Blackbird… pour se dire adieu

Avec Blackbird, c’est avec justesse, délicatesse et tendresse que le réalisateur Roger Michell (Coup de foudre à Notting Hill) d’après un scénario de Christian Torpe, adapté d’un film danois de Billie August (Silent Heart), s’attaque à des thématiques ardues comme la maladie, la mort assistée et la famille. Un casting formidable pour un film chaleureux, qui n’est pas sans tension ni sans douleur considérable, pour nous permettre sans doute de réfléchir et de discuter.

Lily (Susan Sarandon) et son mari Paul (Sam Neill) décident de réunir enfants et petits-enfants pour un week-end dans leur maison de campagne. Trois générations d’une même famille se retrouvent, avec Jennifer (Kate Winslet), l’aînée, son mari Michael (Rainn Wilson) et leur fils de 15 ans, Jonathan (Anson Boon), mais aussi Anna (Mia Wasikowska), la cadette, venue avec Chris (Bex Taylor-Klaus), sa compagne. En fait, cette réunion de famille a un but bien particulier : atteinte d’une maladie dégénérative incurable, Lily refuse de subir une fin de vie avilissante et décide de prendre son destin en main. Mais tout le monde n’accepte pas cette décision. Non-dits et secrets remontent à la surface, mettant à l’épreuve et redessinant tous les liens qui unissent les membres de cette famille, alors que le temps des adieux approche…

En temps normal (c’est-à-dire hors pandémie COVID-19), 1 640 personnes meurent chaque jour en France, et un peu plus de 160 000 dans le monde. Selon certaines études, la thanatophobie ou, plus simplement, la peur de la mort, se classe dans le top trois sur la liste des principales angoisses humaines.  C’est l’angoisse existentielle par excellence face à notre destin. Accepter la mort comme naturelle est plus qu’un défi. Les premiers indiens d’Amérique parlaient d’esprits mauvais quand ils perdaient un des leurs et lançaient des flèches en l’air pour les chasser. Quelques siècles plus tard, Ionesco protestait violemment : la mort est un scandale ! L’homme a du mal à se représenter sa fin. L’idée du néant est insupportable. Les religions lui apportent l’espoir d’une vie après la mort, la promesse, sinon de l’immortalité physique, du moins de l’immortalité spirituelle. La mort ne serait pas une fin mais un passage. Dans la Bible, l’apôtre Paul fait cette déclaration étonnante : « Christ est ma vie, et la mort m’est un gain ».  Au début du christianisme, les Pères et Mères du Désert, comme on les appelait, voient la mort comme un compagnon qui est toujours avec nous. Pour les soufis mystiques, la mort consiste à franchir un seuil et à avoir une autre chance de se réveiller. Benoît, saint catholique médiéval, faisait garder aux moines, paraît-il, des crânes sur leurs tables pour qu’ils puissent se rappeler de l’impermanence de la vie. Les moines bouddhistes ont utilisé des chapelets de prières faits d’os humains comme rappel de la mortalité. L’historien américain Michael Lese décrit la mort comme « la zone interdite » qui est enveloppée d’obscurité et de mystère. Avec la sortie du film Blackbird, nous avons là une belle occasion spirituelle et sensée de discuter des nombreux sujets importants qui entourent la mort.

Alors, précisons-le tout de suite, Blackbird est d’abord un vrai film d’acteurs, avec une intrigue sans rebondissements extraordinaires, construit dans l’équilibre et le refus de tomber dans le tire larmes excessif et ennuyeux… une histoire somme toute donc assez classique, celle d’une bande de personnages qui se réunissent, réagissent et interagissent. Sauf qu’ici, la bande c’est une famille avec tout ce que cela comporte de blessures, d’amour, de jalousie, d’incompréhensions, de non-dits… et qu’en plus ce qui les rassemble c’est la douleur, la maladie, la mort programmée.

