Être artiste… une affirmation qui se transforme en questionnement philosophique qui pourrait, je vous l’accorde, devenir assez vite rébarbatif, en particulier pour tous ceux qui ne se sentent pas concernés ! Pourtant, la sortie du film « POLINA, danser sa vie » m’encourage a oser gribouiller quelques lignes sur le sujet (mais très humblement et simplement je vous rassure), tant l’approche est intéressante, propice et belle.
« POLINA, danser sa vie » nous plonge dans la Russie des années 90. Ce film raconte l’histoire de Polina, une jeune danseuse classique prometteuse, portée par la rigueur et l’exigence du professeur Bojinski. Alors qu’elle s’apprête à intégrer le prestigieux ballet du Bolchoï, elle assiste à un spectacle de danse contemporaine qui la bouleverse profondément. C’est un choc artistique qui fait vaciller tout ce en quoi elle croyait. Elle décide de tout quitter et rejoint Aix-en-Provence pour travailler avec la talentueuse chorégraphe Liria Elsaj et tenter de trouver sa propre voie.
C’est tout d’abord une émouvante histoire racontée dans ce long-métrage d’Angelin Preljocaj et de Valérie Müller, à partir du roman graphique de Bastien Vivès, succès de librairie de l’année 2011. C’est aussi une excellente interprétation proposée par les différents acteurs et actrices faite de justesse, de nuances, d’esthétisme et de force expressive des regards et des corps – mention toute particulière à l’actrice principale, la danseuse Anastasia Shevtsova dotée d’un magnétisme étonnant et d’une véritable grâce, mais aussi la magnifique Juliette Binoche qui assure vraiment sous les traits d’une chorégraphe contemporaine incisive ou encore Aleksei Guskov dans le rôle sévère et pourtant aimant du professeur Bojinski. C’est encore une bande originale composée par le collectif 79D qui participe à l’effet captivant de Polina et qui accompagne chaque instant, chaque moment de danse, et plus globalement toute la quête intérieure de la jeune artiste en devenir. C’est enfin une réalisation extrêmement soignée mêlant élans poétiques et, en même temps, un certain classicisme qui permet de suivre le cheminement de Polina naturellement, mais aussi de se laisser toucher par les magnifiques moments de danse qui sont finalement plus ou moins permanents. Un film qui danse encore et toujours pendant les cours bien évidemment ou pendant les spectacles mais aussi le soir dans bars d’Anvers, comme à la maison au son de vieux chants russes traditionnels. La nature ouvre également à la danse dans la forêt enneigée comme la nuit, après une journée d’entraînement, entre les barres d’immeubles. La réalisatrice Valérie Müller explique à ce propos : « Il y a cette idée que tout nourrit le parcours du personnage, y compris l’architecture dans laquelle elle grandit, y compris la nature. C’est pour cela, pour pouvoir inscrire les mouvements de la danse dans les décors, que nous avons choisi de travailler en scope. Pour les scènes de répétition, on filmait différemment : plus serré, à l’épaule. Pour le duo final encore autrement, avec une grue. »
En suivant le parcours de Polina fait de doutes, de désirs, d’échecs et de victoires, de rencontres diverses qui deviendront des poteaux indicateurs subtils mais indispensables, fait encore d’une histoire qui précède, de racines, d’une culture et d’inconscient… c’est toute une réflexion qui devient propice sur le sens de l’art et la nature de l’artiste. Si l’apprentissage est une base, un exercice quasi perpétuel, l’artiste doit puiser aussi au-delà. Le sens de son œuvre doit être pétri de son expérience, de son regard et plus simplement de sa vie. Car il n’y a pas d’art sans incarnation, sans comprendre que je ne crée véritablement, non dans une restitution désincarnée mais seulement dans une appropriation de mon histoire, dans une authenticité manifeste qui peut commencer à s’exprimer lorsque mes yeux s’ouvrent pleinement sur le monde autours de moi, lorsque je deviens suffisamment éponge pour absorber les moindres signes de vie qui m’entourent et qui me font finalement être moi même. Polina l’expérimente poussée par sa passion et ses désirs, mais aussi au gré des difficultés et des embuches sur son chemin. Étapes sans doutes aussi nécessaires pour forger l’artiste qui se cache au plus profond de soi, laisser le blues briser la carapace, le mouvement se libérer et ne plus être juste un pas mais le pas qui s’ancre dans la terre, qui, même dans la tendresse et la douceur, prend une forme quasi agressive car volontaire et assumée.
