CANNES 2018 AUTREMENT

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Alors que le 71èmeFestival de Cannes vient de s’achever avec l’annonce du palmarès par le jury présidé par Cate Blanchett décernant la palme d’or au Japonais Hirokazu Kore-Eda et son film « Une affaire de famille », revenons plus largement sur cette quinzaine cinématographique. Occasion de l’aborder sous le prisme d’une réelle présence chrétienne en son sein mais aussi sous la forme de nombreuses thématiques visibles dans les courts et longs métrages. 

 

Le Festival de Cannes s’est déroulé du 8 au 19 mai. Premier événement culturel au monde, chaque année, au mois de mai, il s’empare de la ville et des tabloïds du monde entier. Professionnels de l’industrie cinématographique, stars internationales et acteurs en devenir se mêlent à la foule avide d’images, de selfies, d’autographes et de rencontres surprenantes. Le Festival, c’est aussi les paillettes, les stars, les bruits de couloirs mais aussi des scandales et même parfois des affaires diplomatiques… Grands événements ou petites anecdotes prennent parfois des dimensions démesurées, certains faits même ont bâti sa légende. Mais paradoxalement, c’est aussi un lieu où se côtoient des chrétiens du monde entier et où peuvent être portés des thématiques évangéliques au cœur même de bon nombre de films.

 

Des chrétiens à Cannes

Par sa taille, avec 120 pays accueillis et plus de 12.000 participants, le Festival de Cannes est à l’image de la société dans sa diversité. Et ainsi, nombreux sont les chrétiens présents : Professionnels du cinéma venant présenter des films dans les différentes sélections ou cherchant à les commercialiser grâce au Marché du film, exposants dans ce même Marché, journalistes, bloggeurs, techniciens, exploitants ou simples cinéphiles. Difficile à quantifier évidemment mais les échanges, rencontres programmées ou impromptues sont nombreux et deviennent, parfois même, de vrais rendez-vous divins.

Cette présence chrétienne devient aussi à fortiori plus visible au-travers du Jury œcuménique invité officiellement depuis 1974 pour remettre un prix et d’éventuelles mentions à des films de la sélection officielle, en portant un regard différent distinguant des œuvres de qualité artistique qui sont des témoignages sur ce que le cinéma peut nous révéler de la profondeur de l’homme et de la dimension spirituelle de notre existence. Ce jury international est composé de chrétiens catholiques, protestants, évangéliques ou orthodoxes engagés dans le monde du cinéma (journalistes, réalisateurs, enseignants, théologiens). Toujours plusieurs centaines d’invités, médias du monde entier présents lors de la remise dans le Palais des Festivals. Un palmarès depuis 1974 qui se suffit à lui-même pour démontrer le travail effectué chaque année laissant un témoignage qualitatif remarquable.

Des films qui font souvent écho à la foi

Une tendance apparait ces dernières années à Cannes avec une évolution certaine d’une sélection davantage orientée vers un cinéma d’auteur international audacieux et provocateur, et très souvent pétri d’une dimension sociale, spirituelle et métaphorique avec une volonté d’ouverture aux maux du monde.

Ce fut très clairement le cas cette année avec une bonne moitié de la compétition officielle dans cette perspective. Le Jury œcuménique avait donc le choix et a finalement remis son prix au bouleversant Capharnaüm de Nadine Labaki (récompensé aussi au Palmarès par le Prix du Jury) relevant qu’à travers l’histoire de Zain, un garçon de 12 ans qui attaque ses parents en justice pour lui avoir donné la vie, la réalisatrice expose sans concession l’enfance maltraitée et propose un voyage initiatique empreint d’altruisme. Un film qui aborde aussi la question des migrants et des sans-papiers. Ce même Jury a offert également une mention spéciale à l’excellent Blackkklansman de Spike Lee (auréolé lui aussi du Grand Prix lors du Palmarès final), cri d’alarme contre un racisme persistant et dénonciation par là-même d’une possible appropriation perverse de la religion pour justifier la haine.

 

Mais, dans cet angle mettant en lien cinéma et valeurs évangéliques, on pourrait en citer beaucoup comme la Palme d’or attribuée au Japonais Hirokazu Kore-eda, Une affaire de famille qui pose notamment la question de savoir quels sont les liens qui unissent, qui construisent plus particulièrement la  cellule familiale. Je pense aussi à Lazzaro Felice d’Alice Rohrwacher, s’offrant une véritable métaphore christique dans un film qui dénonce toutes les formes d’esclavages modernes et de manipulation qui gangrènent le cœur humain. Il y avait cette petite perle, Yomeddine, une sorte de road-movie égyptien conduisant un lépreux à partir à la recherche de ses origines et de son père en particulier, soutenu par un jeune orphelin qui l’accompagne. Et encore l’amour qui surpasse toutes les entraves du monde, du pouvoir politique et des frontières dans le film polonais Cold War qui se termine avec tristesse et beauté sur cette phrase « Allons de l’autre côté… la vue y est plus belle ».