Alors il y a d’abord Lily, la matriarche, une femme qui n’aime pas nécessairement être le centre d’attention mais qui insiste absolument pour être le centre du pouvoir. Paul, à ses côtés, semble se contenter de l’adorer, de la soutenir et de passer au second plan en ce qui concerne la dynamique interpersonnelle. Lily a bon cœur, mais elle ne voit souvent pas que son désir de voir les choses se dérouler d’une certaine façon peut les faire précisément dévier de leur chemin. Elle a tendance à se faire des illusions, à insister pour que les choses soient comme elle le souhaite plutôt que comme elles se sont vraiment passées. Jennifer a beaucoup de raisons d’être reconnaissante dans sa vie, mais elle est plutôt obsédée par le fait de « resserrer les cadres », comme quelqu’un le dit si bien. Elle est très critique envers tout le monde, y compris envers elle-même, et ne semble pas pouvoir se contenter de rester assise et de laisser le soleil briller. Son mari Michael, est sympathique mais timide, le genre de type qui a tendance à avoir le nez enfoui dans un journal ou un livre, et la plupart de ses conversations avec d’autres personnes ont un côté « saviez-vous que ? ». Il ne se vante pas, mais c’est ainsi qu’il contourne sa gêne. Leur fils adolescent, Jonathan, commence à peine à déployer ses ailes. Il veut devenir acteur, mais n’en a jamais parlé à ses parents. L’autre fille, Anna, est le mouton noir de la famille. Elle a toujours eu du mal à garder un emploi ou une relation et a régulièrement coupé les ponts. Anna se présente avec sa petite amie, Chris, qui, en tant qu’étrangère, se révèle plus perspicace que la plupart des membres de la famille sur ce qui se passe. Enfin, il y a Liz, la meilleure amie de longue date de Lily, toujours présente, depuis des décennies. Elle n’a pas grand-chose à dire ou à faire, mais elle est là, et cela compte !

Pour entrer dans une telle histoire, la corde est raide et le risque grand si le casting n’est pas à la hauteur. Mais ici c’est tout le contraire ! Chaque actrice, chaque acteur est à sa juste place, illuminant son rôle s’il le faut ou le laissant au contraire dans l’ombre quand la lumière se dirige ailleurs. Avec bien sûr, en premier lieu, l’immense Susan Sarandon, toujours éblouissante à 73 ans dans une interprétation vraiment poignante, et Kate Winslet d’un naturel étonnant qui apporte ainsi une vraie force à son personnage. En fait, il y a dans Blackbird, un vrai côté théâtral grâce à cette troupe merveilleuse de comédiens réunis ensemble dans un seul lieu, mais aussi par la magnifique cinématographie de Mike Eley, qui présente une majorité de plans larges de l’ensemble de la distribution interagissant dans de nombreuses scènes. Vous pouvez choisir l’acteur sur lequel vous voulez vous concentrer, au lieu d’être obligé de regarder une certaine interaction basée sur la mise au point de la caméra. Ces plans larges ont également contribué à la fantastique chimie qui se dégage de l’ensemble des acteurs.

Si Blackbird raconte l’histoire d’une personne qui tente de garder sa dignité intacte grâce à un choix personnel, controversé pour certains, qu’elle doit finalement affronter seule, le film qui raconte cette histoire garde également sa dignité intacte dans un équilibre délicat et de grande beauté. Car le suicide assisté est un vraiment un sujet compliqué. Une thématique qui peu rapidement tomber dans le pathos, dans le mauvais goût, ou dans la récupération politique. Mais Roger Michell réussit précisément à ne jamais tomber dans la caricature, une forme de mauvaise naïveté, faite de ressorts émotionnels faciles. Comme le laisse entendre la musique le plus souvent, au-travers de quelques notes de cordes qui se prolongent et reviennent encore et encore, il marche sur la corde raide mais garde constamment le bon équilibre pour parler de ce sujet sérieux avec une émotion naturelle, appropriée et pleine de véracité.

