par lucgad | Juil 9, 2014 | Cinéma
Sur un festival comme Cannes, vous pouvez passer à côté d’un film pour diverses raisons qui vous empêchent d’assister à une projection. C’est ce qui m’est arrivé cette année avec Bird People. Séance de rattrapage hier et pas déçu du tout !

» Aujourd’hui, c’est décidé : je change de vie ! « Ce pourrait être le sous titre générique du nouveau film de Pascale Ferran. Un changement qui s’opère parfois de diverses façons… de gré ou de force !
Le point de départ de l’histoire se résume ainsi :
En transit dans un hôtel international près de Roissy, un ingénieur en informatique américain, soumis à de très lourdes pressions professionnelles et affectives, décide de changer radicalement le cours de sa vie. Quelques heures plus tard, une jeune femme de chambre de l’hôtel, qui vit dans un entre-deux provisoire, voit son existence basculer à la suite d’un événement surnaturel.

Deux personnages que tout oppose vont ainsi se croiser. Cette zone de transit va le devenir concrètement pour leurs existences. Et le spectateur devient observateur de ces histoires et les suit en s’immisçant indiscrètement au plus profond des pensées. C’est d’ailleurs de cette façon insolite que Pascale Ferran nous plonge dans son film. Entendre les pensées si plurielles des usagers des transports en commun parisien.
Avec Bird People, c’est une sorte de conte contemporain « poético-philosophique » qui s’écrit doucement avec la tendresse d’une plume qui caresse le papier à l’image de cet aquarelliste asiatique rencontré au beau milieu de l’histoire. Des mots, des pensées, des images qui parlent de fuite qui peut paraître lâche ou courageuse. Tout dépend du regard que l’on porte aux choses. Et c’est d’ailleurs précisément sur ce registre du changement d’angle de vision que se vivent ces heures racontées. Prendre autrement sa vie en main au risque même de choquer, de blesser ou au contraire tout lâcher et prendre de la hauteur, s’envoler… avec alors le risque de se faire dévorer ou de se perdre.

Les choses ne sont en tout cas pas toujours ce qu’elles paraissent… Mais pour s’en rendre compte, faut-il encore être prêt à changer d’orientation pour adopter un regard différent.
Si Bird People m’a parlé, m’a touché, il peut aussi parfois sembler un peu long. Défaut que je trouve trop présent de vouloir en mettre toujours un peu plus chez tant de réalisateurs et finalement perdre un peu de son impact. Mais ce n’est qu’un léger bémol… le reste de la mélodie étant particulièrement intéressante et agréable.
Mention particulière pour un moment difficile mais tellement révélateur de situations de crises sentimentales que celui de cet échange intime et douloureux par skype et à quelques milliers de kilomètres de distance entre cet ingénieur américain et son épouse. Un passage qui pourrait servir de support à des groupes de parole pour couples.
Une chose est sûre c’est que Bird People provoque une forme de décalage expérimental qui incite à la réflexion mais avec la délicatesse d’un vol de moineau au dessus du tourbillon d’un aéroport.
Prêt pour le voyage ?
par lucgad | Mai 17, 2014 | Cinéma
Il est étonnant parfois de regarder deux films à la suite pendant le Festival et les voir se répondre l’un à l’autre dans des contextes et cultures totalement différents. Ce fut le cas aujourd’hui avec Run et The Disappearance of Eleanor Rigby.
Après avoir apprécié l’univers de Timbuktu qui nous transportait au Nord Mali au cœur de l’invasion Djihadiste, Run réussit aussi sa présentation Cannoise comme deuxième film africain et plus précisément ivoirien (réalisé par le franco-ivoirien Philippe Lacôte). Cette fois-ci ce sont les conflits politiques et militaires à Abidjan qui servent de toile au début de l’histoire qui nous est racontée. En voici d’ailleurs le résumé : Run s’enfuit… Il vient de tuer le Premier ministre de son pays. Pour cela, il a dû prendre le visage et les vêtements d’un fou, errant à travers la ville. Sa vie lui revient par flashes ; son enfance avec maître Tourou quand il rêvait de devenir faiseur de pluie, ses aventures avec Gladys la mangeuse et son passé de milicien en tant que Jeune Patriote, au coeur du conflit politique et militaire en Côte d’Ivoire. Toutes ses vies, Run ne les a pas choisies. À chaque fois, il s’est laissé happer par elles, en fuyant une vie précédente. C’est pour ça qu’il s’appelle Run.

Si la question des choix était sous-jacente dans plusieurs films dont je vous ais déjà parlé, là elle revient mais autrement. Bien sûr Run est amené comme chaque être humain à faire aussi des choix, mais pour lui, ils deviennent souvent des nécessités vitales. Comme des basculement bruts dans une autre vie, dans un autre rôle qui chaque fois l’amène à un moment donné à choisir la fuite comme échappatoire.

Si le poème de mon enfance de Paul Fort me revient là à l’esprit – Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite. Le bonheur est dans le pré, cours-y vite. Il va filer – il n’en est pourtant pas tout à fait ainsi pour Run. Ce n’est pas une course véritablement après le bonheur, mais une fuite pour survivre, pour chercher à exister. Mais finalement, est-ce vraiment la solution ?

L’un des personnages de The Disappearance of Eleanor Rigby justement répond à cette question précisément en disant à El (jouée magnifiquement par Jessica Chastain) que la fuite n’est jamais la solution… que la fuite amène une autre fuite, et toujours et encore une autre (comme si, justement, il venait de voir Run, ce qui était précisément mon cas, et en avait tiré sa propre leçon). Dans ce film américain, ce n’est plus un jeune homme mais un couple El et Conor qui doivent soudainement faire face à une situation de crise. Situation qui se dévoile délicatement et progressivement tout au long du film. Et si El comme Run croient que la fuite est une solution, elle sera rapidement conduite à réfléchir et revoir peut-être sa copie.

Je ne voudrai pas vous en dire trop sur ce film pour ne rien dévoiler de l’histoire et vous laisser le plaisir de le découvrir. Je dis bien plaisir, car The Disappearance of Eleanor Rigby est bel et bien mon premier gros coup de cœur de ce 67ème Festival. Voilà un film dont on ne sort pas indemne. Le couple, la famille, la parentalité sont là des thèmes de fond qui sont abordés avec beauté, élégance, émotion. Comment survivre à l’impensable, Comment continuer et aimer ?… De plus, les dialogues sont savoureux et tellement intelligents… on rit, on fait silence intérieur, on sourit, on laisse parfois évidemment l’émotion monter. Et quand on pense qu’il s’agit du premier film de Ned Benson, on se dit alors qu’une Caméra d’Or serait bien méritée le jour du palmarès, même si nous ne sommes que le quatrième jour du Festival.