THE PLACE TO SEE

C’est l’un des films les plus attendus de ce début d’année pour ceux qui suivent de près les sorties cinéma. Après le joli succès de Perfetti sconosciuti en 2016 (qui a donné un remake français, Le jeu, par Fred Cavayé), le réalisateur italien Paolo Genovese était en mesure de faire quelque chose d’audacieux et c’est précisément ce qu’il a fait, sortant de son chapeau un film ambitieux et métaphorique, dans lequel il laisse pour la première fois vraiment la comédie de côté. The Place (ou Café Roma) est un film de dialogue, un huis-clos conceptuel où le suspens règne en maître, qui pose au public une question unique mais fondamentale : jusqu’où iriez-vous pour obtenir ce que vous voulez ?

 

Synopsis : Un homme mystérieux, assis à la même table d’un café, reçoit la visite de dix hommes et femmes qui entrent et sortent à toute heure de la journée pour le rencontrer et se confier. Il a la réputation d’exaucer le vœu de chacun en échange d’un défi à relever. Tous se précipitent à sa rencontre. Jusqu’où iront-ils pour réaliser leurs désirs ?

L’homme assis dans ce bar, jour et nuit, donne des tâches aux personnes qui se tournent vers lui pour obtenir l’objet de leurs désirs les plus forts, en signant avec eux un véritable contrat. Devenir plus belle, passer une nuit avec une star du porno, sauver un fils, retrouver la vue, retrouver Dieu, ne sont que quelques-uns des vœux que les différents personnages du film révèlent à l’homme assis toujours à la même table de ce café, au nom éclairé de rouge au-dessus de la vitrine : The place. « C’est faisable », répond-il en écrivant rapidement dans son grand agenda, rempli de notes dans chaque coin de chaque page. Mais il y a un prix à payer. Un prix très élevé dans certains cas : voler une grosse somme d’argent, mettre une bombe dans une pièce, violer une femme… Les règles sont simples : vous faites ce qu’on vous dit et vous obtenez ce que vous voulez. Si vous ne le faites pas, votre souhait restera un rêve. Aucune règle ne peut être changée, quelles que soient les circonstances, aussi dure, inhumaine et affreuse qu’elle puisse être. Il leur appartiendra donc de décider d’accepter ou non le deal. Chaque histoire est la pièce d’un puzzle qui se met en place au fil des dialogues. Et chaque nouvelle pièce donne au spectateur une vue plus globale sur l’ensemble et l’éclaire sur le rôle de l’homme dans le bar.

Le film de Genovese est une adaptation d’une série télévisée américaine de 2010, The Booth at the End. Si le film se cantonne quasiment exclusivement à l’intérieur du café (hormis quelques plans de coupe qui ne vont pas plus loin que montrer la devanture de la boutique et l’entrée des clients), le réalisateur fait varier les plans le plus possible, en filmant les acteurs sous tous les angles. Genovese confirme ici qu’il est un metteur en scène courageux à la recherche de nouveaux territoires, et comme dans Perfetti sconosciuti, il pousse le public à questionner les choses, nous renvoyant chez nous avec un dilemme en tête : que ferais-je moi-même dans leurs situations ? La réussite du film réside alors dans sa narration : le choix unique de se cantonner aux face-à-face entre l’homme mystérieux et les différents protagonistes. Les acteurs sont par là même remarquables puisqu’ils arrivent à faire vivre l’histoire alors même que le décor ne change pas. Il faut remarquer à ce titre l’interprétation de Valerio Mastandrea qui incarne avec brio l’homme mystérieux. Cette unicité de lieu met d’ailleurs en exergue toute la tension qui repose uniquement sur la suggestion plutôt que sur la démonstration. Voir les personnages raconter les détails de leurs missions ainsi que leurs hésitations a d’autant plus d’impact que si le réalisateur avait choisi de déplacer l’action en dehors du restaurant. Il n’y a rien de plus angoissant que l’imagination…

The Place est ce que l’on appelle un film choral richement soutenu par une belle brochette d’interprètes. Parmi les vedettes figurent Marco Giallini, Alba Rohrwacher, Rocco Papaleo, Vittoria Puccini, Vinicio Marchioni, Alessandro Borghi, Silvio Muccino, Silvia d’Amico, Giulia Lazzarini, avec la superbe Sabrina Ferilli comme serveuse du bar, qui, lorsque les portes du café ferment et le nettoyage commence, cherche à comprendre qui est vraiment l’homme mystérieux qui semble trouver ses réponses dans le livre qu’il tient ? Très vite on se pose mille et une questions : est-il envoyé par le diable ou l’est-il plus simplement ? Est-ce au contraire Dieu venu pour tester les humains ? Est-ce un ange ? Plus simplement peut-être une représentation de notre conscience ou du regard de l’autre ? Nos hypothèses ne peuvent sans doute que puiser dans le mystique tant cet homme est étonnant. Inutile de mentionner que ceux qui tiennent leur gage voient leur rêve se réaliser… Une chose est sûre puisqu’elle vient de la bouche même de l’intéressé, cet homme « nourrit les monstres » qui se présentent devant lui ou se cachent plutôt à l’intérieur de ceux qui sont là, assis à la table du bar. Car The Place révèle et bouscule clairement les  »âmes noires » qui vivent – peut-être – tapies en chacun de nous. Cette réplique, aussi puissante que troublante, résume à elle seule la série : un petit bijou scénaristique qui met en scène le visage le plus triste de l’humanité tout en distillant par ci par là des petits interstices d’espoir qui tend à faire penser que des gens bons subsistent encore dans ce monde.