Si Blackbird est évidemment triste avec cette histoire de mort, il s’agit aussi d’amour, de compréhension de la famille, et de la capacité à pardonner même face à une grande douleur. Un drame émouvant et beau que je vous conseille fortement.

 

 

ROSIE DAVIS, MÈRE COURAGE

Après avoir porté le regard de sa caméra à Cuba, en 2016, avec le film « Viva », le réalisateur irlandais Paddy Breathnach se fixe chez lui, en Irlande, et à Dublin en particulier, pour tourner « Rosie Davis » qui sort ce 13 mars sur les écrans français. Un film intense, difficile à cataloguer, à la fois drame familial authentique, étude de personnages ou encore road movie social rejoignant là une certaine tradition cinématographique française.

Synopsis : Rosie Davis et son mari forment avec leurs quatre jeunes enfants une famille modeste mais heureuse. Le jour où leur propriétaire décide de vendre leur maison, leur vie bascule dans la précarité. Trouver une chambre à Dublin, même pour une nuit, est un défi quotidien. Les parents affrontent cette épreuve avec courage en tentant de préserver leurs enfants.

Le récit suit Rosie (Sarah Greene) et son compagnon John Paul (Moe Dunford) alors qu’ils se retrouvent soudainement sans abri et dans une lutte désespérée pour trouver un endroit sûr pour eux et leurs quatre enfants. On découvre ainsi les personnages alors qu’ils essaient coûte que coûte de continuer à mener leur vie quotidienne tout en vivant dans leur voiture. John Paul subit une certaine pression au travail et revient donc à Rosie la charge de jongler avec la garde des enfants pendant la journée tout en essayant de trouver des lits pour la nuit, résoudre les tracas du quotidien et tenter de gérer les blessures du passé non réglées. Le couple se retrouve en proie à un terrible paradoxe. Ils cherchent désespérément à cacher les dures réalités de leur situation aux gens qui les entourent, terrifiés par ce qu’ils vont penser, et leur besoin de rester invisibles entre alors en conflit avec leur désir de faire ce qui est le mieux pour leur famille.

Si l’Irlande semble s’être remise de ses difficultés et connaître une prospérité nouvelle, la crise du logement est pourtant plus terrible que jamais. Évidemment, ce sont ces ravages causés par cette crise du logement, qui dépassent d’ailleurs les frontières des classes sociales, qui sont au cœur du récit. Le film remet en question certaines images stéréotypées en se fixant sur l’itinérance provoquée, avec aussi ces hôtels vacants qui sont rapidement remplies de familles déplacées à la recherche d’un abri. Le scénario de Roddy Doyle est à la hauteur du stigmate qui accompagne l’étiquette « sans-abri ». On ressent la colère qui supporte l’écriture… il déclare par ailleurs avoir honte, en tant que citoyen irlandais, de cette situation dans son pays. Doyle a commencé à écrire le film après avoir entendu une interview à la radio. C’était une jeune femme sans-abri qui expliquait les difficultés qu’elle rencontrait chaque nuit pour trouver un endroit où dormir avec sa famille. L’écrivain irlandais fut fasciné par son éloquence et choqué d’apprendre qu’elle n’avait pas de logement alors que son mari avait un travail stable. Et c’est précisément cette dichotomie qui est maintenue délibérément en évidence tout au long de l’histoire.