Ce fut aussi le combat social avec En guerre et un immense Vincent Lindon, la soif de liberté dans le film iranien de Jafar Panahi Trois visages ou encore un oppressant mais touchant Ayka sur les possibles souffrances de la maternité qui a valu le prix d’interprétation féminine à sa jeune héroïne Samal Yeslyamova qui jouait là dans son premier film.

 

Le choix de l’authenticité

Comment ne pas évoquer aussi cette importance de l’authenticité qui ressort dans plusieurs métrages ? Des cinéastes qui recherchent et privilégient l’expression vraie et sincère de personnages jouant leur propre rôle ou, du moins, une histoire proche de leur existence, plutôt que de miser parfois sur des acteurs confirmés. Et cela fonctionne, en tout cas dans plusieurs de ces films évoqués comme Capharnaüm, En guerre ouYomeddine. Les deux acteurs récompensés pour les prix d’interprétations masculine et féminine en sont aussi témoins car la justesse de leur prestation en est la force. Marcello Fonte dans Dogman est éblouissant dans ce rôle de toiletteur canin discret et apprécié de tous qui face à la trahison et l’abandon, voit sa vie totalement basculer. Quant à Samal Yeslyamova, dans Ayka, comme je le disais précédemment, elle crève littéralement l’écran et nous prend aux tripes dans sa capacité à projeter sa souffrance physique et psychologique. Un film qui, par ailleurs, trouve de la grandeur et de la dignité dans un refus de l’enjolivement et du romanesque en prenant le risque de mettre le spectateur, avec brutalité, à l’épreuve de la laideur du monde et de la souffrance des démunis.

 

Voilà c’est fini…

Edouard Baer, MC de la soirée de clôture l’a plutôt bien dit :  « Le festival rentre chez lui c’est-à-dire chez nous, on rentre à la maison, après ce monde d’illusions, de rêves, de colères pour rien, de violence parfois sincères et authentiques. Le Festival de Cannes remballe, ses hommes, ses femmes, qui étaient là tous ensemble, unis, pour rien. Pour rêver, pour construire, pour essayer de dire que derrière les films, derrière les images, derrière les sons, il y a des rêves, il y a des violences, des envies de transmettre, des choses. Nous sommes simplement des gens qui ont eu le courage ou la chance d’exprimer nos rêves, d’aller vers les autres, de tendre une main qu’on appelle un film. Nous sommes des hommes et femmes ici, privilégies sans doute, mais qui sauront faire quelque chose de tout ça ».

Savoir faire quelque chose de tout ça… c’est peut-être finalement ça aussi qui devient comme une responsabilité individuelle et collective pour les spectateurs qui, dans les mois qui viennent, seront ceux qui accueilleront toutes ces images, tous ces sons, tous ces personnages et toutes ces histoires. Je vous souhaite donc maintenant d’en faire bon usage et que votre vie soit ainsi divertie et sans nul doute enrichie. Et vivement mai 2019 pour que le rideau s’ouvre à nouveau et les marches se draper de rouge pour un nouveau Festival… pas comme les autres.

 

 

BLACKKKLANSMAN

La bombe BlacKkKlansman de Spike Lee a enfin explosé dans les salles du Festival de Cannes… explosion de rires, de colère, d’engagement politique et de sublime cinéma. Ce retour du réalisateur américain était fortement attendu et il ne m’a pas déçu mais au contraire percuté au cœur et ravi. Je vous raconte…

BlacKkKlansman c’est l’histoire vraie et surprenante qui se déroule dans les années 70 de Ron Stallworth qui fut le premier officier de police afro-américain de Colorado Springs à s’être infiltré dans l’organisation du Ku Klux Klan. Étonnamment, l’inspecteur Stallworth et son partenaire Flip Zimmerman ont infiltré le KKK à son plus haut niveau afin d’empêcher le groupe de prendre le contrôle de la ville.

Disons le tout de suite, ce stupéfiant fait divers est une perle précieuse offerte à Spike Lee pour affirmer ses positions politiques et, une fois de plus, combattre le racisme face à face et, plus largement, tout ce qui divise des populations. Mais pour s’y employer le cinéaste mixe avec talent l’humour et la militance.

