MES CÉSARS 2017

La liste des nominés aux Césars 2017 venant d’être annoncée, je vous livre, très humblement, mon palmarès personnel, qui ne sera évidemment pas le résultat final… Vous l’aurez compris, ce n’est pas un pronostic ! 

PALMARES DES Césars 2017 de Jean-Luc GADREAU

 

Meilleur film :

LES INNOCENTES produit par ERIC ALTMAYER, NICOLAS ALTMAYER, réalisé par ANNE FONTAINE

Meilleur acteur :

GASPARD ULLIEL dans « JUSTE LA FIN DU MONDE »

Meilleure actrice :

MARION COTILLARD dans « MAL DE PIERRES »

Meilleur réalisation :

FRANÇOIS OZON pour « FRANTZ »

Meilleur film étranger :

TONI ERDMANN réalisé par MAREN ADE, distribution France HAUT ET COURT DISTRIBUTION

Meilleur scénario original :

BRUNO DUMONT pour « MA LOUTE »

Meilleure musique originale :

IBRAHIM MAALOUF pour « DANS LES FORÊTS DE SIBÉRIE »

Meilleur film documentaire :

FUOCOAMMARE, PAR-DELÀ LAMPEDUSA réalisé par GIANFRANCO ROSI, produit par SERGE LALOU, CAMILLE LAEMLÉ

Meilleur premier film :

DIVINES réalisé par HOUDA BENYAMINA, produit par MARC-BENOIT CRÉANCIER

Meilleur espoir masculin :

JONAS BLOQUET dans « ELLE »

Meilleure actrice dans un second rôle :

VALERIA BRUNI TEDESCHI dans « MA LOUTE »

Meilleur son :

MARTIN BOISSAU, BENOÎT GARGONNE, JEAN-PAUL HURIER pour « FRANTZ »

Meilleur montage :

XAVIER DOLAN pour « JUSTE LA FIN DU MONDE »

Meilleure adaptation :

SÉVERINE BOSSCHEM, EMMANUELLE BERCOT pour « LA FILLE DE BREST »

Meilleure photo :

GUILLAUME DEFFONTAINES pour « MA LOUTE »

Meilleur film d’animation :

LA TORTUE ROUGE réalisé par MICHAEL DUDOK DE WIT, produit par VINCENT MARAVAL, PASCAL CAUCHETEUX

Meilleurs décors :

JÉRÉMIE D. LIGNOL pour « CHOCOLAT »

Meilleurs costumes :

ANAÏS ROMAND pour « LA DANSEUSE »

Meilleur acteur dans un second rôle :

JAMES THIERRÉE dans « CHOCOLAT »

Meilleur espoir féminin :

OULAYA AMAMRA dans « DIVINES »

L’ENFANT PRODIG(U)E CANADIEN

« Juste la fin du monde », la dernière réalisation du petit génie cinéaste canadien Xavier Dolan, sort demain sur les écrans français, couronné du Grand Prix du Jury mais aussi de celui du Jury œcuménique remis tous les deux lors du dernier Festival de Cannes.

Si la première récompense a suscité quelques critiques de journalistes accrédités, la seconde a d’avantage surpris. Ce fut, en tout premier lieu, l’environnement immédiat du Jury œcuménique, mais ensuite le public présent lors de la cérémonie de remise du prix, l’équipe du Festival dont Thierry Frémaux s’est fait l’écho et enfin l’intéressé lui même, Xavier Dolan exprimant son grand étonnement mais surtout son immense joie pleine d’émotions. Il est vrai que « Juste la fin du monde » n’est pas dans le schéma habituel des prix œcuméniques, et l’espérance n’est pas un élément visible du long métrage… mais… un autre regard peut être porté sur cette histoire familiale douloureuse ouvrant alors à des perspectives très intéressantes. En tout cas, une chose est certaine, « Juste la fin du monde » est encore un excellent film de Xavier Dolan, qui s’est entouré pour l’occasion d’un cinq majeur remarquable au travers de Vincent Cassel, Nathalie Baye, Léa Seydoux, Marion Cotillard et Gaspard Ulliel.

L’histoire : Après douze ans d’absence, un écrivain retourne dans son village natal pour annoncer à sa famille sa mort prochaine. Ce sont les retrouvailles avec le cercle familial où l’on se dit l’amour que l’on se porte à travers les éternelles querelles, et où l’on dit malgré nous les rancœurs qui parlent au nom du doute et de la solitude.

