TROIS VISAGES

Ce dimanche cannois commençait, pour la presse, avec la projection du nouveau film de l’iranien Jafar Panahi « Trois visages ». Le réalisateur hélas absent du Festival car, toujours et encore, assigné à résidence.

Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice… Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille dans les montagnes reculées du Nord-Ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale. 

Absent mais auréolé de reconnaissance et de prix… Caméra d’or à Cannes pour Le Ballon blanc (1995), Lion d’or à Venise pour Le Cercle (2000), prix Un certain regard à Cannes pour Sang et or (2003), Ours d’argent à Berlin pour Hors Jeu (2006), Ours d’or pour Taxi Téhéran (2015)… Une capacité rare chez lui, et avec des moyens limités voire minimalistes, de filmer les maux de la société iranienne, de jouer avec les différents niveaux de lecture d’un film, tout en utilisant l’humour et une forme d’insolence libérée et malicieuse.

Avec Trois visages, le cinéaste se mets une fois encore en scène et là, dans son propre rôle, conférant ainsi à cette fiction une certaine dimension documentaire, amplifiée par cette figuration de la claustration du metteur en scène, qui navigue depuis ses quatre derniers films entre appartement et voiture. Pour Trois visages, c’est la voiture qui devient le fil conducteur mais utilisée ici pour un voyage dans les régions turcophones et montagneuses du Nord-Ouest iranien.

Une histoire comme une quête de vérité assez loufoque et tragique à la fois… tragique non dans la façon de nous transmettre les choses mais, bien évidemment, dans la situation décrite de cette situation répressive de ce village où faire des études devient un déshonneur, où des actrices deviennent diabolisées par leurs compatriotes et où des superstitions anciennes restent ancrées et vivantes comme celle d’un avenir qui se joue dans le lieu où sera enterré un prépuce…

À noter la place omniprésente de la mort comme le visage premier de l’histoire et ce combat d’une jeune fille qui voudrait, coûte que coûte, vivre sa vie en jouant la mort dans une société tristement passionnée justement par la mort au point, par exemple, pour une vieille dame de tester la tombe dans laquelle elle sera prochainement enterrée…

Si techniquement, Jafar Panahi fait évidemment dans la sobriété, il n’en demeure pas moins que le résultat est là aussi réussi. Quel bonheur, par exemple, que cette sublime scène dans la nuit ou dans le lointain ces femmes dansent à l’intérieur de la maison de la saltimbanque d’une époque révolue… et tout cela vu comme des ombres chinoises au travers d’une fenêtre éclairée. 

Simplicité, beauté, bienveillance, sourires… et de l’émotion avec ces Trois visages qui montrent que le minimalisme peut faire mouche et devenir grand.

POUR LAVER LEUR HONNEUR

Après les succès mérités d’À PROPOS D’ELLY, UNE SÉPARATION ou LE PASSÉ, le réalisateur Asghar Farhadi, nous transporte à Téhéran avec l’histoire d’un couple de comédiens, dans son nouveau film LE CLIENT. Un drame conjugal fait d’honneur et de vengeance, au cœur de la classe moyenne iranienne.

Contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d’importants travaux menaçant l’immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire va bouleverser la vie du jeune couple.

Comme Farhadi aime le faire de façon récurrente, c’est cette complexité́ des relations humaines, surtout au sein d’une famille ou d’un couple, qui est abordée ici. On comprend rapidement l’importance de l’honneur qui est en jeu. Et pour y faire face, comme l’évoque une des voisines du couple, c’est « l’humiliation publique » qui est la solution. Démarre alors une recherche obsessionnelle du mari pour régler l’affaire. Une forme de vengeance que l’on imagine venir, mais qui prendra quelle forme se demande-t-on ? L’humiliation, publique, ou privée d’ailleurs aussi, se manifeste alors sous différents degrés. Celle que souhaite donner Emad au « coupable », celle que ressentent Emad et Rana de façon différentes, et d’autres encore plus subtiles de différents personnages autours.

C’est l’une des qualités de cette histoire, cette capacité de Farhadi à nous faire percevoir les aspects psychologiques des personnages, les enjeux profonds qui se manifestent dans les non-dits, dans l’arrière scène. Car oui, il y a aussi cette dimension théâtrale importante. Rappelez-vous, le couple est comédien. Et c’est la pièce d’Arthur Miller, « Mort d’un commis voyageur », qui se monte pendant les événements, en mode parallèle au sujet premier. S’établit donc une analogie vivante avec la vie personnelle du couple autour duquel se construit le film. Sur scène, Emad et Rana jouent les rôles du vendeur et de son épouse. Et dans leur propre vie, sans s’en rendre compte, ils vont être confrontés à un vendeur et à sa famille et devront décider du sort de cet homme.

LE CLIENT n’est peut-être pas le meilleur film du réalisateur iranien, mais il n’en demeure pas moins excellent et riche en réflexions possibles, seul ou en groupe. La fin d’ailleurs, sans la dévoiler, ouvre encore plus ces possibilités.