Car finalement, si Polina croyait qu’elle devait abandonner le classique, lui semblant faire d’elle une simple exécutante, si il lui semblait nécessaire de s’émanciper de ses parents, de son professeur et même du Bolchoï qui l’avait accepté, elle apprendra que le véritable problème n’est pas là, mais dans l’émancipation d’elle même pour se libérer pleinement, lâcher prise et accepter un parcours intérieur qui la conduira à être et danser sa vie.
Un apprentissage que chaque véritable artiste doit être amené à considérer et à vivre. Quelque soit sa forme d’expression… danse, musique, peinture, théâtre, écriture… un chemin initiatique nécessaire pour s’assouplir (à l’image du travail demandé sur le tout jeune corps de Polina) et finalement devenir plus ferme dans l’énergie et la vérité donnée aux gestes, aux notes, aux traits, aux attitudes ou aux mots.
Un film à voir si on aime la vie… car l’art c’est finalement beaucoup ça !
La sélection Un certain regard nous donne chaque année de voir de magnifiques œuvres qui méritent très largement que l’on s’y attarde. Le Jury œcuménique a d’ailleurs la possibilité de remettre des mentions sur cette sélection en plus de son prix dans la sélection officielle. Aujourd’hui, dans ce cadre, était présenté La danseuse, le premier film de Stéphanie Di Giusto, avec un très joli casting composé entre autre de Soko, Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, François Damiens et Lily-Rose Depp (la très jolie fille de Vanessa Paradis et Johnny Depp).
La Danseuse est tiré d’une histoire vraie, celle de Loïe Fuller qui a littéralement révolutionné́ les arts scéniques à la Belle Époque. Née dans le grand ouest américain d’une mère américaine et d’un père français, rien ne la destinait à devenir la gloire des cabarets parisiens et encore moins à danser à l’Opéra de Paris. Cachée sous des mètres de soie, les bras prolongés de longues baguettes en bois, Loïe réinvente son corps sur scène et émerveille chaque soir un peu plus. Même si les efforts physiques doivent lui briser le dos, même si la puissance des éclairages doit lui brûler les yeux, elle ne cessera de perfectionner sa danse. Mais sa rencontre avec Isadora Duncan, jeune prodige avide de gloire, va précipiter la chute de cette icône du début du 20ème siècle.
Tendresse, charme et volupté sont des termes qui correspondent à la fois au personnage de Loïe comme au film dans son ensemble. Stéphanie Di Giusto nous transporte dans l’univers de cette jeune fille avec grand talent. Son film, construit classiquement, est néanmoins très touchant, mettant ensemble des éléments clés à la réussite d’un tel projet : Belle histoire, lumière-photo très soignées, des acteurs et actrices tout en justesse, une musique magnifique… des scènes qui restent en mémoire, de la séduction… On se laisse parfaitement prendre au jeu qui se déroule devant nos yeux et on admire en particulier les quelques chorégraphies proposées, que ce soit celles menées par Soko ou celles de la jeune Lily-Rose.
On pense à Chocolat, qui récemment nous racontait la montée et la chute de ce premier artiste de cirque noir à Paris. Cette fois-ci, c’est la danse qui est sur la scène mais les émotions sont là de la même façon. Si les tentations et le vécu sont différents, il n’en demeure pas moins qu’on se brûle vite les ailes quand la gloire se manifeste brutalement et quand la passion est si forte. Les ailes d’un papillon, sans doute là avec Loïe, plein de grâce et de couleurs mais si fragiles dans le même temps.
Un film qui se déguste simplement avec plaisir mais qui permet aussi finalement de réfléchir.
CITATIONS DES CRITIQUES DE L’ÉPOQUE
« Du divin se matérialise. On songe à des visions de légendes, à des passages vers l’Eden. » Paul Adam.
« L’art jaillit incidemment, souverain : de la vie communiquée à des surfaces impersonnelles, aussi du sentiment de leur exagération, quant à la figurante : de l’harmonieux délire. » Mallarmé.
« Le corps charmait d’être introuvable. Elle naissait de l’air nu, puis, soudain y rentrait. Elle s’offrait, se dérobait. Elle allait, soi-même se créant. » Rodenbach.
« Toutes les villes où elle a passé et Paris lui sont redevables des émotions les plus pures, elle a réveillé la superbe antiquité. » Auguste Rodin.
« La flore s’anime et s’humanise. » Roger Marx.
