SILENCE DÉRANGEANT MAIS BIENFAISANT

SILENCE ! L’immense Martin Scorcese vient fièrement nous présenter son nouveau film… peut-être l’un des principaux de sa carrière cinématographique, plus simplement l’œuvre de sa vie, mijotée depuis près de trente ans. Respect et coup de chapeau pour un œuvre belle, riche, tortueuse et profondément inspirante.

Longue fresque historique de 2 h 39, Silence est adapté du roman éponyme de l’écrivain catholique japonais Shusaku Endo. Il décrit le déchirement de deux missionnaires jésuites, pris de doute dans leur foi devant le « silence de Dieu » face au martyre infligé aux convertis japonais par les Shoguns, gouverneurs militaires. Nous sommes dans le Japon du XVIIe siècle où le christianisme a été déclaré illégale suite à une évangélisation massive de l’Église catholique. Envoyés dans le Pays du soleil levant, sur les traces de leur mentor, le père Ferreira qui n’a plus donné trace de vie et dont certaines rumeurs évoquent l’apostasie, ces deux missionnaires vont devoir vivre dans la clandestinité auprès de ces « chrétiens cachés ». Tout au long de leur terrible voyage, leur foi va être soumise aux pires épreuves.

Silence peut être vu comme une sorte de voyage contemplatif à travers les méandres de la foi. Tout en nous proposant un film de grande beauté (photo, son, réalisation…) au scénario épique, Scorcese ne cherche pourtant pas à nous « épater » par une méga-production commerciale et tape-à-l’œil. Tout au contraire il nous propulse dans une lenteur mélancolique nécessaire et adéquate au climat qui s’installe au fil des minutes et du cheminement tortueux de ces hommes. Il privilégie la sobriété, le dépouillement qui sied tant aux missionnaires qu’à la situation précaire des chrétiens persécutés qui cherchent à les protéger. Il nous confronte au chaos d’une réalité qui devient un électrochoc, mais qui paradoxalement ne se vit pas dans la brièveté mais dans la longueur… fracassant progressivement des certitudes, des convictions… et, pour le spectateur, ouvre à la réflexion et à l’émotion.

Derrière cette histoire un questionnement de fond éclate avec magnificence : Faut-il accepter de se soumettre (et, peut-être éventuellement, continuer de croire en secret), ou bien faire face aux tortures en gardant sa croyance intacte jusqu’à la mort… ou pire, jusqu’à provoquer la mort de ceux qui nous entourent et que nous aimons ? Un questionnement spirituel d’une puissance implacable, mais qui devient aussi un véritable dilemme éthique qui peut dérouter, voir mettre aussi mal à l’aise dans l’observation que nous en faisons, assis confortablement dans le fauteuil de la salle ténébreuse où la lumière est là sur l’écran mais pour raconter cette histoire faite de douleurs, de passions et parfois de choix qui nous heurtent. Pour Scorcese, le vrai sujet à ses yeux, c’est l’essence de la foi. Et par « foi », il entend également la façon dont nous vivons nos vies, quelles sont nos valeurs. Le scénario de Silence conduit à questionner les fondements de la religion, parlant du doute et de son importance dans la quête de spiritualité, parlant aussi de la foi, de la manière dont chacun l’appréhende et la vit, tout en faisant face au silence divin malgré les prières et les tourments endurés au nom de Dieu.

Silence nous ramène au XVIIe siècle mais on peut pourtant y voir une vraie dimension contemporaine. Pour Scorcese justement, les changements dans le monde d’aujourd’hui nous amènent nécessairement à nous questionner sur le spirituel qui est une partie intrinsèque de nous en tant qu’êtres humains et de notre humanité profonde. L’histoire de ces missionnaires ouvre un dialogue. Elle montre à quel point la spiritualité est une partie intégrante de l’homme. Une des grandes forces du travail de Scorsese se situe aussi, sans doute, dans le fait qu’il n’en fait pas un film « religieux » mais purement universel. Il pourra parler, en y regardant de plus près, à toutes les époques, à toutes les religions, et à tous les athéismes. Pas non plus de « dictature de conscience » grâce à la complexité des personnages, et en particulier celui interprété brillamment par Andrew Garfield. Complexité (sans rien dévoiler) qui va et vient mais se prolonge jusqu’à la dernière minute. Un non manichéisme du protagoniste principal qui devient finalement l’intérêt premier de Silence.

