DIS-MOI CE QUE TU CRÉES…

Au cours des derniers mois, des personnes travaillant dans les médias, les arts et le spectacle et accusées d’inconduite sexuelle ont été licenciées ou ont vu leurs projets actuels et anciens suspendus, avant même d’ailleurs que la justice ne soit rendue. Ces événements repose une vieille question philosophique autour de l’œuvre et de l’artiste. Sont-ils inséparables ou non ? En élargissant, on pourra aussi réfléchir à la particularité de l’artiste chrétien, ce qui conduira aussi naturellement à s’interroger sur l’attitude attendue du chrétien vis à vis de la culture.

artspiin-culture

On dit souvent d’une œuvre d’art qu’elle a un auteur et qu’elle appartient ainsi à un ensemble constituant l’œuvre d’un artiste. Celui-ci est alors considéré comme possédant des dons techniques et un talent lui permettant de donner forme à ses inspirations. Une sorte de supériorité par rapport au commun des mortels tient précisément à cette faculté d’imposer à un support la forme qu’il souhaite pour créer une œuvre inédite, représentant ses aspirations. Par ces différents aspects, l’artiste s’apparente à un maître, et c’est aussi de la sorte que Dieu lui-même devient le Maître par excellence, l’Artiste parmi les artistes. Mais la maîtrise technique ne constitue pas le seul aspect de la relation à l’œuvre, sinon l’artiste ne se distinguerait pas réellement de l’artisan. Se demander si l’artiste est le maître de son œuvre revient donc à interroger la spécificité de la notion d’auteur et à voir si elle s’apparente à une relation de maîtrise, entendue aussi comme contrôle et possession de quelque chose.

Or, si l’artiste est bien un maître dans son domaine, il ne va pas de soi qu’il soit le maître de son œuvre dans la mesure où elle lui échappe de plusieurs manières et c’est, justement, en cela que réside la particularité de la définition de l’artiste. En premier lieu, l’œuvre n’appartient pas à l’artiste car celui-ci n’en contrôle pas absolument le processus d’élaboration. En second lieu, l’artiste ne maîtrise pas la réception dont son œuvre fait l’objet.

 

Auteur mais pas maître pour autant

Une œuvre d’art est une création. Elle suppose donc l’existence d’un créateur et s’apparente à une forme de production.  L’artiste crée en fonction d’une inspiration, d’un besoin. Même si on lui passe commande, il demeure relativement libre de faire comme il l’entend. Sinon le peintre ne serait, par exemple, qu’une sorte de décorateur et ce n’est pas le cas. L’artiste est donc bien l’auteur de son œuvre et l’on identifie souvent l’un par l’autre, l’un et l’autre. On dit, par exemple, un Rembrandt, un Picasso (le prénom s’effaçant même discrètement) comme si la personne du peintre s’incarnait dans ses toiles par la grâce d’un style, d’un talent, voire d’un génie singulier qui lui sont propres.

Ici s’établit la différence entre l’artiste et l’artisan (ou l’ouvrier) : tous produisent mais l’artisan agit selon des plans et des objectifs souvent préétablis par d’autres. Il doit alors respecter des contraintes techniques beaucoup plus importantes liées à la finalité pratique de ses réalisations. Il ne peut donc pas faire ce qu’il veut et n’est donc pas totalement le maître de sa production.

Pour autant, il n’est pas aisément possible d’assimiler la notion d’auteur à celle de maître. La relation de maîtrise de ou sur quelque chose implique l’idée d’un contrôle total ou celle d’une possession parfaite de cette chose (dans la lignée d’une relation maître/esclave). Or, être l’auteur d’une œuvre n’implique pas qu’on la possède de la sorte. En effet, lorsqu’il crée, l’artiste ne sait pas toujours où il va, ni ce qu’il fait. Au début d’un poème ou d’une chanson, un auteur choisit des mots pour évoquer les images ou les sentiments qu’il porte en lui mais, très vite, le processus peut s’inverser : les sonorités des mots font surgir de nouvelles images, les mots appellent les mots qui appellent d’autres images et ainsi de suite. Le poète devient presque le spectateur de l’accomplissement de son poème. Il se laisse aller à l’inspiration de son génie. C’est la raison pour laquelle on a souvent identifié le génie de l’artiste à un don divin : à travers lui se tisserait une sorte de relation avec une puissance divine qui nous parlerait par son entremise. L’artiste se trouve alors possédé par son inspiration. Il nous enchante car il est enchanté par les Muses, c’est-à-dire sous le charme et donc comme possédé…

