OBSCURANTISMES

Si j’ai choisi de mettre au pluriel le titre de cet article, c’est que ce mercredi 23 novembre 2016 sont sortis en même temps deux films très différents sur ce sujet, hélas, toujours d’actualité. D’un côté, « La chute des hommes » de Cheyenne-Marie Carron fait de radicalisation djihadiste, et de l’autre « Le disciple » du cinéaste russe Kirill Serebrennikov qui évoque un fondamentalisme orthodoxe au pays de Poutine.

Après « L’Apôtre » qui évoquait la conversion d’un jeune musulman au catholicisme et « Patries » traitant du racisme anti-Blancs en banlieue parisienne, Cheyenne-Marie Carron, continue d’aborder des sujets d’actualité sensibles loin des grands studios et des subventions possibles, pleinement indépendante et autoproduite. Le résultat, c’est cette histoire qui raconte l’enlèvement par un groupe djihadiste d’une jeune française partie pour un voyage d’étude dans un pays du Moyen-Orient qui n’est pas cité. D’ailleurs l’intérêt n’est pas là, ni dans la réalité des lieux où est tourné le film. Comme je vous le disais, Cheyenne-Marie réalise avec des moyens plus que minimes et elle privilégie ainsi une approche artistique tranchée faite d’évocations franches, d’un minimalisme laissant place au sens et aux émotions.

La grande et belle idée de « La chute des hommes » se situe sans doute dans le choix de travailler en un seul film ce qui est devenu l’un des grands classiques de bons nombres de séries en vogue : raconter une même histoire du point de vue de plusieurs protagonistes, trois en l’occurrence ici. Tout d’abord Lucie, la jolie et naïve étudiante qui vit d’amour et de frais parfums, qui se retrouve plongée dans l’enfer de cet enlèvement et d’une folie meurtrière. Puis c’est avec Younes, chauffeur de Taxi sans le sou qui deviendra malheureusement le « livreur » de l’offrande blondinette aux ravisseurs islamistes, que se comprennent autrement les tragiques évènements. Pour finir, enfin (le film dure 2h20 quand même), avec Abou, l’un de ces djihadistes ravisseurs, lui aussi originaire de France, comme Lucie, et avec lui une dernière compréhension de ce récit troublant et effrayant d’obscurantisme, qui conduit à cette Chute.

Un sujet actuel, difficile mais auquel Cheyenne-Marie apporte une vraie démarche artistique, humaine et chrétienne. Loin des grosses productions qui peuvent certainement nous détendre, « La chute des hommes » est néanmoins un film à voir pour réfléchir et être interpellé. Une démarche pleinement assumée par la réalisatrice tout juste quadra qui confie dans une interview : « Je m’efforce de traiter des sujets qui nous concernent avec honnêteté, vérité, humanité. Je suis un metteur en scène catholique, je regarde le monde avec un regard de chrétienne. J’estime qu’il n’y a pas de sujets réservés ou, au contraire, interdits aux chrétiens. Le monde nous est ouvert. » Et justement, à propos de sa foi chrétienne, il est à noté ce verset de l’Évangile de Jean au chapitre 3, verset 8 qui accompagne l’affiche et l’introduction du film : « Le vent souffle où il veut ». Les raisons de ce choix, Cheyenne-Marie me les a confiées avec ces mots : « Le vent souffle où il veut signifie pour moi, au travers de cette « Chute des Hommes », que la grâce touche qui Elle veut, et il la désire. Mon jeune Djihadiste, verra son destin changé, il renoncera au combat armé, car il entend dans son cœur et son âme, la présence de la Sainte Vierge. Il récite d’ailleurs à la fin le « je vous salue Marie », après avoir été sauvé, et ayant gagné une seconde chance. Lucie, elle, n’aura pas cette chance. Elle sera tuée. »

Des versets bibliques, il y en a à la pelle et même jusqu’à une certaine overdose dans l’autre film du jour « Le disciple ». Overdose est peut-être d’ailleurs le mot qui convient pour exprimer le ressenti qu’impose le personnage principal Veniamin, un adolescent pris d’une crise mystique outrancière où seuls les versets bibliques (pris bien sûr littéralement et hors contexte) dictent ses choix et ses positionnements face aux autres, son école, la société et même sa mère… mais le conduisant aussi paradoxalement dans les bras de nombreux péchés comme la haine, l’orgueil ou plus encore, le meurtre.