Sarah Greene est magnétique dans le rôle principal, portant sur ses épaules une grande partie du poids émotionnel du film. L’intensité de la vie de Rosie, entassée dans des espaces clos avec sa famille, fait qu’elle est à peine capable de trouver un moment d’intimité pour elle-même. Elle porte constamment un visage courageux, essayant de rester inébranlable et optimiste devant les enfants, tandis qu’une vague de désespoir silencieux monte juste sous la surface. La performance de Greene est subtile mais très émouvante – un lent soupir ou une légère mimique des lèvres peut suffire pour en dire long sur l’état de Rosie et sur son caractère. Le duo formé avec son époux John Paul, qu’incarne Moe Dunford, touche à la perfection, grâce aussi à l’interprétation de Dunford qui imprègne habilement son personnage d’une tendresse et d’une fragilité qui vont à l’encontre de son apparence inébranlable. Bravo également aux solides performances des jeunes acteurs qui, pour la plupart jouent là pour la première fois. Darragh McKenzie brille dans le rôle d’Alfie, le fils de Rosie, avec une scène particulièrement turbulente, où l’enfant joue dans un trampoline et refuse d’obéir à sa mère, laissant une impression durable au spectateur. Dans le dossier de presse, Sarah Greene reconnait d’ailleurs cette alchimie qui s’est construite : ​« Nous étions une famille. Ce sont des enfants incroyablement talentueux. J’ai adoré travailler avec eux ».

La direction de Breathnach est solide et assurée. Il a une maîtrise parfaite de l’histoire et guide avec compétence le spectateur à travers l’utilisation d’un cadrage soigné. Les scènes à l’intérieur de la voiture contribuent à transmettre l’inquiétude croissante de ses habitants. En revanche, les prises de vue extérieures sont souvent larges et vides, ce qui crée un sentiment tangible de désespoir. Rosie est le point de mire du film et l’objectif se fixe parfois intimement sur son visage d’une manière qui aurait pu être invasive dans les mains d’un cinéaste moins accompli, mais qui là prend sens tout naturellement. Visuellement, Breathnach maîtrise parfaitement l’image et le symbolisme, utilisant aussi la répétition comme effet d’entraînement.

Rosie Davis est empreint de réalisme et le monde à l’écran est absolument authentique. Tourné dans les rues de Dublin, son approche sans fioritures contribue à faire en sorte que le drame se présente parfois presque comme un documentaire. La partition est minimaliste mais utilisée avec beaucoup d’efficacité. On pense évidemment avec raison à Ken Loach ou aux frères Dardenne avec ce thriller social, générant beaucoup d’empathie, mais sans complaisance ou effets lacrymaux. Juste une admirable leçon de vie, de dignité et de combativité.

Rosie Davis est un magnifique film qui ne manquera pas de mettre le public dans une « juste colère » mais, sous un autre angle de vue, pourra devenir un exemple de ténacité et d’amour, un hymne à la résistance et à l’espérance se fondant sur l’unité de la cellule familiale.

 

UN BIJOU VENU DU FROID

Tout en lenteur et retenue Ága nous déplace au cœur de la République de Sahka (Iakutie) au Nord Est de la Sibérie, pour découvrir le quotidien d’un couple vivant dans une yourte sur la banquise. Film contemplatif, attendrissant mais aussi témoignage vivant d’une réalité d’un peuple nomade en voie de disparition.

 

La cinquantaine, Nanouk et Sedna vivent harmonieusement le quotidien traditionnel d’un couple du Grand Nord. Jour après jour, le rythme séculaire qui ordonnait leur vie et celle de leurs ancêtres vacille. Nanouk et Sedna vont devoir se confronter à un nouveau monde qui leur est inconnu.

Ce qui interpelle dès les premières images de ce deuxième long métrage du réalisateur bulgare Milko Lazarov, c’est l’immensité et la beauté de ce décor naturel, d’un blanc immaculé, loin de la civilisation et où le froid règne en maître absolu… là où la vie semble impossible et où pourtant nous rencontrons Nanouk et Sedna. Lui est emmitouflé de peaux de bêtes et perce la glace pour trouver de l’eau potable et pêcher pendant que sa femme, elle, restée près de la yourte, tanne les peaux, en fait des vêtements et de temps en temps joue de la guimbarde.