artspiin-culture

De plus, l’artiste n’est pas le propriétaire de son œuvre au sens où chaque spectateur ou auditeur est libre d’interpréter et de vivre librement sa relation avec elle. Une musique est recréée à chaque écoute, des significations nouvelles surgissent à chaque lecture d’un texte. Nous sommes libres d’interpréter un tableau comme bon nous semble en nous laissant guider par notre état d’âme de l’instant, par nos impressions, par notre connaissance particulière de l’histoire de l’art… Contrairement à un objet artisanal ou technique, l’œuvre d’art ne s’accompagne pas d’un mode d’emploi indiquant la façon dont il faut l’utiliser et la comprendre. Aussi, l’artiste accepte-t-il d’être dépossédé de son œuvre dès qu’il la rend accessible à autrui. Il apparaît donc que cette forme de don et cette prise de risque soit profondément incompatible avec les présupposés attachés à la notion de maîtrise. L’artiste ne maîtrise pas le destin et la réception publique de son œuvre.

C’est d’ailleurs souvent là le plus grand défi qui se présente pour l’artiste. Savoir lâcher prise… Loin de s’apparenter à une relation de maîtrise, la notion d’auteur exige, au contraire, la faculté de se détacher de son œuvre. Au cours de l’acte créateur d’abord, l’artiste doit pouvoir se laisser aller à son inspiration et se rendre disponible pour l’accueillir, quitte à abandonner en cours de route ses aspirations initiales. Une fois l’œuvre achevée, il lui faut accepter qu’elle ne lui appartienne plus, au sens où chacun devient à sa manière l’auteur de l’œuvre selon sa façon de l’interpréter, de la vivre, voire d’y être indifférent ou de ne pas l’aimer. L’histoire même de la Création en est un parfait exemple… Dieu observant par étape le processus créationnel qui, s’il vient de lui, semble aussi lui échapper, tout en constatant que les choses sont bonnes ainsi. Puis il lui faudra laisser faire… laisser vivre… l’humanité avec ses forces et ses faiblesses, avec ses propres désirs. C’est notre histoire qui se dessine.

En résumé, la maîtrise technique de son art ne signifie pas que l’artiste est le maître de son œuvre. Il faudrait plutôt dire qu’il en est seulement le maître d’œuvre.

 

Weinstein, Spacey, Cantat, Gauguin… et les autres

Il y a un an, en octobre 2017 précisément, éclate le « scandale Weinstein ». Le New York Times publie le témoignage d’une dizaine de victimes attestant avoir été harcelées et agressées sexuellement par Harvey Weinstein, personnalité influente de l’industrie du cinéma américain. Dans la foulée de ces révélations, ce sont près de 100 femmes, et surtout actrices internationales, qui ont publiquement déclaré avoir été agressées par le producteur. Au-delà de la chute précipitée de The Weinstein Compagny, l’exclusion de Weinstein de l’Académie des Oscars, le retrait de sa Légion d’honneur ou encore son divorce, la principale conséquence de l’affaire fut sans doute la libération de la parole des victimes, et les mouvements #MeToo et #Balancetonporc. Kevin Spacey, Jeffrey Tambor, Bryan Singer, John Lasseter, Brett Ratner, Gilbert Rozon… Nombres affaires de harcèlement, d’agression et de viol mettant des personnalités du show-bizness ont alors éclaté au grand jour. Mais rien de nouveau sous le soleil me direz-vous. David Hamilton, en son temps, aurait violé des modèles entre 13 et 16 ans. Mickael Jackson aurait abusé d’enfants. Bill Cosby est accusé d’agressions sexuelles par une dizaine de femmes et Polanski et W. Allen, et je pourrais aussi parler de ces enfants stars des années 80 abusés par leurs producteurs… et la liste est longue, longue, longue.

