Pygmalionnes… le cinéma aux « plurielles »

Les deux dernières années auront été riches d’interventions publiques diverses mettant à l’honneur le combat contre les inégalités hommes-femmes et la discrimination, notamment dans le monde du cinéma. Ce mercredi 21 janvier est l’occasion d’aller encore plus loin, de façon rafraîchissante et avec l’œil expert du jeune et brillant réalisateur Quentin Delcourt, au travers d’un remarquable documentaire intitulé joliment Pygmalionnes.

Pygmalionnes est un long-métrage documentaire sur les femmes et le cinéma en France. Produit et réalisé par Quentin Delcourt, ce film sans langue de bois pose des questions essentielles à la compréhension du fonctionnement de l’industrie cinématographique française, véritable miroir des réalités et des limites de notre société actuelle. Par la mise en lumière de ces femmes inspirantes, Quentin Delcourt libère à sa manière une parole engagée et engageante, celle des créatrices que sont ces Pygmalionnes, aussi bien devant que derrière la caméra.

Si dans la mythologie grecque, l’histoire de Pygmalion et Galatée renvoie à une légende racontant l’histoire d’un sculpteur qui tombe amoureux de sa création, une statue rendue vivante grâce à Aphrodite, la déesse de l’amour, qui comprend le vœu de Pygmalion, le sens moderne évoque une personne qui par sa notoriété et ses moyens peut se permettre de faire connaître l’art de l’artiste en question. En féminisant le terme, Quentin Delcourt joue avec les mots pour nous introduire dans une thématique devenue chère à son cœur : la place des femmes dans le cinéma en France. Après avoir déjà créé le Festival Plurielles, avec Laurence Meunier, PDG du Majestic de Compiègne, dont la troisième édition est déjà programmée pour 2020, il réalise ce documentaire qui recense les témoignages touchants de 11 femmes travaillant à de nombreux postes de l’industrie du cinéma (réalisatrices, comédiennes, agents, exploitantes…).

On appréciera le travail de Quentin Delcourt du point de vue de son rapport à l’image, avec une belle photo, et du bon boulot niveau cadrage et montage… mais c’est surtout sur sa capacité à mettre à l’aise celles qui sont là face à l’objectif qui est frappante. On ressent une vraie complicité qui est installée, et qui d’ailleurs se concrétise dans les derniers plans et le choix du réalisateur-intervieweur de dire un magnifique dernier mot tout à fait adapté (mais à vous d’aller jusqu’au bout pour comprendre). Chacune de ces artistes à leurs manières rayonne littéralement sur l’écran tout en exprimant des choses à la fois profondes, parfois choquantes, des fois drôles et toujours sans violences ou mauvaise amertume. Un ton parfaitement juste qui permet, sans doute, d’être bien plus efficace et alors de toucher là où il faut !

Un grand bravo donc à Quentin Delcourt et un très vif encouragement à vous tous qui lisaient ces lignes, d’aller découvrir ces Pygmalionnes au plus vite et de faire fonctionner le « bouche-à-oreille » pour que le film puisse rejoindre le plus grand nombre. Notre cinéma et notre société en ont bien besoin…

 

Pour Sama mais tellement aussi pour nous tous !

Pour Sama, le documentaire choc primé à Cannes dernier par l’Œil d’or récompensant le meilleur documentaire présent dans une des sélections du Festival, est depuis ce mercredi dans les salles françaises. Un film ô combien difficile mais tellement poignant qui décrit l’indicible, sans aucun filtre ni recul, le corps et l’esprit immergés dans l’immédiateté du conflit syrien. Ce regard est en plus féminin… C’est celui de Waad El Kateab, jeune journaliste syrienne, qui réussit là un véritable exploit sous la forme d’une œuvre témoignage d’une intensité rare.

SYNOPSIS : Waad al-Kateab est une jeune femme syrienne qui vit à Alep lorsque la guerre éclate en 2011. Sous les bombardements, la vie continue. Elle filme au quotidien les pertes, les espoirs et la solidarité du peuple d’Alep. Waad et son mari médecin sont déchirés entre partir et protéger leur fille Sama ou résister pour la liberté de leur pays.

