le Cinéma. C’est bien sûr visible dans les charpentes narratives en fonction de l’histoire contée, mais surtout dans la façon dont la caméra va filmer sur telle ou telle scène (la super-symétrie Kubrickienne, la caméra-stylo Malickienne). La question spirituelle vient donc assez naturellement, il me semble, lorsque l’on est face aux images. Pour ma part, j’y suis culturellement rattaché par la chrétienté, mais la question est universelle. 

UN JOUR DE CHANCE

Canal + m’a offert, cette semaine, l’occasion de découvrir un film espagnol de 2011 que je n’avais pas eu l’occasion de voir encore, « Un jour de chance ». C’est sans aucun à-priori, ni même sans avoir regardé la thématique du film que je me suis installé devant la télévision…

Voici le pitch : Roberto, agent publicitaire sans travail, vient de passer plusieurs entretiens d’embauche sans le moindre succès. Déprimé, il décide de ne pas rentrer chez lui… Une nostalgie maladive l’incite à retrouver les lieux de ses premières semaines de mariage. Or, l’endroit est devenu un site de fouilles archéologiques. Au cours de sa promenade, Roberto finit par chuter dangereusement et se blesse grièvement au point d’être immobilisé…

Finalement, cette histoire permet au réalisateur espagnol de nous livrer une satire sociale sur les dérives des médias mais plus généralement sur une société devenue hyper voyeuriste. Pour ce qui est de l’aspect cinématographique, ce film ne me laissera pas un souvenir inoubliable, même si certaines approches sont bien trouvées. On appréciera par exemple le choix de faire se dérouler la majeure partie du film dans une sorte d’arène romaine, avec un public représentant la société dans sa plus grande généralité avec ses yeux, ses smartphones, les flashs des appareils photos et autres caméras qui ont remplacé la plèbe romaine se délectant de la violence, du sang et de la mort. L’effet visuel recherché devient ainsi de plus en plus saisissant et développe un sentiment de gêne nous amenant à nous sentir nous-même partie prenante de cette foule quelque peu perverse. On regrettera par contre le choix du réalisateur d’osciller entre cette satire sociale et une sorte de farce burlesque, naviguant trop entre premier et second degré, entre cynisme total ou mélodrame naïf.

Mais ce film a néanmoins le grand intérêt de nous donner une fois de plus à réfléchir sur ce à quoi nous sommes confronté chaque jour au travers des médias… Cette avidité permanente de réagir frénétiquement à l’événement, en plus encore quand le drame est présent. Regarder ce film aujourd’hui, à l’heure de l’emballement autour de Dieudonné (je ne m’aventurerai pas là à en parler d’avantage même si ce sombre personnage ne m’inspire que dégout et peine), à l’heure des paparazzades Élyséennes (entre autre), face à une trash-tv en plein développement, aux chaines info cherchant le scoop, le sensationnalisme, usant de logos catastrophiques et de musiques angoissantes pour faire monter la pression… et à toutes sortes d’autres choses mêlant voyeurisme, perversité, magouilles, bizness et misère sociale, vous donnera sans doute de vous poser et peut-être de chercher à vous positionner autrement, refusant d’être l’un de ceux qui lèveront ou baisseront le pouce à la fin du spectacle.

Il y a d’autres attitudes possibles, d’autres chemins. Je le crois. Nous ne sommes pas pris dans une spirale infernale ou rien ne peut m’en sortir. Salma Hayek (l’épouse de Roberto qui refusera l’appât des euros dans cette sombre histoire) nous y invite et devient l’exemple à suivre… le refus de céder est une attitude glorieuse quand le courant vous emporte vers la destruction. C’est un défi qui nous est lancé chaque jour… très similaire finalement à celui que le Christ nous lance lui-aussi en nous appelant à marcher dans ses pas et à ne pas nous conformer au monde, mais à l’éclairer et lui donner du goût.

 

Titre original : La chispa de la vida

Réalisation : Álex de la Iglesia

Scénario : Randy Feldman

Acteurs principaux : José Mota, Salma Hayek

Pays d’origine : Espagne

Sortie : 2011

Durée : 95 minutes