par lucgad | Mai 28, 2017 | Cannes 2017, Cinéma
Fin de Festival… l’heure du pré-bilan, avant que ce soir le Jury ne rende sa copie et nous dévoile le palmarès officiel. Mais déjà un certain nombre de prix ont été donnés dont le prix du Jury œcuménique et je me dois aussi de vous livrer le mien. Des choix totalement subjectifs que j’assume et qui ne représentent évidemment que mon avis du moment.
Revenons tout d’abord sur ces premiers prix décernés dans cette journée de samedi. À 16h, dans le salon des ambassadeurs du Palais des Festivals, une foule particulièrement nombreuse cette année assistait à la cérémonie officielle organisée conjointement par le Jury œcuménique et le Jury de la presse internationale du cinéma FIPRESCI. Le soir, dans le théâtre Debussy, le Jury de la sélection Un certain regard lui aussi donnait ses résultats :
Vers la lumière (Hikari) de Naomi Kawase, qui raconte l’histoire d’une jeune femme qui rend les films accessibles aux aveugles grâce à l’audio description, a reçu le Prix du Jury œcuménique.
Le Jury argumente son choix ainsi : « Ce film de grande qualité artistique nous invite par sa poésie à regarder et écouter plus attentivement le monde qui nous entoure, a déclaré le jury. Il nous parle de responsabilité, de résilience, d’espoir, de la possibilité, même pour ceux qui sont dans l’obscurité, d’apercevoir la lumière ». Ma critique à retrouver ici

120 Battements par minute de Robin Campillo s’est vu remettre le prix Fipresci en sélection officielle. « Un film d’amour, un film sur la vie, la vie plus forte que la mort, un film comme une lueur d’espoir » a justifié le Jury. Les autres prix Fipresci ont été remis à Une vie à l’étroit (Tesnota) du Russe Kantemir Balagov et à L’Usine de rien (A Fabrica de nada) du Portugais Pedro Pinho.

Visages, Villages d’Agnès Varda et JR a reçu L’Œil d’or du meilleur documentaire, prix décerné par un jury présidé par Sandrine Bonnaire qui s’est dit « profondément émue par le choix d’Agnès et JR d’aller à la rencontre des soi-disant petites gens, touchée au cœur par ce film qui conte la considération de l’Autre à travers l’art. Deux regards conjugués, tendres et généreux… »
Bruno, le caniche blanc de The Meyerowitz Stories a reçu la Palm Dog pour sa performance aux côtés de Dustin Hoffman. « Franchement c’était un rôle génial parce qu’ils ont mis le chien au cœur du scénario, explique l’organisateur du prix Toby Rose. Il est sympathique… pour cela, on s’est dit qu’il avait mérité sa récompense. » Dans la vraie vie, ce grand caniche s’appelle Einstein !
La BO de Good Time des frères Safdie, signée par Oneohtrix Point Never et Iggy Pop, a reçu le prix Cannes Soundtrack.
En partenariat avec le festival de Cannes, l’association « La semaine du Son » a créé un nouveau prix : Prix de la meilleure création sonore. Il a pour vocation de récompenser un réalisateur pour l’excellence sonore de son film « parce qu’elle sublime la perception artistique, sémantique et narrative du spectateur ». Concourent pour ce prix les films sélectionnés dans la section Un Certain Regard. C’est le film tunisien La belle et la meute de Kaouther Ben Hania qui a remporté hier ce prix de la meilleure création sonore, dans sa première édition.
Du côté de la toujours très bonne sélection Un certain regard justement, le Jury présidé cette année par Uma Thurman a livré lui aussi son palmarès :
Le prix Un certain regard est décerné à Lerd (Un homme intègre) de Mohammad Rasoulof. Le prix d’interprétation féminine à l’italienne Jasmine Trinca pour Fortunata. Le prix de la poésie du cinéma pour Barbara de Mathieu Amalric. Celui du prix de la mise en scène à Taylor Sheridan pour Wind river. Et enfin le prix du Jury à las hijas de abril (les filles d’Abril) de Michel Franco.