Humour qui devient parfois ironie ou caricature permettant ainsi de ridiculiser les idées racistes du Ku Klux Klan. Qui se gratifie de « private joke » nombreux ou clins d’œil bien repérables. Mais aussi cette démarche directement politique et militante dopée par une rythmique percussive et redoutablement efficace. On passe de l’éclat de rire au silence profond, des larmes joyeuses à la boule au ventre. Et, par ce biais, ce juste équilibre, l’histoire se déroule naturellement comme cela se produit d’ailleurs dans la vraie vie.

Des séquences viennent aussi s’incruster façon « storytelling » et amplifier la dramaturgie en nous plongeant face à la réalité abjecte de la haine. Je pense notamment là, par exemple, à ce moment où ce vieil homme (incarné par Harry Belafonte, le premier acteur noir à avoir lutté pour les Droits Civiques) raconte à une assemblée de jeunes activistes noirs le lynchage de Jesse Washington, martyr de l’histoire afro-américaine, qui fut émasculé, carbonisé, et pendu à un arbre. Les photos de son corps calciné furent même imprimées et vendues comme cartes postales. Séquence montée admirablement en parallèle avec le discours glacial de David Duke, grand maître du Klan, à ses adeptes établissant un parallèle évident entre cette idéologie (« rendre sa grandeur à l’Amérique », « America first »), et les slogans de campagne présidentielle de Donald Trump façon « Make America Great Again ». Sans spoiler plus qu’il n’en faut, la fin est à ce titre aussi exemplaire avec des images récentes du rassemblement de toutes les factions racistes et suprémacistes américaines à Charlottesville, le 12 août 2017 que précisément Donald Trump n’a que trop honteusement validé.

Très appréciable aussi le questionnement proposé régulièrement autour de  personnage principal, l’inspecteur Stallworth, policier et noir, ce qui paraissait antinomique à l’époque. Comment conçoit-il sa participation à la cause noire. Et d’ailleurs, en suspend, qu’est-ce qu’être noir et américain aux USA ? Tout n’est pas si simple et Stallworth reconnaitra ainsi trouver génial une partie du discours du leader afro-américain Kwame Ture tout en se sentant en profond désaccord sur certains points.

Parlons aussi cinéma… Nous sommes à Cannes ! Et Spike Lee nous prouve encore qu’il demeure un immense réalisateur qui ose encore et toujours. Une cadence incroyable, une maitrise de la caméra et du montage et des acteurs formidables. Adam Driver évidemment (ce n’est pas nouveau !) mais aussi un vrai coup de chapeau au duo composé par John David Washington (le papa Denzel peut être fier !) et la magnifique Laura Harrier. J’aimerai évoquer aussi « la bande d’affreux ». Jouer le méchant n’est pas toujours simple, surtout quand la bêtise humaine (le mot est faible) en est son ADN… Jasper Pääkkönen, Topher Grace, Paul Walter Hauser, Ashlie Atkinson sont tous parfaits dans leurs rôles respectifs. Et puis, Spike Lee oblige, la bande son est aussi immense signée notamment par le trompettiste, compositeur et arrangeur de jazz américain Terence Blanchard.

Vous l’aurez compris, BlacKkKlansman m’a percuté de plein fouet et s’ajoute aux deux coups de cœur de cette première semaine cannoise, Leto et Une affaire de famille (et à un niveau différent Yommedine).

 

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Une affaire de famille, septième film présenté à Cannes pour Hirokazu Kore-Eda qui a déjà reçu le Prix du Jury en 2013 pour son magnifique Tel père, tel fils. Comme le titre l’indique clairement, c’est l’univers de la famille qui est bel et bien toujours là, thématique fétiche du réalisateur japonais qu’il travaille à merveille. Sept disais-je… Toucherait-on alors à une forme de perfection ?

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

La famille donc au cœur de cette histoire, mais celle-là est carrément hors norme à tout point de vue et se découvre progressivement à nous et jusque à la presque fin du film.