Certains cinéastes affirment que la caméra n’a pas la capacité de capturer suffisamment intensément les profondes horreurs de la guerre. Les images, les sons et les odeurs existent bien au-delà de l’entendement de ceux qui n’ont pas été victimes d’une attaque au mortier, ou qui n’ont pas frôlé une mère en pleurs alors qu’elle berçait son enfant mort dans ses bras. Et pourtant…

Sama est la petite fille d’une journaliste vidéo amateur Waad Al-Kateab, et son sourire et ses grands yeux illuminent l’écran alors même qu’Alep s’effondre aux mains du régime oppressif de Bachar al-Assad, soutenu par l’armée russe. Tout au long du film, cette jeune maman raconte certaines de ses pensées comme si elle écrivait à son enfant. Elle lui explique qu’elle doit enregistrer pour la postérité, mais aussi pour qu’elle puisse expliquer un peu mieux ce qu’elle a vécu – si, en effet, elle survit. Durant cinq ans, de 2011 à 2016, elle filme le quotidien de sa ville, alors que celle-ci se désagrège au fil de la guerre. Autrefois patrimoine culturel, historique, et capitale universitaire, la métropole ploie sous les bombes et l’horreur provoquant une véritable catastrophe humanitaire. La journaliste filme et filme encore… comme par obligation… pour expliquer et rendre plus supportable le cauchemar le plus abominable qui soit… elle filme les bombes, les visages, l’amour ou la peur. Ce sont des images emplies d’humanité défiant l’horreur et devenant une forme de résilience intime et puissante. Plus qu’un documentaire calculé pour le cinéma, Pour Sama devient ainsi un témoignage de vie, heureuse et dramatique à la fois. Sans même savoir si, finalement, il en restera quelque chose…

Si Pour Sama pourrait passer pour un simple plaidoyer en faveur de la paix dans le monde au nom des « enfants » (et il y a de cela naturellement et logiquement, à bien des égards), Al-Kateab va malgré tout bien plus loin, en faisant apparaitre le sens du fonctionnement de la ville, celui de la communauté, de la vie plus globalement, de la culture, des multiples histoires qui se déroulent les unes sur les autres en même temps. Les questions morales qui se posent sont mêlées au destin des personnage alors qu’ils essaient de trouver la bonne façon de vivre leurs existences. C’est une vraie dimension sentimentale qui surgit, ce qui est plutôt rare dans ce genre de documentaire, en se focalisant uniquement sur ce qui est là présent, et ce qui se passe, mais obligeant le spectateur à s’interroger constamment face à cette question toujours sous-jacente : êtes-vous à l’aise avec tout cela ?

Si très peu de choses réussissent à nous choquer de nos jours, incroyablement désensibilisés à ce qui devrait être traumatique par la prolifération et souvent un abus non réfléchi d’images en tous genres, Pour Sama a, me semble-t-il, cette force-là, cette qualité-là, ajouterais-je. Ce n’est pas un film facile à regarder, sans être pourtant jamais voyeur, ni immature. Oui, le documentaire expose clairement une réalité crue, une réalité brutale, une réalité nue. On fait face à des personnes qui ne veulent pas la guerre mais qui la vivent, qui la subissent, mais il semble ici nécessaire d’y être confrontée visuellement pour vraiment comprendre le carnage. Heureusement, Waad Al-Kateab le fait avec intelligence et laisse la possibilité de respirer et l’intensité s’atténuer pendant certains moments. Le récit alterne entre des séquences haletantes et effroyables, où l’on en tension intenses, craignant pour la vie des protagonistes mais aussi de courts et réguliers moments de quasi félicité, même si le danger rôde aux portes des maisons, des magasins et des hôpitaux encore en service.

Car les gens continuent de vivre et partagent pourtant de l’amour, même de l’humour… dédramatiser la situation pour qu’elle soit peut-être plus facile à accepter. C’est ainsi qu’au fur et à mesure que le film avance et passe aux dernières étapes déchirantes du récit, il commence à inclure des moments qui suggèrent que, même lorsque la société a atteint son nadir, il demeure une forme de transcendance, tels des « fragments de magie » qui surgissent parmi les ruines.