Voilà… et maintenant, à mon tour de me risquer à un palmarès, comme je le disais en introduction, totalement subjectif et assumé.
Pour MA palme d’or, comme je le pressentais déjà en sortie de séance et l’expliquais dans ma critique, Hikari (Vers la lumière) de Naomi Kawase n’a pas été détrôné. Je me suis réjoui de constater que le Jury œcuménique y a été aussi particulièrement sensible pour lui remettre à l’unanimité son prix. Un film qui conjugue merveilleusement bien esthétique, poésie, musique, jeu d’acteurs, thématiques humaines et en plus diverses. Un film qui touche, droit au cœur et pourra se revoir, se réfléchir, s’approfondir encore. Hikari restera dans la durée sans nul doute.

Pour ne pas en rester là je continuerai avec les prix d’interprétation masculine et féminine :
Nahuel Perez Biscayart dans 120 battements par minute est pour moi remarquable et d’une intensité rare dans ce rôle difficile et poignant. Louis Garrel dans son interprétation de Godard est aussi à mentionner tout particulièrement.
Maryana Spivak pour son rôle de mère égocentrique et impassible dans le film Nelyubov (Faute d’amour) donne à cet excellent film une tension directement liée à son personnage. Je voudrai aussi souligner le rôle de Jasmine Trinca dans Fortunata (mais en sélection Un certain regard) qui, une fois de plus, après Miele, notamment, confirme ses qualités exceptionnelles d’actrice italienne. Diane Kruger est aussi l’une des comédiennes incontournables de cette 70ème sélection.
Et d’autres films m’on aussi marqué et j’aimerai les évoquer là rapidement. The Square drôle et efficace, mais aussi terriblement clivant, pourrait être mon Grand prix. Un prix du Jury qui irait alors à Wonderstruck offrant une jolie histoire venant sans doute faire un certain écho à Hikari sur certains aspects du scénario, même s’il n’en a pas la même richesse. Celui de la mise en scène serait offert à Michel Hazanivicius pour son originale approche de Godard dans Le redoutable, et enfin celui du scénario pour The Meyerowitz Stories qui, tout en me laissant quelque peu sur ma faim, me semble être intéressant dans sa façon d’aborder une histoire familiale torturée mais où toujours quelque chose de possible reste envisageable.

Une dernière remarque enfin concernant ce qui peut être considéré comme la grande thématique de cette édition 2017 (toutes sélections confondues) : La difficulté de transmission et d’amour de parents à enfants. Signe peut-être d’une société en souffrance familiale… Il n’était vraiment pas très bon d’être « parent » bien souvent dans ces longs métrages qui ont nourris cette jolie quinzaine cannoise !
par lucgad | Mai 26, 2015 | Cannes 2017, Cinéma
La 68ème édition du Festival de Cannes a déjà tiré sa révérence. Les différents jurys ont proclamé leurs palmarès donnant aux uns de se réjouir et aux autres d’être déçus. Les équipes techniques ont rapidement démonté les installations qui avaient envahi la Croisette. Et je suis rentré à la maison d’où je vous propose maintenant un rapide bilan personnel.