Cette famille pas comme les autres est regardée avec empathie et paradoxalement comme une famille normale et heureuse. Toutes les conceptions plus au moins traditionnelles sont balayées, mains non pour les discréditer ou les critiquer mais surtout pour aboutir à des questionnements profonds sur ce qui nous fait être famille, sur ce qui nous rend parents, sur ce qui établi des liens, les solidifie et parfois les brise. Alors tout cela, évidemment, à la manière de l’élégant Hirokazu Kore-Eda. Pas de réponses toutes faites, de leçons données, mais le choix de la patience, de la précision, de la retenue et surtout de l’émotion qui se développe dans une approche poétique délicieuse. Ici, même la pauvreté, la souffrance et l’amoralité peuvent paraître belles sous le regard du maître japonais, mais sans complaisance aisée, avec grâce et tendresse.

Délicieux… Et bien Une histoire de famille est justement aussi un film gourmand. La métaphore de la nourriture, ultra présente (on a parfois l’impression que manger est le socle de la construction familiale dans cette histoire), nous parle d’une certaine jouissance de l’existence, du désir de vivre quelques soient les raisons et les situations. Oui, on a le sentiment que le bonheur déborde de partout et de chaque image, même, encore une fois, au cœur d’expériences faites de douleurs, d’amertumes et d’abandon, mais finalement pleines d’amour. Un amour qui se questionne là-encore avec Kore-Eda. Il nous en présente des facettes étonnantes pleines de déséquilibres, de complexités, qui peuvent même vraisemblablement nous mettre aussi mal à l’aise mais qui pourtant bouleversent le spectateur, sans doute à cause de cette puissance qui ne se trouve que précisément dans l’amour.

Une histoire de famille, c’est l’histoire d’hommes et de femmes tous différents et liés à la fois. Et comme à son habitude, le cinéaste parvient parfaitement à s’attacher à ses personnages incarnés et dirigés merveilleusement. Un équilibre permanant entre proximité et distance. Avec une place de premier choix donnés aux enfants prouvant encore une fois que Kore-Eda sait les filmer comme nul autre.

Que dire de plus ? Attendre le palmarès bien évidemment en espérant… et surtout, guetter la date de sortie, qui n’est pas encore annoncée pour se dépêcher d’aller le voir et se faire du bien.

PORTRAIT D’ALAIN LE GOANVIC

Diplômé de l’École supérieure de Commerce, cinéphile passionné, Alain Le Goanvic a créé plusieurs ciné-clubs et lancé en 2007, à Vitrolles (France), un festival « Cinéma et Aviation ». Membre de Pro-Fil depuis 2000, il en a été le Président de 2010 à 2014, et demeure membre du comité de rédaction de Vu de Pro-Fil, et rédacteur sur le Site Pro-Fil et celui du Jury œcuménique du festival de Cannes. A été juré à Mannheim-Heidelberg en 2004 et 2014, membre du jury des « Très courts métrages » à La Rochelle et du Jury interreligieux au Festival Visions du Réel à Nyon en 2012.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos envies, espérances ?
Je viens avec le plaisir de la découverte, car ce Jury très international va débattre de films d’une sélection très élaborée, comme chaque année. J’ai envie d’échanger et de confronter mes impressions et avis avec mes collègues, dans une ambiance ouverte au dialogue.
 
Comment le cinéma est entré dans votre vie ?
J’étais tout petit enfant quand mes parents m’ont mené au cinéma. Je me souviens de ma rencontre avec un monde magique, cet émerveillement premier ne m’a pas quitté.
 
Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ? (Et en quelques mots, pourquoi ?)
Le Mariusdes années 50 avec Raimu et Pierre Fresnay –
L’année dernière à Marienbad(Alain Resnais)
2001 Odyssée de l’espace(Kubrick) J’ai le souvenir d’un choc émotif et visuel, je n’en n’oublierai jamais les images, la musique, les sons.
 
De même, avez-vous un(e) réalisateur(rice) « coup de cœur » ?
Oui, bien que le choix soit difficile, je choisis Godard !

 
Qu’est-ce que, pour vous, un bon film ?
Un film qui, avec les moyens du cinéma : la technique des plans, des mouvements de caméra, le montage – est servi par le scénario (un récit, des dialogues solides) et évidemment par de bons acteurs.
 
De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?
Il y a des films qui semblent habités par la Grâce qui nous montre un monde non pas « sans » Dieu mais « avec » Dieu. Il y a des films qui disent oui aux valeurs de solidarité et de souci de l’Autre. Je citerai Babel, Des hommes et des dieux, Eurêka,  secrets and lies…
 
Autre chose à ajouter ?
Merci d’avoir posé ces questions, car elles m’ont permis d’expliciter mes pensées.