« Le disciple » a été présenté à Cannes 2016 dans la sélection Un Certain Regard et il a obtenu le Prix François Chalais, « récompensant un film qui traduit au mieux la réalité de notre monde ». Il est l’adaptation d’une pièce de théâtre intitulée « Martyr », du dramaturge allemand Marius von Mayenburg (pièce que j’avais eu le plaisir de voir et de critiquer artspiin.com/martyr/). Le film finalement, tout en gardant la même base d’histoire, propose une approche très différente, moins artistique et contemporaine mais sans doute plus réaliste et agressive. L’obscurantisme religieux de l’adolescent est omniprésent et même à force agaçant (le mot est faible). Il prêche une morale extrême, absurde et violente. Et à cet excès voulu vient s’ajouter une certaine hypocrisie et complaisance de la communauté adulte… mère, système éducatif, prêtre. Seule contre tous, finalement, Elena, une professeure de biologie et psychologue va avoir le courage de s’opposer à lui, cherchant à lui faire comprendre sa folie, mais elle sera empêchée d’exercer pleinement son métier.

Il faut reconnaître que « Le disciple » est un film fort bien réussi et très adroit avec de magnifiques plans-séquence notamment et une belle restitution de l’ambiance sociétale d’une certaine Russie. Car si la religion est clairement visée, c’est aussi toute une toute une critique socio-politique qui l’accompagne. Tragédie d’un peuple russe agonisant entre les changements de régimes politiques et de croyances, conduisant à des pertes de repères et de cadres pouvant produire ce genre de mécanismes fanatiques divers. Kirill Serebrennikov nous démontre là qu’un illuminé se réclamant d’une idéologie totalitaire, quelle qu’elle soit, peut devenir un véritable détonateur agissant sur la société. Une parabole tristement universelle mais un appel aussi sans doute à réfléchir à nos convictions et notre foi pour ne pas tomber dans ce genre de comportements qui parfois pourtant peuvent se cacher subtilement aussi chez nous.

MARTYR

Monter une pièce à la maison, c’est un peu ce que vient d’expérimenter le poitevin Matthieu Roy avec « Martyr », la dernière pièce du dramaturge allemand Marius von Mayenburg, qu’il vient de présenter pour la première fois en France au TAP à Poitiers avant de partir pour une tournée nationale. Un texte fort qui aborde, en premier lieu, une certaine lecture fondamentaliste du texte biblique conduisant un adolescent à une radicalisation outrancière qui influe sur toutes ses relations.

Parce qu’il ne veut soudain plus assister aux cours de natation de son lycée, Benjamin révèle à son entourage le bouleversement mystique qu’il traverse. Habité par les Saintes Écritures, le jeune homme se retranche dans la lecture de la Bible et de son interprétation de Dieu qu’il n’a de cesse d’opposer à sa mère et ses professeurs. Petit à petit, le lycéen se drape dans des habits de « martyr » dans une lutte idéologique, philosophique et morale qui perturbe le quotidien de son établissement.

Si le thème peut sembler ardu, finalement on se retrouve d’avantage face à une comédie qu’à un véritable drame. Les tensions entre les personnages qui finalement ne s’écoutent plus, ne cessent de créer des quiproquos et des situations burlesques voire ridicules. Et si une certaine approche de la religion (je dis bien certaine car heureusement minoritaire) cherchant à « utiliser Dieu à sa sauce » ou à utiliser le texte comme une épée plus que comme une lettre vivante est le point de départ du récit, beaucoup d’autres thématiques sont aussi abordées. Un ami me disait à la sortie : « Vraiment tout le monde en prend pour son grade ! »… le système éducatif, le prêtre et l’Église, la puissance de la manipulation, le couple et la monoparentalité, l’antisémitisme, une certaine approche de la sexualité également, sans oublier assez globalement l’adolescence et la jeunesse où le faible, le handicapé, le « différent » est celui que l’on jette… Des tas de sujets qui se rencontrent, se bousculent pendant 1 heure 15.

Alors, forcément beaucoup de caricatures volontaires apparaissent, mais toujours portées pas une magnifique mise en scène, réglée au couteau où l’ambiance sonore, le choix de décor, les lumières et le ton des acteurs ne permettent jamais que l’histoire devienne farce mais reste constamment finement mené sur un fil tendu entre drame et comédie.    

Concernant la dérive fanatique, Matthieu Roy s’attarde sur « le mécanisme de la radicalisation qui permet de faire dire tout et n’importe quoi aux écritures. Une radicalisation qui se fait par étapes. » Il est vrai que l’on chemine avec l’histoire, on avance dans ce mécanisme désastreux comme Benjamin lui-même s’enfonce, se découvre (au sens littéral comme au figuré), prend de l’assurance… on entre et on sort au rythme haletant des acteurs et de ce rideau de fond de scène qui devient lui-même un peu le cœur de l’histoire.

 

Un coup de chapeau également à l’excellente initiative du TAP d’avoir proposé cette pièce en langue des signes au travers de deux comédiennes qui, sur le bord de la scène, rejouaient l’histoire en parallèle et au plus proche de l’action. Magnifique !

 

Une pièce à découvrir, pour nous rappeler peut-être que la foi est autre part, autre chose, autrement…