Douze jours de cinéma, de rencontres, d’échanges où pour la quatrième année consécutive j’ai pu aussi vous donner de partager cet événement culturel, considéré comme plus important au monde, sur ce blog, les réseaux sociaux et divers autres médias… avec mon regard subjectif sur les films présentés, le suivi du Jury œcuménique et diverses anecdotes ou photos émaillants naturellement de moments comme ceux-là. Une fois rentré, la question que tout le monde pose généralement : « Alors, était-ce un bon cru ? » nécessite toujours une certaine réflexion. Comme je le disais, la subjectivité est de mise dans la façon de vivre un festival ou, plus simplement, de regarder un film. Beaucoup de facteurs extérieurs interviennent, favorisent un ressenti ou le parasitent. Il suffit de comparer les palmarès avec les prévisions des journalistes (la mienne aussi par exemple) pour se rendre compte que « y’a comme un bug quelque part ». Mais j’oserai quand même répondre à cette fameuse question d’un point de vue assez général en disant que 2015 restera, me semnle-t-il, un cru moyen, assez linéaire dans l’ensemble, sans grands extrêmes, ni dans les sommets, ni dans les profondeurs. Globalement, une sélection de qualité, honnête et intéressante.
On peut noter plusieurs choses dans les films présentés cette année. Tout d’abord d’une façon assez générale, le besoin d’évoquer les difficultés des relations humaines, familiales et celles du couple en particulier… je pense à « The Lobster », « Carol », « Youth », « Mia Madre », « Notre petite sœur », « The sea of trees », « Mon roi », « Valley of love » et même, de façon alégorique « Il racconto dei racconti ». Pour beaucoup également, dire quelque choses de social, touchant à la réalité contemporaine d’une société en souffrance, comme « La tête haute », « la loi du marché », « Dheepan », « Chronic » ou d’un passé difficile et marquant aujourd’hui encore, comme « le fils de Saul ». On a pu sentir que la notion de sens était donc très forte et primait généralement sur l’aspect divertissement. Pour moi d’ailleurs, ma préférence a été aux œuvres qui ont su rallier les deux en abordant des thématiques sociétales mais en égrenant tout cela d’une délicieuse quantité d’humour avec le génie des deux réalisateurs italiens (grands oubliés du palmarès principal) Nani Moretti et Paolo Sorrentino (dans l’ordre, « Mia Madre » et « Youth ») et la pépite « ovnicienne » de Yorgos Lanthimos « The lobster ». Tous ces films évoqués finalement pourront être initiateurs de débats, et je ne peux que vous encourager à les utiliser, à aller les voir à plusieurs et en parler. C’est l’un des grands bonheurs qu’offre le cinéma : être des paraboles pour aujourd’hui pour nous donner de réfléchir, voir, entendre et comprendre.

Justement, pour ce qui fait sens, la présence du Jury œcuménique est ô combien utile et intéressante dans le contexte d’un festival comme celui-là. Une présence chrétienne officielle qui n’est pas là pour censurer, dire ce qui est bien ou mal… mais être là, relever juste des œuvres signifiantes, donner aux chrétiens festivaliers et présents dans la ville de pouvoir se retrouver lors de célébrations diverses et cérémonies officielles, pouvoir échanger sur les films vus, témoigner parfois de cette foi commune à untel inconnu et tel autre célèbre, dans le un à un ou par le biais de la presse, de radios, d’internet… d’une télévision confessionnelle catholique ou d’une télévision nationale iranienne… Et ce Jury œcuménique se révèle aussi souvent plein d’intérêt et de discernement (peut on y voir une part l’Esprit Saint inspirant discrètement ?…). Il suffit de feuilleter par exemple les pages de ce livre édité l’année dernière « 40 ans de cinéma à travers les prix du Jury œcuménique au Festival de Cannes » (édition Lulu.com), pour voir la qualité des films primés. Pour n’en citer que quelques-uns : « Paris, Texas » de Wim Wenders, « The sacrifice » d’Andrei Tarkovski, « Libera me » d’Alain Cavalier, « Land and freedom » de Ken Loach, « Secrets et mensonges » de Mike Leigh, « L’éternité d’un jour » de Theo Angelopoulos, « Caché » de Michael Haneke, ou plus récemment « La Chasse » de Thomas Vintenberg, « Le passé » d’Asghar Faradi ou l’année dernière, le magnifique « Timbuktu » d’Abderrahmane Sissako. Et justement, cette année comme l’année dernière, le prix du Jury œcuménque revient à un film qui a marqué un grand nombre de festivaliers, favori pour la palme d’or par de nombreux journalistes et pourtant grand oublié du palmares du grand jury. « Mia Madre » de Nanni Moretti aura peut-être, et je le souhaite vivement, un avenir à la « Timbuktu ».

