WONDERSTRUCK… ÉMERVEILLEMENT SUR GRAND ÉCRAN

Après Carol en 2015 (qui avait d’ailleurs permis à Rooney Mara de recevoir à Cannes le prix de la meilleure interprète féminine), le réalisateur Todd Haynes revient avec un magnifique conte original et métaphorique, Wonderstruck (émerveillement) ou dans sa version française « le musée des merveilles ».

Sur deux époques distinctes et deux quartiers différents –  le Manhattan des années 30 pour la partie consacrée à la fillette, le quartier du Queen’s bariolé et funk des années 70 pour celle consacrée au garçonnet, les parcours de Ben et Rose. Ces deux enfants souhaitent secrètement que leur vie soit différente ; Ben rêve du père qu’il n’a jamais connu, tandis que Rose, isolée par sa surdité, se passionne pour la carrière d’une mystérieuse actrice. Lorsque Ben découvre dans les affaires de sa mère l’indice qui pourrait le conduire à son père et que Rose apprend que son idole sera bientôt sur scène, les deux enfants se lancent dans une quête à la symétrie fascinante qui va les mener à New York.

Il faut le dire tout de suite, Todd Haynes ne nous propose pas un film académique tant dans sa construction et dans sa forme que dans l’histoire et ce que l’on peut en faire. La narration nous entraine très vite dans deux récits à la fois loin l’un de l’autre, notamment par l’époque et par le choix stratégique de les présenter en noir et blanc pour le premier et en couleur pour le second, et en même temps suffisament proches grâce à de nombreuse similitudes ou parallèles. Et puis, Wonderstruck est tout sauf bavard. Peut-être un peu long parfois, mais surtout fonctionnant à l’économie de dialogues pour privilégier une musique remarquable et parfois funky aux paroles excessives et pesantes. Une volonté du réalisateur qui colle avec l’une des thématiques de son histoire, la surdité, et au travers d’elle le défi d’arriver à nous donner à voir le silence.

Conte métaphorique, ce Wonderstruck, adapté d’un roman de Brian Selznick (qui signe d’ailleurs le scénario du film), se complait dans ce temps de l’enfance, avec son côté frais et magique où le merveilleux est toujours possible et à portée de main, mais où aussi les blessures peuvent s’inscrire en profondeur. Haynes parle de descendance, de cauchemars, de secrets, du manque d’un parent absent, mais aussi de destin et d’amitié. Tout ça avec beaucoup beaucoup d’amour et le talent immense de se réalisateur qui me régale une fois de plus.

Ce Musée de merveilles est un vrai bonheur dont il ne faut surtout pas se priver. Beau, délicieusement artistique, touchant et imprégné d’un sens profond, ce qui ne peut évidemment pas me déplaire, bien au contraire… et je l’espère vous aussi.

LE LION ET LA BARRIÈRE

Si ce titre d’article sonne comme une fable, ce n’est surtout pas une affaire de morale qui lie ses deux sorties cinéma ce 22 février. FENCES et LION ont en commun l’émotion et la vie. Des histoires d’existences et de famille nous sont là racontées avec maestria. Ce qui, par contre, les différencie fondamentalement se situent dans le décor et les mouvements de caméra. D’un côté un quasi huit-clos, marqué par le théâtre, où la caméra est plantée pour l’essentiel dans la cour d’une maison des quartiers ouvriers de Pittsburgh dans les années 50 et de l’autre une sorte de road-trip dans les vastes étendues de l’Inde et de l’Australie avec des travellings plongeants et une histoire faite de voyage et de mouvements.

FENCES, film réalisé et interprété par Denzel Washington avec à ses côté l’extraordinaire Viola Davis, est adapté de la pièce de théâtre éponyme d’August Wilson. Aucune pièce n’a eu autant de retentissement et de succès que FENCES, qui a été montée pour la première fois en 1985. Ce drame familial a été joué 525 fois à Broadway, plus que toute autre œuvre de son auteur, et a remporté les trois récompenses les plus prestigieuses : le Pulitzer, le Tony Award et le New York Drama Critics’ Circle Award.