En France, en 2003, c’est le chanteur Bertrand Cantat qui avait défrayé la chronique avec la mort de l’actrice Marie Trintignant, qui succombe sous les coups de son compagnon. Après avoir purgé une peine de quatre ans de prison (8 ans à la base mais avec remise de peine pour bonne conduite), le chanteur ne parviendra jamais pleinement à revenir à son statut passé. Et le 11 juin dernier, l’ancien leader de Noir Désir a dit adieu à la scène, écourtant sa tournée de quelques mois. Devenu le symbole des violences faites aux femmes pour ses détracteurs, le chanteur a cédé sous le poids de la polémique qui lui colle à la peau depuis cette nuit de juillet 2003 à Vilnius. Récemment, Nadine Trintignant déclarait encore à propos de l’homme qui a battu sa fille jusqu’à la tuer. « Je trouve ça honteux, indécent, dégueulasse, qu’il aille sur scène » et lorsqu’une journaliste lui demande si quelqu’un qui a été condamné, qui a purgé sa peine, n’a pas le droit de reprendre son travail et de revenir dans la lumière, elle rétorque : « Pas dans ce travail-là, sûrement pas. Parce qu’il a tué. S’il veut se réaliser en tant qu’artiste, il peut écrire pour des chanteurs qui eux n’ont pas tué… »

Et puis en remontant le temps, les exemples sont aussi nombreux. Juste à titre d’exemple, Picasso était misogyne, Wagner et Céline était antisémites et tout récemment ressortait le cas Gauguin avec la sortie d’un film qui retrace une partie de la vie de l’artiste, générant une petite polémique quant à la pédophilie du peintre passée sous silence dans le film. Nous sommes en 1891, Gauguin 43 ans, alors en Polynésie, entretient une relation avec une jeune fille de 13 ans et l’épouse, avec l’accord de ses parents.

Je pourrai évidemment multiplier les exemples plus ou moins choquants, élargissant aussi au sportifs, politiques, personnes publiques plus largement… certains étant à remettre dans un contexte sociétal différent, d’autres n’ayant jamais été prouvés et beaucoup étant bel et bien avérés et même parfaitement assumés.

Il me semble voir apparaitre alors un fait. Tous ces cas évoqués (et les autres) n’ont pas engendré les mêmes conséquences. Et l’on peut avoir le sentiment qu’il y ait deux poids, deux mesures en fonctions des personnes et des situations. Tout simplement déjà quand le temps fait son œuvre… les exemples liés à des artistes des siècles passés ne posent souvent guère de problèmes aujourd’hui. On lit du Baudelaire, on se délecte de Wagner, on s’extasie devant un Picasso ou un Gauguin sans évidemment mettre en parallèle les faits qui leurs collent toujours néanmoins à leur peau. Le temps qui passe efface ou du moins estompe les blessures du passé, l’écriture de l’histoire… À l’inverse, le retour extrêmement rapide sur scène de Cantat a sans doute exacerbé les réactions et le rejet.

artspiin-culture

Le rapport personnel que nous entretenons avec l’œuvre de l’artiste est un facteur non négligeant. C’est ainsi qu’une majorité de fans de « House of Cards », même touchés par le scandale autour de Kevin Spacey ont difficilement accepté l’arrêt de la série à succès, ce qui, pour tous ceux qui n’avaient pas une accroche forte avec elle, ne gênait bien sûr aucunement. Ajoutons-là qu’en l’occurrence, Spacey était évidemment l’acteur principal, mais, à la différence d’un chanteur, d’un peintre ou d’un auteur, n’en ait pas le maître d’œuvre unique. Autre paramètre donc à considérer… Et puis, avouons-le, la nature même du scandale joue un rôle essentiel dans ce que l’on en retient et induit une réaction plus ou moins forte. J’évoquais l’antisémitisme de Wagner ou Céline, et je pressens que pour certains d’entre nous, cela ne peut être mis au même rang qu’un harcèlement sexuel ou qu’un acte pédophile. Mais pour quelqu’un de directement touché par cette question la parole d’un artiste renommé peut devenir alors une arme terrible et provoquer une blessure saillante. Lorsque des allégations ont été faites contre Woody Allen, Hollywood les a ignorées et, à cause de cela, nous aussi. Il a été pardonné avant même d’être jugé. La mort de Marie Trintignant, actrice aimée du public français et d’une lignée d’artistes renommée, avec une filmographie étalée sur une trentaine d’années durant lesquelles elle aura tourné avec Claude Chabrol, Ettore Scola et Leos Carax, a implicitement joué un rôle important dans l’affaire Cantat. On peut spéculer que si sa compagne avait été une illustre inconnue les choses auraient été plus discrètes et son « absolution » moins compliquée. Je ne juge évidemment pas les faits mais établi une simple constatation concernant nos réactions. Les nombreux scandales mis en lumière ces derniers mois sont aussi le reflet d’une époque où les langues se délient, celles des femmes en particulier, et nous ne pouvons bien sûr que nous en réjouir, surtout quand cela permet de lutter contre le mal, contre l’abjecte. Alors finalement, peser la valeur d’un film, d’une émission de télévision, de concerts, d’un journal télévisé, d’un auteur accusé est presque impossible dans le contexte de la détresse des victimes. Il n’est pas surprenant que les émotions soient fortes. Mais… tout n’est pas simple pourtant.