Et dans ce contexte de guerre, on peut croire et dire que ce documentaire sonne comme une petite victoire en soi. C’est une petite lumière qui brille, qui éclaire et me fait dire que Pour Sama est un film essentiel !

 

 

 

WE WILL ALWAYS LOVE WHITNEY…

Sortie ce mercredi 5 septembre 2018 du documentaire WHITNEY de Kevin Macdonald. Un portrait intime de la chanteuse et de sa famille, qui va au-delà des unes de journaux à scandales et qui porte un regard nouveau sur son destin. 

Utilisant des archives inédites, des démos exclusives, des performances rares et des interviews originales avec ceux qui la connaissaient le mieux, le réalisateur Kevin Macdonald se penche sur le mystère qui se cachait derrière ‘La Voix’ qui a enchanté des millions de personnes alors qu’elle-même ne parvenait pas à faire la paix avec son passé.
« Le diable a essayé de m’attraper plusieurs fois. Mais il n’a pas réussi » raconte Whitney Houston sans savoir à l’époque qu’elle finirait par sombrer. Une vie d’ailleurs où Dieu et diable semblent se confronter constamment.
Coup de chapeau à Kevin Macdonald pour la confiance qu’il a su mettre en place avec l’entourage de l’artiste afin d’arriver à de véritables confessions qui permettent notamment d’expliquer les problèmes d’addiction dont souffrait Whitney. On apprend ainsi, et ce pour la première fois, qu’elle avait été agressée sexuellement dans son enfance par sa cousine, la chanteuse soul Dee Dee Warwick.
Un superbe documentaire qui joue entre la carte biopic et le sujet d’investigation. Un montage de grande qualité qui nous permet de retrouver toute la beauté physique et vocale de cette immense star mais capable aussi de nous tirer quelques larmes tant l’histoire tourne vite au drame.

HUIT FEMMES, UN VILLAGE ET LE SOLEIL !

Un documentaire d’une grande bienveillance et de tendresse d’où l’on sort le cœur paisible est à partir d’aujourd’hui sur les écrans de cinéma. Au programme, Jericó, un village au cœur des Andes, en Colombie mais surtout huit femmes de ce village filmées dans leur intimité et avec une immense délicatesse. Jericó, le vol infini des jours, un film de Catalina Mesa qui fleure bon l’espérance !

À Jericó, petit village en Colombie, des femmes d’âges et de conditions sociales différentes évoquent les joies et les peines de leur existence, tour à tour frondeuses, nostalgiques, pudiques et impudiques. Leurs histoires se dévoilent l’une après l’autre, ainsi que leur espace intérieur, leur humour et leur sagesse. Un feu d’artifices de paroles, de musique et d’humanité.

Immersion donc, d’une certaine façon à la « Strip Tease » (le magazine tv), mais avec une vraie touche artistique et un travail soigné de documentaire, dans la vie de huit femmes colombiennes de Jericó, village des ancêtres du père de la réalisatrice, village où a vécu aussi sa très aimée grand-tante, Ruth Mesa.

Les murailles qui tombent ici sont celles de ce qui nous sépare de ses femmes, car en quelques secondes à peine, le spectateur se retrouve au cœur de leurs histoires, de leurs doutes, questionnements, espérances, joies et peines… et de leurs croyances.

Car on croit beaucoup à Jericó !

Une ferveur mystique imprègne plusieurs d’entre-elles. Simples superstitions sans doute parfois mais vraie foi également souvent… à leurs façons. Le documentaire ne pose aucun regard jugeant ou complaisant… la caméra de Catalina Mesa observe et nous offre des moments riches et touchants. À Jerico, on progresse à pas lents guidé par des choses simples de la vie, au rythme de la nature, marqué par des rires d’enfants ou la conversation avec son voisin au détour d’une rue.

Car à Jericó, on parle aussi beaucoup… on échange, on discute, on n’est pas toujours d’accord et on peut même aller jusqu’à se fâcher avec Dieu et ses « saints ».

