TOUT POUR MA FILLE

Un Almodóvar à Cannes ne peut laisser indifférent. Julieta ne fait pas exception à la règle. Et pour ma part, c’est avec un vrai bien-être que je sors de cette première projection presse matinale. Almodóvar, comme plusieurs autres cinéastes cette année, nous livre une belle histoire centrée sur quelques personnages qui s’éclairent devant nos yeux, et en particulier ici, Julieta, d’hier et d’aujourd’hui. Un récit inspiré librement de la nouvelliste canadienne Alice Munro.

Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía une semaine plus tôt. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec sa fille qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle décide de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours. Julieta parle du destin, de la culpabilité, de la lutte d’une mère pour survivre à l’incertitude, et de ce mystère insondable qui nous pousse à abandonner les êtres que nous aimons en les effaçant de notre vie comme s’ils n’avaient jamais existé.

C’est au travers d’un flashback qu’Almodóvar nous livre son histoire. Julieta replonge dans l’histoire de sa vie, 30 ans plus tôt, avec la rencontre de Xoan, un pêcheur qui bouleversera sa vie. Une vie qui, si elle commence dans le bonheur d’une rencontre et d’un amour, se voit vite malmenée par le destin. Un destin qui en 2016 la frappe de nouveau, mais cette fois-ci pour ouvrir une porte nouvelle. Une ouverture vers une forme de véritable résilience qui ne sera pas juste une fuite mais la possibilité d’une restauration.

La culpabilité est l’un des éléments forts de ce film. Ce type de culpabilité qui n’a de véritable sens que pour celui ou celle qui la subit. Mais finalement, sans doute, cette culpabilité qui est la plus difficile à supporter. Si difficile qu’elle peut provoquer la séparation et le rejet. À cette culpabilité vient alors s’ajouter l’horreur du vide, de l’absence. Absence de celui qu’on aime que la mort nous retire mais, pire encore, absence de celle qu’on aime, Antía, chair de sa chair, et qui a choisi de disparaître sans expliquer pourquoi.  « Ton absence emplit ma vie et la détruit » écrit Julieta, prise, enchaînée par tout cela, même si la vie continue, même si sur son chemin s’est greffé une âme bonne et immensément respectueuse.

Cette notion de respect conduit à évoquer une autre thématique. Celle du secret de Julieta. Celle d’un silence choisi, d’un mutisme pour oublier, ou du moins croire oublier. Secret qui fait d’ailleurs écho à celui d’Antía qui a choisi de s’inscrire dans le secret de son choix sous le couvert d’un besoin de spiritualité, que l’on peut voir comme une forme de prétexte pour quitter tout.

 

Il y a donc du silence au cœur de ses fins dialogues, comme avec Xoan qui dit ne pas aimer beaucoup parler… Et Almodóvar a la délicatesse de l’utiliser aussi dans la réalisation de son film. Tout n’est pas dit, tout n’est pas livré, et c’est l’un des nombreux points forts de Julieta. Cette capacité à nous laisser imaginer derrière les images, derrière les sons, derrière ces visages si savamment filmés, et derrière les sublimes couleurs qui éclairent magiquement chaque instant, et ce, dès le tout commencement avec ce tissu rouge qui nous embarque.

«Les dieux ont créé l’homme et d’autres êtres avec de l’argile et du feu ». Fragilité et malléabilité de l’argile qui s’endurcit dans et par le feu… L’histoire peut-être de Julieta, à l’image de ces statuettes, et celle de l’homme assis en particulier, sculptées par Ava.

Un très bel Almodóvar à déguster et sans aucun doute à revoir pour mieux saisir…

THE GREATEST LOVE OF ALL

Nos a priori qui se forgent si facilement peuvent parfois se voir bouleverser en moins de deux. Imaginez donc qu’un film allemand de 2h42 en soirée au Festival de Cannes en séance presse puisse faire éclater de rire un nombre incalculé de fois la salle entière (sauf mon voisin de gauche), la faire même applaudir plusieurs fois en cours de séance et en même temps l’émouvoir fortement ? Et pourtant ! Cette idée reçue s’effondre ce soir avec Toni Erdmann de l’excellente réalisatrice Maren Ade.

Ines travaille dans une grande société allemande basée à Bucarest. Sa vie parfaitement réglée ne souffre pas le moindre désordre jusqu’à l’arrivée de Winfried, son père, qui débarque à l’improviste. « Es-tu vraiment heureuse ? » lui demande-t-il au cours d’une discussion banale. Son incapacité à répondre est le début d’un bouleversement profond qui va s’opérer au travers de l’intervention de Toni Erdmann…

Il y a du Jango Edwards dans ce personnage de Toni, tant physiquement, que dans les facéties burlesques qu’il nous propose. Mais à cet humour décapant vient s’ajouter une quête du sens de la vie, où les relations humaines et familiales peuvent retrouver place, où le temps n’est plus forcément maître mais peut devenir serviteur, où l’humour voir le grotesque peut interpeller et faire changer même le cœur le plus endurcit. Ines semblait perdue mais un travail en profondeur va pouvoir s’entamer grâce à l’amour de son père et sa persévérance. Oui, the greatest love of all… le plus grand amour… comme se retrouve à chanter Ines contre toute attente, (presque) aussi bien que Whitney Houston, est sans doute celui de ce père pour son enfant.

Toni amuse et attendri. Il est sans prétention mais il a tout compris. Il peut se maquiller, allonger les dents, se couvrir d’une perruque voir même d’un masque de poils, son cœur bat toujours encore et encore. Il y a d’ailleurs une véritable parabole qui se joue là devant nos yeux sur les apparences, tout ce qui nous habille et qui parfois a vraiment besoin de tomber au risque d’une « naked party » où seul transparait la réalité du corps, de l’être humain, sans faux semblants. Une partie à poil ou seul Toni peut s’en couvrir lui qui, malgré sa fausse identité, est vrai jusqu’au bout de l’âme.

Et si l’Allemagne venait bouleverser le palmarès. La dernière fois, pour la palme, c’était Paris Texas, de Win Wenders, en 1984. Alors… sait-on jamais. Au moins un prix du scénario ou d’interprétation ou bien encore du Jury œcuménique, tiens pourquoi pas. En tout cas, Maren Ade est une habituée des récompenses dans le passé avec, entre autre, déjà à son actif, deux ours d’argent et un prix du Jury à Sundance. Nous le saurons très bientôt mais retenez bien ce titre et rendez-vous dans les salles à partir du 17 août.