 

Au banc des réseaux sociaux

Le sujet que nous abordons-là nous ramène une fois de plus aussi à pointer du doigt les réseaux sociaux. Les réponses aux scandales ont été à couper le souffle dans leur rapidité et leur détermination. Un autre homme puissant dans les médias ou le divertissement est accusé d’être un prédateur sexuel. Il l’admet ou non. Il va faire l’objet d’une enquête… Et tout à coup, son travail – peu importe combien il a plu avant – devient radioactif. La faute notamment à la vitesse de propagation de la rumeur (car tant que la chose n’a pas été prouvée, elle demeure quoi qu’il en soit une possibilité mais rien que ça). #TrialByTwitter est maintenant utilisé comme une expression pour avertir des dangers de juger des personnes en dehors de la règle de droit. Il est bon je crois d’encourager les gens à pouvoir dénoncer des faits inconvenants ou des violences subies qu’elles qu’en soient leurs natures, de pouvoir amener leurs agresseurs devant la justice mais tout en faisant attention que le peuple ne prenne pas les fourches avant la fin du spectacle. On peut légitimement s’interroger sur ces réactions de la part d’institutions hollywoodiennes, dont la peur de perdre de l’argent les oblige à annuler des spectacles et à effacer des acteurs avant même que ne soit prouvé leur culpabilité.

La vitesse exponentielle de Facebook, Twitter, Youtube et compagnie peut d’ailleurs aussi parfois se retourner très vite comme un effet boomerang dévastateur. En cet été 2018, c’est l’accusatrice qui se retrouve elle-même visée. Asia Argento, auparavant en première ligne face à Weinstein, se retrouve maintenant accusée d’avoir abusé d’un jeune acteur en 2013 avant d’acheter son silence. « Oui, l’art souffre », a déclaré l’acteur Colman Domingo. L’année dernière, son très bon film « Birth of a nation » s’est effondré au box-office après des révélations selon lesquelles son auteur-réalisateur, Nate Parker, avait été accusé d’avoir violé une femme près de 20 ans auparavant. Parker a été acquitté ; la femme s’est plus tard suicidée…

On parle là de comportement malveillants, immoraux et répréhensibles par la loi mais, vis-à-vis de la question au cœur de notre réflexion du moment, cela pourrait tout aussi s’élargir à d’autres types de comportements comme, par exemple, les convictions religieuses. Pensons à tous ces acteurs que je peux apprécier pour leur talent d’acteurs mais qui sont scientologues. Clin-d’œilà Tom Cruise, John Travolta, Juliette Lewis, Will Smith, Elisabeth Moss. Devrait-on faire une distinction entre la vie privée d’un artiste et son œuvre ? Prenons l’exemple de l’excellente série « The Handmade’s Tales », série que je vous conseille vivement, en sachant qu’elle laisse tout de même un drôle de sentiment quand on termine un épisode. Dans un futur proche, le gouvernement américain se fait renverser par une secte rigoriste qui prend le pouvoir, les femmes n’ayant plus le statut de citoyenne et toutes sortes d’odieux comportements se mettant alors en place. L’actrice principale, Elizabeth Moss est vraiment brillante. Dans le même temps, j’apprends qu’elle est scientologue… Étonnant, soit dit en passant, ce choix de l’actrice pour incarner le rôle d’une « opposante » à ce système sectaire dans la série. Vais-je donc arrêter de suivre une série parce que l’actrice est scientologue ? Pour ma part je dirai non, j’attends la troisième saison même si la seconde m’a légèrement déçue sur certains points. Dans ma réflexion je ne fais que remettre en contexte sa croyance. Si elle avait été néo-nazie je n’aurais peut-être pas tenu le même discours… enfin peut-être pas.