PORTRAIT ROBERT K. JOHNSTON

Robert K. Johnston, professeur de théologie et de culture au Séminaire théologique Fuller à Passadena (Californie), est co-directeur de l’Institut du Fuller’s Reel Spirituality. Il est l’auteur ou l’éditeur d’une quinzaine de livres et également le co-éditeur des collections Engaging Culture and Exegeting Culture auprès de Baker Academic Books. Président honoraire de la Société américaine de théologie et bénéficiaire de deux bourses de recherche majeures de la Fondation Luce, Robert Johnston est un ministre de l’Evangelical Covenant Church. Membre du jury œcuménique à Locarno en 2017.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos envies, espérances ?

Jusqu’à l’année dernière, je n’avais jamais eu le privilège de faire partie d’un Jury œcuménique, jusqu’à participer à celui de Locarno. En regardant les films de la compétition lors de ce festival, avec mes collègues du Jury œcuménique, j’ai appris à quel point il est intéressant de voir et de discuter de deux douzaines de films avec des personnes qui aiment à la fois le cinéma et Jésus. C’est avec ces deux mêmes amours que je viens à Cannes, désireux d’avoir ma compréhension de la vie élargie à la fois par les histoires des films qui seront projetés et par les idées de mes collègues qui m’accompagnent. J’espère aussi que par nos choix de Jury, nous pourrons aider à ce que le ou les films choisis parlent aux esprits de chacun, leur offre d’approfondir leur foi, espoirs et amours.

Comment le cinéma a pris de l’importance dans votre vie ?

Les films me permettent de faire l’expérience de ce que j’appelle une « coupe transversale » plus large de la vie que je ne serais autrement capable de voir. Comme les histoires sur l’écran croisent mon histoire et l’histoire de Dieu, je suis plus à même de comprendre la vérité, la beauté et la bonté de la vie (ou son manque tragique). Et peut-être plus en capacité de le ressentir.

Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ?

Quand j’étais à l’université, je suis allé voir Becket, avec Richard Burton et Peter O’Toole. En voyant l’ancien buveur du roi, Thomas a’Becket, prendre au sérieux sa nouvelle responsabilité d’archevêque dans l’obéissance à Dieu, j’ai reconnu que Dieu me demandait aussi de répondre à son appel comme ministre protestant. Je n’avais pas d’abord besoin de devenir une personne exemplaire; J’avais seulement besoin d’être disposé à obéir à l’appel de Dieu. Quand j’ai vu La vie est belle, mes filles avaient grandi. L’amour inconditionnel du père pour son fils (il ferait n’importe quoi pour Joshua), m’a aidé à comprendre personnellement ce que devrait être un « père », ce que j’aurais mieux aimé être en tant que père et être encore. Et même si la vie personnelle de Kevin Spacey a rendu la re-vision d’American Beauty difficile, voire impossible, mes premières projections multiples de ce film avec ses thèmes similaires au livre de l’Ecclésiaste ont profondément creusé mon âme. Le sens de ma vie ne vient pas de ce que je peux accomplir. Après tout, nous allons tous mourir. Mais le don de la vie et les relations qu’elle apporte sont précieux et pleins d’émerveillement.

Qu’est-ce que, pour vous, un bon film ?

Au cinéma, l’histoire règne en maître. L’excellence technique est évidemment une condition préalable, mais cela ne suffit pas. L’histoire d’un film doit être en mesure de se connecter avec les histoires de ses spectateurs. Un bon film doit être intellectuellement satisfaisant (il doit en quelque sorte être fidèle à la vie, même si c’est un fantasme), émotionnel (le spectateur doit se soucier des personnages à l’écran) et être visiblement accrocheur. Quand la tête, le cœur et les tripes d’un spectateur sont touchés par une histoire à l’écran, alors ce film est réussi.

De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?

Le tournant post-séculaire de l’Occident au cours des vingt dernières années a conduit à un nombre croissant de films explicitement spirituels dans l’intrigue ou le thème. Et certains d’entre eux sont même explicitement « chrétiens ». Mais si ces films sont peut-être les plus évidents pour évoquer des films qui invitent au dialogue religieux, un tel dialogue ne se limite pas à ces films thématiques. Tout film qui parle à l’esprit humain – tout film, c’est-à-dire qui égratigne la vérité, la beauté et la bonté de la vie, ou son absence – est un film qui invite les spectateurs à converser en tant qu’êtres spirituels. Un tel dialogue peut être fait d’une perspective explicitement théologique, la théologie chrétienne étant la lentille à travers laquelle une histoire est comprise. Ou cela peut être fait à partir d’une perspective spirituelle plus générale, alors que les histoires poussent vers l’extérieur pour transcender leurs particularités.