Ainsi, au cœur de ce documentaire, c’est la parole de femmes qui jaillit avec éclat. Parole qui n’est pas assez souvent écoutée, porteuse pourtant d’une véritable conscience de la mémoire. Catalina Mesa explique qu’elle voulait montrer le quotidien de ces femmes, et surtout le fait qu’il est habité de joie, de musique, d’humour. De leurs peines aussi, elles ne sont pas occultées. « Ces femmes sont les dépositaires de la mémoire de ces lieux, donc autant de la douleur que de l’humour, de la tendresse que de la dureté du travail, des épreuves de la vie. Mais il est vrai qu’il n’y a pas de victimisation. Lorsque l’une d’elles raconte la disparition de son fils enlevé par un groupe armé, elle le fait en jouant aux cartes, comme “en passant”, alors que son émotion demeure toujours aussi forte. »

Et à Jericó, c’est aussi la vie en couleurs et en poésie…

Et tout cela rayonne dans ses images et dans sa magnifique BO joyeuse et, elle aussi, colorée. Catalina l’explique d’ailleurs très bien dans une interview : « le film commence avec ce poème d’Oliva Sosa : « Este mi noble Jericó es bonito, enclavado en el sol de la montaña, el monte azul rozando el infinito y el infinito entrando en la cabana » (« Ma noble Jericó est belle, nichée au soleil de la montagne, la montagne bleue écrase l’infini et l’infini entre dans la chaumière »). Dans la poésie de Jericó, que j’ai beaucoup lus, il y a plein de poèmes comme ça. Cette rencontre entre le ciel et la terre, c’est très spirituel, ça vient de la religion aussi, mais même en dehors de la religion, dans la poésie on retrouve cette sorte d’élan de Jericó qui rencontre le ciel. C’est comme ça que c’est dit dans la poésie. La poésie de Jericó, c’est un peu comme une boîte de macarons, on en mange un tout petit peu et c’est délicieux, mais après on ne peut plus s’arrêter et on est… gavés. Parce que c’est une poésie romantique du début du siècle… Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup d’appels à l’infini, ou à la transcendance. C’est pour ça que le film commence avec le ciel, et le soleil est omniprésent. J’ai essayé de faire figurer cette rencontre avec la lumière à travers la maison, ce moment où cet infini rencontre le morceau plus petit de la fenêtre. »

Alors, un conseil pour conclure… Scrutez bien la programmation des salles proches de chez-vous… et faites-vous du bien en allant voir Jericó, le vol infini des jours !

 

                    

MES OSCARS 2018

Ce soir, l’académie des Oscars remettra ses récompenses une fois de plus… 90ème cérémonie ! Une année 2017 extrêmement riche cinématographiquement… Humblement et de façon purement subjective, je vous livre, non pas mon pronostique, mais mon palmarès personnel.

MEILLEUR FILM 

Three Billboards : les panneaux de la vengeance

(Même si La forme de l’eau…)

MEILLEUR RÉALISATEUR 

Guillermo del Toro (La Forme de l’eau)

(Même si Christopher Nolan…)

MEILLEUR ACTEUR 

Daniel Kaluuya (Get Out)

(Même si Gary Oldman…)

MEILLEURE ACTRICE 

Frances McDormand (Three Billboards : les panneaux de la vengeance)

(Même si Saoirse Ronan…)

MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND RÔLE 

Sam Rockwell (Three Billboards : les panneaux de la vengeance)

(Même si Richard Jenkins…)

MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND RÔLE 

Laurie Metcalf (Lady Bird)

(Même si Octavia Spencer…)

MEILLEUR SCÉNARIO ADAPTÉ 

Bof.. mon enveloppe reste vide

MEILLEUR SCÉNARIO ORIGINAL 

Get Out

(Même si Three Billboards…)

MEILLEUR FILM D’ANIMATION 

La Passion Van Gogh 

MEILLEURE PHOTOGRAPHIE 

Dunkerque 

(Même si La Forme de l’eau…)

MEILLEURE MUSIQUE (bande originale) 

Dunkerque 

MEILLEUR FILM EN LANGUE ÉTRANGÈRE 

The Square (Suède)

(Même si Loveless (Russie)…)

MEILLEUR LONG-MÉTRAGE DOCUMENTAIRE 

Faces Places (Visages villages) un peu de chauvinisme ne fait pas de mal quand même 🙂