Malheureusement si donner son avis tranché sur tout est répandu, la remise en perspective des faits l’est beaucoup moins.

 

Culture et foi chrétienne

Ce rapport entre l’artiste et son œuvre vient interroger également « l’artiste chrétien ». S’il est rare d’entendre parler d’une personne comme d’un chauffeur de camion chrétien, d’un ouvrier d’usine chrétien, d’un pilote de ligne, d’un boulanger… ce terme « artiste chrétien » est pourtant constamment usité. Dans la vie, la plupart du temps, une personne vous dira quelle est sa profession et vous découvrirez peut-être plus tard que cette personne est également chrétienne. Mais pour l’artiste, les choses sont hélas souvent différentes car justement, implicitement, le résultat de « son travail » est attendu comme devant « obligatoirement » refléter ses convictions spirituelles. Curieux… Dans le même temps, une immense majorité de ces artistes diront ne se considérer aucunement comme des « artistes chrétiens ». Le mot chrétien étant utilisé là comme un adjectif pour décrire la personne ou le type d’art qu’une personne fait. Cette expression, « artiste chrétien », peut tout à fait donner à croire qu’ils ne peuvent être placé sur le même plan que les artistes « normaux ». Quand une personne est appelée artiste chrétien, la personne est maintenant compartimentée pour ne faire que de l’« art chrétien » (et on pourrait encore épiloguer longuement sur ce qui pourrait être considéré comme tel !). Alors, on peut néanmoins ajouter ici que son identité est bien sûr en Christ d’abord et son art reflétera sans doute naturellement ce style de vie. Raphael McManus, dans son livre « The Artisan Soul », dit que « tout art est une extension de ce que nous sommes ». Tiens… finalement alors il y a peut-être là une part de la réponse attendue ? Une extension, un reflet, une forme d’augmentation ?… Mais ce n’est pas pour autant que l’œuvre de mes mains ne puisse se cantonner exclusivement à une revendication prosélyte ou à une forme de louange bien affirmée.

Au risque de vous surprendre, j’ai pu constater que la conversion pouvait devenir un obstacle à la création pour l’artiste. C’est un paradoxe et même une forme de scandale pour moi ! Cette rencontre avec le Christ Libérateur devrait au contraire ouvrir les portes et fenêtres de notre vie, apporter un renouveau et une fraîcheur inégalée, celle de la présence de l’Esprit. Elle s’entend aussi comme un élargissement de nos horizons et par voie de conséquences, de l’inspiration créatrice. C’est également le développement de cette semence dans notre cœur de la nature même du Dieu Créateur. Alors pourquoi ce sentiment inverse ? La raison principale se trouve précisément là, dans cette idée d’enfermement spirituel. Ce simple qualificatif juxtaposé de ‘‘chrétien’’ à toute forme d’art devient réductrice et, qu’on le veuille ou non, atteint l’artiste. Avec cette désignation – ce n’est pas uniquement un problème de vocabulaire – vient s’ajouter tout un chapelet d’idées reçues où le travail de « l’artiste chrétien » doit prendre telle ou telle forme, ne pas exprimer ou dire ceci ou cela, rechercher à déclencher tel type d’émotion et éviter à tout prix telle autre, s’exprimer ici mais surtout pas là… Être toujours accompagné d’explications, de paroles bibliques (voir du nom de Jésus) pour que la compréhension du spectateur puisse se manifester. Se voir cautionner par tel ministère, affublé d’un label quelconque qui garantira à chacun la ‘‘spiritualité’’ de l’artiste et de son travail… Désolant à mes yeux mais surtout emprisonnant et tellement à l’opposé de la liberté nécessaire pour créer !