Adaptée de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, écrite en 1990, cinq ans avant que l’auteur ne succombe aux effets du sida, cette histoire nous plonge au cœur d’une famille en folie, totalement dysfonctionnelle, où l’excès devient la norme. Une outrance qui passe d’abord par les mots, le volume sonore même ou, à l’inverse parfois, un silence brutal et, lui aussi, tout autant étourdissant. Il y a aussi les attitudes, les regards… Et on voit se dévoiler bien vite derrière tout ça les blessures, les cicatrices toujours à vif malgré le temps qui passe ou plutôt à cause du temps qui passe…

Les acteurs, souvent dans un sur-jeu évident et clairement voulu, font des prouesses. Ils captivent le regard, nous font entrer dans leur folie, nous font parfois sourire mais aussi nous font serrer les dents tant la violence verbale peut parfois être intense. Face à Martine (Nathalie Baye), la mère hystérique et peinturlurée, Antoine (Vincent Cassel), le frère amer, brutal, grossier et Suzanne (Lea Seydoux), la sœur paumée à tout niveau et camée par dessus tout, Catherine (Marion Cotillard), l’épouse d’Antoine demeure extrêmement émouvante. Pleine de tendresse et en rupture visible avec les excès de part et d’autre, elle s’englue dans une impossibilité à exprimer ce qui semble bouillonner au fond d’elle et accepte son rôle de souffre-douleur. Et puis il y a Louis (Gaspard Ulliel), l’enfant prodigue, l’homosexuel sophistiqué et brillant, au regard d’une douceur frappante, qui devient une sorte d’observateur aimé et malmené… mais hélas silencieux alors que pourtant il est venu dire… bloqué par ce qu’il confesse à un moment : « J’ai peur d’eux ! ».

  

Car finalement c’est le « non-dit » qui est l’ombre planante et constante. Que ce soit dans le passé, le présent ou le futur, l’incommunicabilité l’emporte et détruit tout sur son passage. Xavier Dolan désigne ainsi là clairement l’ennemi qui ronge les relations et la famille en particulier. Toutes ces choses qu’il ne faut pas verbaliser mais qui empêchent d’aimer. Car finalement, on se demande où est l’amour ? Y en a-t-il d’ailleurs dans tout ce capharnaüm grotesque ? Peut-être, quand même, le voit-on apparaître dans les quelques éclairs de lumière subtils et éphémères qui se manifestent parfois, telle qu’une scène improbable faite de souvenirs des dimanches en famille et d’une chorégraphie sur le tube d’Ozone « Dragostea Din Tei », ou une étreinte mère-fils qui vient après cette affirmation de Martine à Louis « Je ne te comprends pas, mais je t’aime… et ça personne ne pourra me l’enlever » ou apparaît alors un autre visage de la mère. Comprendre et plus encore, connaître… un mot qui revient comme un leit-motiv régulier tout au long de l’histoire dans la bouche des uns et des autres. Car finalement qui se connaît dans cette famille, et qu’est ce connaître l’autre ?

Et puis, il faut le préciser, Juste la fin du monde est un véritable huis clos, au sens propre et figuré. Bien-sûr il y a cette sublime scène de voiture où les deux frères s’échappent de la maison pour « prendre l’air » et pour pouvoir parler. Mais c’est pour mieux s’enfermer encore dans un autre espace clos et étouffant et dans une impossibilité de communiquer. D’ailleurs Antoine le crie à son frère tout en conduisant : « Les gens qui disent rien, on pense qu’ils aiment écouter. Moi j’aime pas parler. J’aime pas écouter… J’veux qu’on m’foutte la paix ! ». Cet enfermement qui va jusqu’au bout, jusqu’à la fin… jusqu’à la dernière scène où, dans une magnifique métaphore, l’oiseau cherche à s’échapper lui aussi… mais…

Et tout ça est réalisé par un Xavier Dolan qui confirme à chaque film sa dimension artistique énormissime. Il y a un talent fou qui s’exprime dans sa façon de filmer, suivre les acteurs aux plus près, jouant avec les mises au point, les angles de vue… et utiliser une lumière qui colle parfaitement à l’histoire de ce huis clos terrifiant. Et la musique enfin, du maître Gabriel Yared (dont je suis archi fan faut il le préciser ?) et de quelques morceaux aux accents de clip, vient, telle une pierre précieuse, habiller, voire déshabiller l’histoire. Il y a du rythme, des cassures, de la rapidité et en même temps une certaine lenteur désinvolte. Paradoxal me direz-vous ?… Oui évidemment. À l’image de Xavier Dolan sans doute et de son œuvre d’une beauté rare mais pas toujours suffisamment comprise.