C’est l’histoire bouleversante d’une famille où chacun lutte pour exister et être fidèle à ses rêves, dans une Amérique en pleine évolution. Troy Maxson aspirait à devenir sportif professionnel mais il a dû renoncer et se résigner à devenir employé municipal pour faire vivre sa femme et son fils. Son rêve déchu continue à le ronger de l’intérieur et l’équilibre fragile de sa famille va être mis en péril par un choix lourd de conséquences…

Pour évoquer ce film, ce qui me vient en premier lieu, c’est la puissance des mots. Rarement on aura vu un film aussi bavard mais surtout sans jamais être le moins du monde ennuyant. Une force des dialogues étonnante, évidemment liée à l’origine théâtrale, mais qui est là exceptionnellement frappante. Denzel Washington est phénoménal dans la restitution proposée, digne des plus grands tchatcheur, rappeurs ou autres maîtres du verbe. Face à lui, Viola Davis, une fois de plus, confirme une dimension artistique tout aussi exceptionnelle. Une capacité à incarner un personnage en lui apportant profondeur et authenticité qui scotchent le spectateur dans son fauteuil. Et autour de ce duo, dans un environnement réduit et où une barrière se construit lentement mais surement, conférant évidemment une métaphore de poids à l’histoire, quelques acteurs tous juste parfaits dans le jeu, la présence et la restitution d’une histoire pleine d’émotions et de sentiments.

Une histoire qui nous parlent surtout de rêves d’un homme qui restent enfermés par cette fameuse barrière (Fences, en anglais) de la propriété, évoquant surtout une certaine figure patriarcale nourrie à la frustration, fragilisée par l’amertume de sa vie conjugale et verticalement raide dans un rapport à ses fils fait d’arrogance et d’harcèlement psychologique pour se protéger lui-même.

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Si le père est le point initial de FENCES, une autre histoire familiale se raconte dans LION, mais cette fois-ci en partant du fils et dans l’absence de père. Et puis là, c’est la réalité qui conduit au scénario puisqu’il s’agit d’un biopic totalement incroyable placé sous le signe de l’émotion.

À 5 ans, Saroo se retrouve seul dans un train traversant l’Inde qui l’emmène malgré lui à des milliers de kilomètres de sa famille. Perdu, le petit garçon doit apprendre à survivre seul dans l’immense ville de Calcutta. Après des mois d’errance, il est recueilli dans un orphelinat et adopté par un couple d’Australiens. 25 ans plus tard, Saroo est devenu un véritable Australien, mais il pense toujours à sa famille en Inde. Mais peut-on imaginer retrouver une simple famille dans un pays d’un milliard d’habitants ?

Road-movie ou odyssée… LION nous invite à la fois à la beauté et l’émerveillement du voyage mais aussi à une déterritorialisation non voulue, non choisie et brutale. Cette perte et recherche de repères nous est racontée précisément en deux temps : un premier qui se joue dans les décors de l’Inde et notamment d’une Calcutta effrayante pour un gamin innocent et fragile de 5 ans, et le second dans les majestueux paysages australiens. Afin de donner d’avantage d’authenticité à ce long-métrage, la décision a été prise de tourner sur les lieux précis de l’histoire et on s’en réjouit car le voyage auquel nous invite le réalisateur Garth Davis se trouve autant dans le décor que dans les sens.

Sans révéler le contenu du film, on pourra dire que LION vient toucher l’âme du spectateur avec larmes et bonheur, mais sans tomber dans le piège du pathos ou de la mièvrerie mais plutôt comme une ode à la vie et paradoxalement autant aussi à la résilience qu’au souvenir comme si, là, les deux éléments étaient les deux faces d’une même pièce. Une sorte de parabole du fils prodigue destructurée qui serait parti non par décision personnelle mais par la force des choses… et qui ne revient pas parce qu’il a tout perdu mais au contraire riche d’une nouvelle vie mais pauvre d’une identité semblant perdue.

Comme dans FENCES, LION est servi par un casting classieux et terriblement efficace. Alors il y a bien sûr le trio de la seconde partie composé de Dev Patel (le Jamal de Slumdog Millionnaire) dans la peau d’un Saroo adulte étonnant d’expressivité et de force de persuasion dans le regard et l’attitude, d’une Nicole Kidman dépouillée de strass et de paillettes mais tellement bouleversante dans ce rôle de mère adoptive tourmentée et enfin la très belle Rooney Mara qui apporte une certaine légèreté bienfaisante tant aux personnages qu’à l’histoire elle-même. Mais il ne faudrait pas oublier cette tendre bouille qui est d’une redoutable efficacité tout au long de la première partie. Je parle là de Sunny Pawar, ce jeune indien au prénom ensolleillé comme son sourire mais aussi déchirant quand il lance son regard hagard ou se met à hurler le nom de son grand frère, hélas héros malgré lui de ce drame qui se joue devant nos yeux.

Alors cette semaine ou les suivantes, s’il vous plait… ne manquez pas ces deux grands et magnifiques films dont on ne ressort forcément pas indemne que ce soient dans nos émotions comme dans notre réflexion. Et souhaitons leur le meilleur aux Oscars 2017 dans quelques jours (dans la nuit de dimanche à lundi plus précisément), même si, cette année, les trophées seront chers face à LA LA LAND, ARRIVAL, MANCHESTER BY THE SEA ou HACKSAW RIDGE et SILENCE.