 

 

 

 

 

 

 

Tel un documentaire, dans sa première partie, Ága se fixe sur les tâches répétitives nécessaires à la survie dans ces contrées glaciaires. Peu d’ailleurs sont restés… le gibier se faisant de plus en plus rare et les changements climatiques opérant. Milko Lazarov filme alors avec brio ces paysages, parvenant à nous donner une forme de vertige face à ces étendues infinies. Puis il resserre son plan sur le chien tendre qui accompagne fidèlement son maître Nanouk ou sur le visage éreinté, mais gracieux malgré tout, de Sedna. C’est ainsi qu’il nous fait entrer dans cette chronique familiale atypique faite de traditions mais aussi de confrontations à une société en pleine mutation conduisant les enfants d’ailleurs à avoir déjà fait d’autres choix de vie, en rejoignant la ville… La compréhension de la problématique se livre doucement au spectateur, sans violence, au rythme de la vie là-bas.

 

 

Mais Ága c’est aussi une véritable histoire d’amour, loin des clichés habituels. Un amour fait de tendresse qui apporte la chaleur au milieu de la solitude, du froid et d’un certain abandon. Une histoire bouleversante… portée par la musique de Malher et avec un final d’une force picturale impressionnante sur une gigantesque mine de diamant à ciel ouvert, symbolisant la percée de la civilisation sur la nature sauvage, faisant mourir les nomades à petit feu…

Alors, laissez-vous prendre par Ága, pas la beauté de ce petit bijou si loin des sentiers battus de l’artillerie lourde hollywoodienne mais tellement précieux et bon pour les humains que nous sommes.

EN QUÊTE D’UNE FAMILLE

Six mois après la dernier Festival de Cannes, la comédie dramatique de l’égyptien Abu Bakr Shawky, Yomeddine, arrive en salles. Cette histoire d’un lépreux avait su toucher les émotions et faire du bien… même si, finalement, aucun prix ne récompensa cette jolie œuvre.

 

Après la mort de sa femme, Beshay, lépreux guéri mais défiguré par les stigmates de la maladie, décide de quitter sa léproserie de toujours pour rechercher sa famille qui l’a abandonné quand il était jeune enfant. Commence alors pour lui, une longue route parsemée de rencontres, d’embuches, de toutes sortes de situations joyeuses ou difficiles, où il ne sera pas seul mais devra se confronter aux choses enfouies au plus profond de lui, en quête d’une famille, d’un foyer, d’un peu d’humanité… 

Si les premières minutes m’avaient laissé un peu perplexe, très vite les doutes furent chassés et je me suis retrouvé embarqué dans cette histoire d’une grande beauté. Une beauté qui ne se joue pas ici dans l’apparence, dans le visible… Une beauté qui se découvre dans l’épaisseur des personnages, derrière les blessures physiques, derrière les détritus qui peuvent devenir une montagne, derrière des histoires pétries de souffrance et d’accidents de la vie. C’est au plus profond de l’âme que se dévoile la force de Beshay, ce petit bonhomme attendrissant, d’Obama son jeune compagnon, et de quelques autres éclopés rencontrés par hasard.

Abu Bakr Shawkya su trouver la justesse en touchant les cœurs mais sans tomber dans le pathos. Il filme sans complaisance, et propose là une sorte de road trip initiatique. Je dis « une sorte » car n’imaginez pas le road trip à l’américaine… ici pas de voiture emblématique mais une charrette tirée par un âne qui laissera place à toutes sortes d’autre engins sur des chemins rudes et secs. Un road trip, donc, émouvant et surtout engagé, porté par un extraordinaire acteur non-professionnel, qui au passage, notons-le, est un véritable ancien lépreux. On ressent chez A.B. Shawky ce soin de défendre les exclus. Plusieurs scènes sont marquantes à cet égard, avec même une restitution d’une certaine « cour des miracles », là où vivent ces gens situés sur la marge, oubliés physiquement et rejetés socialement, mais auxquels le cinéaste redonne une vraie dignité que d’autre ont voulu leur ôter.