artspiin-culture

Cette façon d’entrevoir le rapport entre un chrétien, artiste, et le fruit de ses talents a des répercussions directes beaucoup plus larges pour le chrétien lambdaet son intérêt pour les arts et, plus globalement, la culture. Je constate et je m’en désole, que pour beaucoup de fidèles évangéliques l’intérêt culturel n’est que très léger (et je ne veux pas être trop négatif). La culture… c’est le monde ! Alors oui, à la rigueur, si elle m’évoque Dieu, la Bible, la foi mais sinon, « grand Dieu » c’est perdre son temps, ou voire même se corrompre. On se pâmera donc devant un navet cinématographique où certaines valeurs chrétiennes sont mises en avant, où on jubilera à écouter le Nième titre de louange pop d’un groupe qui fait la copie ratée de celui à la mode qui tourne en ce moment, et on pourra décliner cela plus ou moins dans toutes les formes artistiques et culturelles. Un éloignement certain pouvant devenir une séparation véritable avec la culture ambiante se développe au sein de nos Églises. J’aime me redire encore et encore ce verset phare de l’évangile de Jean : « Car Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique… ». Oui Dieu a aimé, aime et aimera ce monde. Il est à son écoute. Il le connait. C’est à cause de cet amour que sa bonté, sa grâce, sa nature même peut alors s’exprimer, se donner, s’offrir gracieusement. Pour ma part, quand j’aime j’ai envie de donner, j’ai envie de me donner… La culture est précisément un cadeau qui nous est offert pour connaitre et aimer le monde. Celui des temps passés, celui d’hier, d’aujourd’hui, de demain. Je crois fortement que plus l’Église saura se plonger dans la culture de notre monde, plus elle sera en mesure d’y rayonner, d’y jouer un rôle salant et lumineux, d’y accomplir sa destinée spirituelle.

« Élargi l’espace de tente… » autrement dit, ouvre tes horizons, écoute ce que disent les artistes, ce que disent les penseurs, les philosophes… et que ta foi puisse ainsi se laisser questionner. Quel bonheur à chaque fois que je découvre un nouveau film au cinéma qui, sans avoir de visée spirituelle particulière, me questionne, m’éveille à la vie, à des thématiques humaines fondamentales et me permet souvent d’en discuter avec d’autre à la lumière, naturellement, de ce que je suis, de ce que je crois. Quel apport souvent extraordinaire pour mon expérience personnelle et pour ma compréhension de la société de lire un roman, une nouvelle, un essai, un poème… de visiter un grand musée, d’aller à une exposition d’un jeune artiste photographe, d’écouter les textes des derniers titres les plus téléchargés ou de réécouter un classique vintage de Dylan ou de Brel.

 

Que celui est debout ne prenne garde de tomber

Cette approche spirituelle de la question semble nous conduire à savoir prendre du recul entre l’œuvre et l’artiste tout en ayant conscience qu’un lien fort existe malgré tout. « Dis-moi ce que tu crées et je te dirais qui tu es ? »… Non, pas vraiment, même si ce que je suis devrais naturellement aussi apparaitre dans mes actes. C’est du moins ce que McManus semble vouloir dire. C’est aussi finalement l’un des messages de l’Évangile. Des actes conformes à notre foi. Mais la réalité parfois peut s’avérer décevante. À l’image de l’apôtre Paul, je fais parfois ce que je ne voudrais pas… et parfois encore je fais ce que je ne devrais pas… Alors il y a la grâce ! Une grâce inconditionnelle qui dépasse la compréhension humaine. Cette grâce qui vient d’en-Haut et qui se donne comme l’expérimentera l’artiste-berger devenu roi, David, cet homme selon le cœur de Dieu. Ce même homme qui par ailleurs se choisira une femme en allant jusqu’à faire tuer son mari. Tiens, rien de nouveau sous le soleil… Alors il y a les conséquences à nos actes, et je n’épiloguerai pas ici sur la douleur de David, sur certains de ses psaumes qui démontrent un sentiment profond et terrible de culpabilité, ou sur le fait que Dieu ne lui accordera pas de construire lui-même le Temple qu’il voulait édifier… Mais impossible de jeter le bébé avec l’eau du bain, de déchirer les pages qui raconte l’épopée extraordinaire de cet homme, et de supprimer cette mention qui en fait, une fois encore rappelons-le, « un homme selon le cœur de Dieu ».

Récemment, aux États-Unis, un scandale a secoué la Willow Creek Community Church, l’une des Églises « modèle » du mouvement évangélique au-travers de son pasteur Bill Hybels accusé de s’être conduit de façon inappropriée vis-à-vis de membres féminins. Il n’est ni le premier et hélas ni le dernier pasteur à vivre cela. Si le catholicisme est éclaboussé régulièrement, ne pointons pas l’index trop vite en oubliant que trois autres doigts nous regardent. Des décisions ont été prises avec, notamment, le retrait du pasteur Hybels au début de l’année puis, cet été, celui du conseil des anciens considérant n’avoir pas pris les accusations suffisamment au sérieux et en affirmant que cela permettra sans doute à l’Église de prendre un « nouveau départ ». Et la justice doit encore surement faire son travail. Mais l’œuvre construite et le témoignage rendu à la gloire de Dieu reste là et ne peut être remise en question. Moi-même, j’ai été personnellement encouragé et enseigné par son ministère et je me souviens encore de conseils donnés lors de plusieurs de ses passages en France et lors d’un repas partagé avec lui, qui m’accompagnent aujourd’hui encore dans mon propre ministère.