 

En effet, si le sujet semble difficile, inquiétant sur le papier, l’histoire elle-même est absolument remarquable, délicieuse et finalement assez réconfortante. Elle provoque en tout cas de profondes interrogations et offre, sans doute, la possibilité de commencer à s’aimer soi-même, à apprécier qui l’on est et à expliquer pourquoi aucune étape n’est nécessairement nécessaire pour paraître spéciale alors que nous le sommes tous déjà à notre façon. Dans ce film, chaque personnage est confronté à sa peur, à sa plus grande menace et est capable d’identifier en lui des qualités comme la dignité humaine, la compassion, l’acceptation, la patience, le sens de la famille ou de l’amour plus largement…

Un vrai coup de cœur, que je vous recommande très chaleureusement !

SYMPATHY FOR THE DEVIL

Mon « Grain2poivre » du jeudi 13 octobre, pour le « Positif Morning » de Phare FM, dont vous pouvez retrouver le podcast en fin d’article.

Sympathy for the devil, un titre qui fait référence explicitement au tube des Stones, qui par ailleurs vont sortir début décembre un nouvel album de blues. Une chanson très intéressante à analyser si on se penche un peu sur le texte. Lucifer qui se dévoile et élargit son champs d’action en évoquant des fais divers d’hier et d’aujourd’hui… et qui nous propose de le traiter avec courtoisie, compassion et bon goût. Voilà, tout est dit ! Quel bon sujet de bac philo ou même excellent support pour une prédication en église ou/et avec des jeunes… et des moins jeunes d’ailleurs, vu l’âge du morceau et, parce que finalement on est tous concernés. Mais ça y est, je m’égare… Ce n’est pas le sujet du jour. Enfin, pas totalement…

Une forme donc de sympathie qui peut naitre pour le diable, ou pour le mal plus symboliquement. C’est un constat que je refaisais encore tout dernièrement. L’actualité récente, en effet, a été marquée par ce terrible ouragan qui a ravagé toute une région du globe et Haïti en particulier, vues les conditions de vie déjà tellement précaires sur cette île, déjà tellement secouée depuis un certain temps. Et comme toujours, dans ces cas là, ce sont les pauvres qui trinquent d’abord, n’ayant pas les moyens « solides » de résister. Et le peu que l’on a… on le perd… et surtout on perd aussi la vie.

Pour l’anecdote, un ami m’envoyait, en début de semaine, une photo satellite de l’ouragan prise par la NASA et tout ça ressemble horriblement à un visage diabolique. Bon, quoi qu’il en soit, le résultat de son passage, c’est l’horreur ! Et bien l’horreur absolue s’appelle Matthew !

Matthew, un prénom plutôt sympathique pourtant. Et c’est même le nom d’un évangéliste bien connu qui a donné son nom à une portion de la Bible, comme quoi… Pour information, la première tempête tropicale à avoir été baptisée l’a été en Australie, au début du 20 siècle, par un météorologue qui l’a affublée du nom d’un politicien qu’il n’aimait pas. Il y avait une certaine logique. Mais il n’y avait alors aucune règle spécifique édictée. Je ne referai pas l’historique de tout ça… pas le temps… mais en tout cas aujourd’hui c’est la pratique, très organisée d’ailleurs, consistant à leur donner un prénom. Pour la petite histoire, jusqu’en 1979, seuls des prénoms féminins étaient choisis ce qui a copieusement agacé les ligues de féministes aux Etats-Unis… et donc maintenant on alterne entre masculin et féminin. On garde ainsi tristement en mémoire Flora, Gilbert, Hugo, Andrew, Katrina, Rita et désormais Matthew.

Tout ça nous révèle un peu plus que l’homme a une grande facilité à rendre plutôt sympathique ce qui ne devrait JAMAIS l’être. Un prénom, ça rend les choses moins dures… en apparence. Mais c’est un constat qui peut se faire un peu partout dans notre société. La télévision ou le cinéma rendent aussi les méchants souvent très cools. Moi j’ai aimé Dexter, le tueur en série, je l’avoue… Et si on commençait à parler de cette question en la mettant en lien avec la politique, mon Grain de poivre n’en finirait plus. 

Plus sérieusement, combien avons nous besoin de savoir prendre un peu de recul avec ces fâcheux fonctionnement, qui, reconnaissons-le, ont un vrai côté pervers… et puis surtout raison garder. C’est peut être avec ces « petites choses » du quotidien qu’une habitude bien plus dangereuse naît dans nos raisonnement et notre façon de vivre. Une sorte d’accoutumance toute doucereuse comme la grenouille bien vivante que l’on met à cuire dans une eau fraiche et que  l’on chauffe doucement. Et je ne me ferai pas le juge de cela car je suis le premier aussi à me faire pigeonner bien souvent.

Donc finalement… no sympathy for the devil.

 > Pour écouter le podcast, c’est par ICI