Mais n’imaginait pas non plus un film glauque ou ayant tendance à prendre en otage le spectateur. Yomeddine est un film intègre qui a choisi de se dérouler sur le ton de la comédie, qui a choisi ce que j’appellerai la gaieté sincère comme marque de fabrique. C’est ainsi qu’il peut nous rejoindre tous et devenir un pur divertissement familial fait de personnages sympathiques, d’images colorées et lumineuses au rythme d’une musique très agréable en nous interpellant sur le sens profond du bonheur.

Un film qui fait du bien disais-je, qui montre encore que le cinéma peut parfois se permettre de toucher, de faire réfléchir, de jouer ainsi l’un de ses rôles primordiaux à l’égard du spectateur, sans grands moyens, sans stars patentées, et même avec quelques faiblesses cinématographiques, mais surtout avec grâce, sourire et délicatesse.

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Une affaire de famille, septième film présenté à Cannes pour Hirokazu Kore-Eda qui a déjà reçu le Prix du Jury en 2013 pour son magnifique Tel père, tel fils. Comme le titre l’indique clairement, c’est l’univers de la famille qui est bel et bien toujours là, thématique fétiche du réalisateur japonais qu’il travaille à merveille. Sept disais-je… Toucherait-on alors à une forme de perfection ?

Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

La famille donc au cœur de cette histoire, mais celle-là est carrément hors norme à tout point de vue et se découvre progressivement à nous et jusque à la presque fin du film.

Cette famille pas comme les autres est regardée avec empathie et paradoxalement comme une famille normale et heureuse. Toutes les conceptions plus au moins traditionnelles sont balayées, mains non pour les discréditer ou les critiquer mais surtout pour aboutir à des questionnements profonds sur ce qui nous fait être famille, sur ce qui nous rend parents, sur ce qui établi des liens, les solidifie et parfois les brise. Alors tout cela, évidemment, à la manière de l’élégant Hirokazu Kore-Eda. Pas de réponses toutes faites, de leçons données, mais le choix de la patience, de la précision, de la retenue et surtout de l’émotion qui se développe dans une approche poétique délicieuse. Ici, même la pauvreté, la souffrance et l’amoralité peuvent paraître belles sous le regard du maître japonais, mais sans complaisance aisée, avec grâce et tendresse.

Délicieux… Et bien Une histoire de famille est justement aussi un film gourmand. La métaphore de la nourriture, ultra présente (on a parfois l’impression que manger est le socle de la construction familiale dans cette histoire), nous parle d’une certaine jouissance de l’existence, du désir de vivre quelques soient les raisons et les situations. Oui, on a le sentiment que le bonheur déborde de partout et de chaque image, même, encore une fois, au cœur d’expériences faites de douleurs, d’amertumes et d’abandon, mais finalement pleines d’amour. Un amour qui se questionne là-encore avec Kore-Eda. Il nous en présente des facettes étonnantes pleines de déséquilibres, de complexités, qui peuvent même vraisemblablement nous mettre aussi mal à l’aise mais qui pourtant bouleversent le spectateur, sans doute à cause de cette puissance qui ne se trouve que précisément dans l’amour.

Une histoire de famille, c’est l’histoire d’hommes et de femmes tous différents et liés à la fois. Et comme à son habitude, le cinéaste parvient parfaitement à s’attacher à ses personnages incarnés et dirigés merveilleusement. Un équilibre permanant entre proximité et distance. Avec une place de premier choix donnés aux enfants prouvant encore une fois que Kore-Eda sait les filmer comme nul autre.

Que dire de plus ? Attendre le palmarès bien évidemment en espérant… et surtout, guetter la date de sortie, qui n’est pas encore annoncée pour se dépêcher d’aller le voir et se faire du bien.