artspiin-culture

Il convient d’avouer au terme de cette réflexion que ce rapport entre œuvre et artiste, avec toutes les ramifications possibles que nous n’avons ici qu’effleurées, est un vaste sujet. Quand s’y ajoutent, de plus, les questions de justice, de grâce, de pardon, de résilience, de réhabilitation… Finalement c’est l’existence même et le cœur de l’Évangile qui viennent s’y retrouver. Si des principes fondamentaux cadrent les choses, chaque situation ensuite est différente, pétrie elle-même de tant de paramètres précédemment évoqués. Un chose me semble malgré tout devoir être entendue : Ne jugeons pas trop vite ! Et ne nous laissons pas entrainer trop facilement par la meute des chiens qui hurlent à la mort. Tout en ne nous résignant pas, malgré tout, à œuvrer pour la justice et contre les maux terribles que notre société continue de porter trop souvent en son sein.

DU ZAPPING À LA RENCONTRE

À l’occasion des conférences de Carême 2018 diffusées sur France Culture, le pasteur Laurent Schlumberger a proposé un travail autour de la question de la mobilité, maître-mot de notre monde globalisé comme l’exprime l’auteur en ouverture de ses interventions. Les Éditions Olivetan prolonge ces moments de radio en publiant le texte, agrémenté de quelques ajustements minimaux, mais privilégiant les tournures orales liées au mode de transmission initiale. Au final, un livre d’une centaine de pages, qui se lit extrêmement facilement et en tout temps qui offre une belle analyse et ouvre à une réflexion pertinente et universelle.

artspiin-culture-2018

Nous sommes, et nous devons être, de plus en plus mobiles dans l’espace, le temps, les cultures et jusque dans nos modes de vie et nos représentations. Les mobilités marquent toujours plus profondément nos vies personnelles et collectives. Porteuses de promesses, elles suscitent aussi des détresses : précarité, épuisement, perte de repère et de sens… La Bible nous parle en chacune de ses pages de déplacements de toutes natures. Elle est une invitation permanente à sortir de soi et à se mettre en route. Plus encore, elle présente un Dieu qui, contrairement aux images que nous nous faisons de lui, est toujours en mouvement, toujours à notre recherche, toujours désireux de nous rencontrer. Tel est son seul mobile. Et si la Bible nous aidait à passer du zapping anxiogène à la vraie rencontre, salutaire ?

Il y a une vraie progression intelligente et logique dans le processus d’avancement que propose ici Laurent Schlumberger. Car si la mobilité est le cœur du sujet, elle se retrouve aussi dans le mode d’écriture de l’auteur. Nous sommes comme accompagnés avec bienveillance, pris par la main dans la réflexion, parfois légèrement bousculés… pour nous conduire finalement vers un objectif existentiel fondamental qui peut se résumer à cette question : « Vivre, pour qui ? » conduisant elle-même à considérer la rencontre comme une finalité joyeuse et nécessaire.

Il est aussi intéressant de noter que dans son approche de la mobilité, Laurent Schlumberger ne se contente pas d’évoquer le changement de lieu. Une déclinaison s’opère sur le même principe dans toutes les sphères de l’humain dessinant un large spectre des aspects de nos mobilités. Dans l’espace bien évidement, mais aussi dans le temps, dans la culture et plus globalement dans l’existence avec, à chaque fois, un impact réel sur notre façon de vivre et notre manière de regarder l’autre. Une sensation d’accélération peut nous apparaitre dans notre époque présente mais Laurent Schlumberger jongle avec les périodes de l’histoire, montrant ainsi que ces enjeux dépassent largement cette contemporanéité qui nous marque forcément davantage. Il puise d’ailleurs abondamment dans l’histoire biblique des exemples et des enseignements marquants sur la nature même de Dieu et sur ce que cela peut impliquer pour nous.

artspiin-culture-2018

Enfin, si ces conférences ont été réfléchies dans cette période de Carême, comme un chemin vers Pâques, un cheminement tranquille offrant la possibilité d’une transformation, d’une métamorphose, nous orientant aussi vers l’invitation à la rencontre, la lecture de ce livre peut aussi s’adapter à merveille à la période estivale, me semble-t-il. Moments souvent marqués par une forme de rupture, notamment dans nos plannings surchargés, ouvrant ainsi la porte à une autre forme de mobilité personnelle qu’elle soit intérieure ou pleinement vécue dans le voyage et le changement simple de paradigme du quotidien.