 

 

 

UNE FLEUR DE RÊVE A ÉCLOS SUR LA CROISETTE

La sélection Un certain regard nous donne chaque année de voir de magnifiques œuvres qui méritent très largement que l’on s’y attarde. Le Jury œcuménique a d’ailleurs la possibilité de remettre des mentions sur cette sélection en plus de son prix dans la sélection officielle. Aujourd’hui, dans ce cadre, était présenté La danseuse, le premier film de Stéphanie Di Giusto, avec un très joli casting composé entre autre de Soko, Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, François Damiens et Lily-Rose Depp (la très jolie fille de Vanessa Paradis et Johnny Depp).

 

La Danseuse est tiré d’une histoire vraie, celle de Loïe Fuller qui a littéralement révolutionné́ les arts scéniques à la Belle Époque. Née dans le grand ouest américain d’une mère américaine et d’un père français, rien ne la destinait à devenir la gloire des cabarets parisiens et encore moins à danser à l’Opéra de Paris. Cachée sous des mètres de soie, les bras prolongés de longues baguettes en bois, Loïe réinvente son corps sur scène et émerveille chaque soir un peu plus. Même si les efforts physiques doivent lui briser le dos, même si la puissance des éclairages doit lui brûler les yeux, elle ne cessera de perfectionner sa danse. Mais sa rencontre avec Isadora Duncan, jeune prodige avide de gloire, va précipiter la chute de cette icône du début du 20ème siècle.

Tendresse, charme et volupté sont des termes qui correspondent à la fois au personnage de Loïe comme au film dans son ensemble. Stéphanie Di Giusto nous transporte dans l’univers de cette jeune fille avec grand talent. Son film, construit classiquement, est néanmoins très touchant, mettant ensemble des éléments clés à la réussite d’un tel projet : Belle histoire, lumière-photo très soignées, des acteurs et actrices tout en justesse, une musique magnifique… des scènes qui restent en mémoire, de la séduction… On se laisse parfaitement prendre au jeu qui se déroule devant nos yeux et on admire en particulier les quelques chorégraphies proposées, que ce soit celles menées par Soko ou celles de la jeune Lily-Rose.

On pense à Chocolat, qui récemment nous racontait la montée et la chute de ce premier artiste de cirque noir à Paris. Cette fois-ci, c’est la danse qui est sur la scène mais les émotions sont là de la même façon. Si les tentations et le vécu sont différents, il n’en demeure pas moins qu’on se brûle vite les ailes quand la gloire se  manifeste brutalement et quand la passion est si forte. Les ailes d’un papillon, sans doute là avec Loïe, plein de grâce et de couleurs mais si fragiles dans le même temps.

Un film qui se déguste simplement avec plaisir mais qui permet aussi finalement de réfléchir.

 

CITATIONS DES CRITIQUES DE L’ÉPOQUE

« Du divin se matérialise. On songe à des visions de légendes, à des passages vers l’Eden. » Paul Adam.

« L’art jaillit incidemment, souverain : de la vie communiquée à des surfaces impersonnelles, aussi du sentiment de leur exagération, quant à la figurante : de l’harmonieux délire. » Mallarmé.

« Le corps charmait d’être introuvable. Elle naissait de l’air nu, puis, soudain y rentrait. Elle s’offrait, se dérobait. Elle allait, soi-même se créant. » Rodenbach.

« Toutes les villes où elle a passé et Paris lui sont redevables des émotions les plus pures, elle a réveillé la superbe antiquité. » Auguste Rodin.

« La flore s’anime et s’humanise. » Roger Marx.

« C’est une clarté qui marche, qui vit, qui palpite, et la chose véritablement émouvante, c’est que toutes ces flammes froides, de ce feu qu’on ne sent pas brûler, jaillit entre deux volutes de lumière une tête de femme, au sourire énigmatique, la tête de la danseuse sur un corps de phosphorescences insaisissables et que les lueurs vives embrasent et transfigurent. » Félicien de Ménil.

« Est-ce une danse, est-ce une projection lumineuse, une évocation de quelque spirite ? Mystère. » Jean Lorrain.