Une des particularités du Jury œcuménique par rapport aux autres jury est de motiver ses choix par un court texte permettant à tous de discerner ce qui a influencé cette sélection. Pour « Mia Madre » le choix s’est fait pour sa maitrise et son exploration fine et élégante, imprégnée d’humour, de thèmes essentiels dont les différents deuils auxquels la vie nous confronte. « Mia Madre », c’est l’histoire d’une réalisatrice (Margherita Buy) en train de tourner son nouveau film avec un acteur américain (John Turturro) qui a visiblement quelques problèmes de mémoire et de pratique de l’italien, et vivant dans le même temps une séparation sentimentale et l’accompagnement dans ses derniers jours de sa mère, lui donnant ainsi l’occasion de se confronter à son identité et à ses relations humaines. Les plus grandes épreuves, et en particulier celles qui nous font côtoyer la mort, sont souvent instigatrices d’un regard sur soi-même, sur son passé et, éventuellement, un avenir plus ou moins envisageable. On part donc d’une histoire forte et difficile mais pour la traverser avec une certaine légèreté par une constante alternance entre sensibilité et éclats de rire (grâce à la prestation sublime de John Turturro. La sortie du film sur les écrans français est prévue actuellement pour le 23 décembre… un beau cadeau de Noël en perspective.

Deux autres films ont été honoré par le Jury œcuménique, grâce à deux mentions spéciales : Tout d’abord dans la compétition officielle, le film français de Stéphane Brizé « La Loi du marché » avec un exceptionnel Vincent Lindon qui d’ailleurs a reçu également le prix d’interprétation masculine. Un film social, sorti ce mercredi 20 mai, d’une force authentique assez rare qui fait de cette histoire une sorte de docu-réalité. Le Jury œcuménique l’a choisi pour sa critique prophétique du monde du travail et sa réflexion incisive sur notre complicité implicite à des logiques marchandes inhumaines. Et enfin, dans la sélection « Un certain regard » le film philippin de Brillante Mendoza « Taklub » pour son portrait sensible d’individus et de communautés aux Philippines luttant pour continuer à vivre malgré les catastrophes naturelles les exposant à la souffrance et à la mort.

Enfin, pour finir, dans les divers palmarès des Jurys officiels présents durant le festival de Cannes, je relèverai plusieurs prix qui m’ont particulièrement réjoui (et me tairai sur le reste) :
Le film « Paulina », de l’Argentin Santiago Mitre, a reçu le Grand Prix de la Semaine de la Critique, une section parallèle du Festival de Cannes. Le prix était décerné par un jury présidé par l’actrice et réalisatrice israélienne Ronit Elkabetz. Deuxième long métrage de Santiago Mitre après « L’Etudiant », « Paulina » raconte l’histoire d’une jeune femme brillante qui renonce à sa carrière d’avocate pour devenir enseignante dans une région défavorisée d’Argentine. Un judicieux choix pour une sélection parralèle toujours passionnante. À noter également, que c’est dans cette même sélection que cette année la caméra d’or récompensant le meilleur premier film à Cannes, a été donnée au colombien César Augusto Acevedo pour « La tierra y la sombra », l’histoire d’Alphonso, un vieux paysan qui revient au pays pour se porter au chevet de son fils malade, 17 ans après avoir abandonné les siens.
« Saul Fia » (Le fils de Saul) réalisé par László Nemes a pu être reconnu par plusieurs jurys, recevant à la fois le grand prix, le prix FIPRESCI de la presse internationale et le prix François Chalais. Des récompenses méritées pour une œuvre qui fera date dans la façon d’aborder la Shoa au cinéma. Un film très dur qui nous fait entrer au cœur même des fours crématoires, avec une tension devenant une forme d’oppression constante pour le spectateur mais qui donne aussi une puissance tout à fait particulière dans le traitement de ce terrible sujet.
Voilà, il ne manque finalement que « Youth » de Paolo Sorrentino… ma palme d’or personnelle et celle d’un grand nombre de festivaliers. Alors, consolez-vous en lisant ma critique ici et surtout en allant voir ce film à sa sortie, prévue courant septembre 2015.

Et rendez-vous ici-même l’année prochaine pour la 69ème édition du Festival de Cannes… mais aussi, bien sûr, tout au long de l’année sur ce blog pour d’autres articles cinéma, culture et spiritualité.