« C’est une clarté qui marche, qui vit, qui palpite, et la chose véritablement émouvante, c’est que toutes ces flammes froides, de ce feu qu’on ne sent pas brûler, jaillit entre deux volutes de lumière une tête de femme, au sourire énigmatique, la tête de la danseuse sur un corps de phosphorescences insaisissables et que les lueurs vives embrasent et transfigurent. » Félicien de Ménil.
« Est-ce une danse, est-ce une projection lumineuse, une évocation de quelque spirite ? Mystère. » Jean Lorrain.
La fameuse phrase que l’on voit souvent en début de film : « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. », n’est vraiment pas l’adage de cette 67ème édition du Festival de Cannes. Au contraire même, puisque nombreux sont les réalisateurs ayant à l’inverse choisi de raconter des histoires s’inspirants de faits réels. Et un de plus ce matin… mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du nouveau Ken Loach avec Jimmy’s Hall.
1932 – Après un exil de 10 ans aux États-Unis, Jimmy Gralton rentre au pays pour aider sa mère à s’occuper de la ferme familiale. L’Irlande qu’il retrouve, une dizaine d’années après la guerre civile, s’est dotée d’un nouveau gouvernement. Tous les espoirs sont permis… Suite aux sollicitations des jeunes du Comté de Leitrim, Jimmy, malgré sa réticence à provoquer ses vieux ennemis comme l’Église ou les propriétaires terriens, décide de rouvrir le « Hall », un foyer ouvert à tous où l’on se retrouve pour danser, étudier, ou discuter. À nouveau, le succès est immédiat. Mais l’influence grandissante de Jimmy et ses idées progressistes ne sont toujours pas du goût de tout le monde au village. Les tensions refont surface…
En décidant de nous parler de l’histoire de Jimmy Gralton, le seul Irlandais à avoir été expulsé de son propre pays sans procès, parce qu’il était considéré comme « immigré clandestin » en août 1933, Ken Loach nous propose un hymne à la liberté, à la vie… et au courage. Paul Laverty, scénariste du film, souligne combien il a été frappé par la volonté collective d’ouvrir ce centre, construit par des bénévoles, où les jeunes pouvaient se retrouver pour refaire le monde, se cultiver, donner des cours et, bien entendu, chanter et danser, sans être inquiétés par quiconque, pas même par l’Église et le gouvernement qui, à l’époque, étaient complices. Jimmy et ses camarades étaient résolus à construire un espace de liberté. Alors oui, le « religieux » n’est pas reluisant, tout comme Philomena de Stephen Frears égratignait l’Église irlandaise des années 50… mais il y a de quoi… reconnaissons-le. On peut voir là encore comment la religion peut rapidement s’enfermer dans des conceptions (bien lointaines du texte et des enseignements bibliques. L’un des prêtres de Jimmy’s Hall le reconnaît d’ailleurs) et surtout enfermer l’autre alors, en particulier quand elle cherche à prendre le pouvoir et oublie son rôle de serviteur. Sortir de la religion pour entrer dans la relation… au prochain mais aussi à Dieu pour l’entendre et entendre alors l’autre et le comprendre… quelqu’il soit, quelque soit son rang, ses idées et ses choix. Voilà sans doute une leçon qui transparait de cette ballade irlandaise.
Le risque et les dérives de l’opulence qui conduit à l’exploitation du plus petit et même à sa négation sont aussi constamment présents. « Si on mange plus qu’il ne faut, on finit pas exploser ! » dira l’un des amis de Gralton. Une explosion qui, hélas, fait surtout des dégâts tout autours et chez les plus faibles, mais qui ne détruit tout de même pas l’envie, l’amour, le courage et la liberté. Car tout est là… en particulier dans les instants tristes de ce récit qui soudainement s’illuminent et redonne espoir : Rien n’est jamais perdu, et ce qui a été transmis aux plus jeunes ne sera pas oublié et continuera de vivre et de se transmettre encore.
Merci monsieur Ken Loach pour ces leçons de vie… et cette leçon de cinéma !
Et rendez-vous le 2 juillet sur les écrans français.
The place, Billie, Drunk, Michel-Ange… Toute l’actualité ciné avec Jean-Luc Gadreau, journaliste et blogueur.
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NOUVEAU ! « Je confine en paraboles »
Chaque jour à 7h45 , pendant ce temps de confinement, je vous propose ma minute-vidéo « Je confine en parabole »… histoire de bien démarrer la journée.
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