Alors oui, Silence reste une œuvre quelque peu difficile d’accès tant par sa forme que par ses thématiques. Elle demande donc au spectateur de se concentrer et de plonger sans à priori mais confiant qu’une opportunité de réflexion intime s’offre à lui. Accepter que le Silence commence peut-être là en soi comme une nécessité bienfaisante dans un monde si bruyant et dans un intérieur qui l’est tout autant si souvent…

Pour aller plus loin dans la réflexion, SAJE DISTRIBUTION vous offre un dossier pédagogique d’accompagnement à télécharger ICI

 

 

UN AGRÉABLE GOÛT DE MIELE

Pour sa première réalisation, Valeria Golino ose un sujet courageux puisque Miele aborde la question de l’euthanasie, ou plus précisément du « suicide médicalement assisté ».

Terrain brûlant, s’il en est, surtout en Italie sans doute, où la religion occupe évidemment toujours une place très importante. Un film qui a été présenté au dernier festival de Cannes dans la sélection « Un certain regard » où il a reçu une mention spéciale de la part du jury œcuménique.

 

 

Pour situer l’action, Irene est une jeune femme taciturne, malheureuse en amour, qui mène une double vie. Etudiante d’une part, «tueuse» de l’autre, sous le nom de code «Miele»…  Tout semble lui convenir ainsi jusqu’au jour ou son paradigme de vie subit un choc frontal avec la rencontre d’un certain Monsieur Grimaldi, un client potentiel… différent des autres.

Si l’euthanasie et une certaine approche de la mort, filmée avec délicatesse, émotion et une forme d’intimité, sont là au cœur de l’histoire, tout cela devient d’avantage un prétexte à une étude psychologiques de personnages plutôt bien réussie. Deux formes de solitudes viennent se confronter au travers de deux êtres si différents (une jeune femme moderne et un vieil homme désabusé) qui pourtant vont se rapprocher.

Pour conduire cette approche Valeria Golino fait le pari de l’esthétisme. Si ce choix particulier peut surprendre, voire dérouter (cette remarque m’a été faite par des spectateurs lors de ciné-débat), personnellement il m’apporte fraicheur et capacité à accompagner ces personnages dans leurs histoires et leurs combats. Valeria pratique ainsi la réalisation de son film avec la même sobriété que son héroïne exécute le rituel funeste dont elle a fait son gagne-pain : avec autant de dignité et d’attention aux autres que possible. À cela s’ajoute la jolie prestation et la beauté naturelle et si séduisante de l’actrice héroïne de l’histoire, Irene, Miele… ou plus simplement dans la vraie vie Jasmine Trinca.

 

Pour revenir sur la question de l’euthanasie, il est à noter que Miele n’est absolument pas militante dans sa pratique du suicide médicalement assisté. Et alors le film ne le devient donc en aucun cas, non plus. Il amène d’avantage à une réflexion et présente de part et d’autres certains aspects compliqués de la problématique. Chaque situation étant différente… mais apportant toujours son lot de souffrances, d’incompréhensions, de questionnements. Avec intelligence, la réalisatrice ne tranche pas donc pas non plus, et préfère exposer les pour et les contre de cette pratique controversée, laissant le spectateur juger de lui-même.

Miele est surtout une jeune femme paumée qui tente de donner un sens à sa vie. On pourra noter au passage qu’en mettant en avant une certaine éthique dans sa façon d’intervenir, elle pratique dans le même temps des tarifs assez prohibitifs qui n’offrent son intervention qu’à une certaine catégorie de personnes plutôt aisée. Un autre contraste ou paradoxe se situe dans une profonde vitalité qui transparait dans son attitude, d’autant plus accentuée qu’elle est en contact permanent avec la douleur et la mort. Ce qui devrait l’anéantir devient une charge émotionnelle qui la pousse en avant, et la pousse à vivre.

Miele est un film plein de charme qui traite des changements de conviction, des préjugés et des peurs que nous avons tous. Et il est alors à recommander chaudement car forcément utile à chacun…

&É@

 

ARGUMENTAIRE DU JURY ŒCUMÉNIQUE POUR LA MENTION SPÉCIALE À MIELE

Le film offre un regard complexe et sans préjugés sur le thème actuel de l’euthanasie. Avec pudeur et maîtrise, le réalisateur partage avec le spectateur les doutes et le malaise d’une jeune femme qui aide les malades en phase terminale à mourir : à chacun la liberté et la responsabilité de prendre position.