« Du zapping à la rencontre »

Mobilités contemporaines et mobile de Dieu

Laurent Schlumberger – Éditions Olivetan

HIGELIN, LA TËTE EN L’AIR

Avec Jacques Higelin, c’est l’un de nos plus grands artistes qui vient de partir, ce vendredi 7 avril. Un poète, un chanteur, un artiste de la plume et du verbe… un influenceur discret mais engagé.

Je me souviens des jours heureux et je pleure disait Verlaine… Personnellement je préfère me souvenir en cultivant une forme de joie et garder la mémoire comme un moyen d’avancer toujours et encore. C’est donc ainsi que je garderai l’image du grand Jacques, car oui ce prénom peut être grand pour plusieurs et se partager ainsi avec bonheur.

 

Je me souviens donc… et là très précisément même, d’une émission radio le soir que j’écoutais sur ma chaine hifi que j’avais installé dans ma chambre d’ado juste à côté de mon lit (et là écoutant au casque car il était tard et les parents dormaient dans la chambre à côté !)… Émission où Jean-Louis Foulquier recevait Higelin et Deraime (je ne sais plus par contre si c’était la même ou 2 émissions différentes). Mais en tout cas, ces 2 artistes au micro de Foulquier m’ont donné une envie folle de ne pas faire de la musique juste comme ça… mais de la faire vivre avec d’autres musiciens et de la partager avec du public. Ce type de réflexion est revenu souvent sur les réseaux sociaux de la part d’amis artistes célèbres ou non, démontrant par là cette puissante influence qui se dégageait de sa personne et de son travail.

Jean-Louis a pris de l’avance… Bill est toujours là et continue de me faire kiffer… mais Jacques est maintenant lui aussi parti, décédé ce vendredi matin à Paris, a annoncé sa famille, âgé de 77 ans. Le musicien, l’un des pionniers du rock français, avait depuis quelques temps semble-t-il une santé fragile et ainsi dû, cet été 2017, annuler des concerts.

 

Si l’artiste et son œuvre sont là dans nos cœurs, dans nos tripes, il ne faudra pas non plus oublier que ses mots prenaient aussi forme dans ses actes. Car si Higelin évoque dans beaucoup de ses chansons la société, les sans-papiers ou les difficultés économiques, il n’hésitait pas non plus à pousser de coups de gueule quand il le fallait et surtout aussi à s’impliquer par coups de cœur. Soutien inconditionnel des défavorisés et plus précisément des mal-logés, Higelin a ainsi régulièrement donné de son temps en s’engageant pour des associations soutenant des causes humanitaires.

 

Un grain de poussière chantait-il, tombé du ciel, et qui maintenant s’est envolé et à la tête en l’air. Alors… champagne malgré tout, c’est ce qu’il aurait sans doute aimé !

 

 

CHANSONS POUR LE KING

Martin Luther King, pasteur baptiste afro-américain né à Atlanta en 1929, a dédié sa vie à la lutte contre le racisme, la ségrégation, la pauvreté. Grâce à son combat non-violent contre toute forme d’injustice, les consciences ont commencé à s’éveiller et des lois essentielles pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis ont été votées. Prix Nobel de la Paix en 1964, il a été assassiné quatre ans plus tard, le 4 avril 1968, il y a cinquante ans aujourd’hui. Il avait trente-neuf ans. 

À cette occasion, je vous propose de jeter un rapide regard (non exhaustif) sur quelques chansons qui ont abordé la question en lien, soit directement avec l’homme et son parcours, soit avec les principales thématiques portées par cet apôtre de la non-violence mais néanmoins militant et acteur d’un changement profond de société mais hélas toujours encore en devenir.

Au-delà du drame humain que représente la traite négrière, la rencontre de deux cultures, africaine et européenne, sur le continent américain, va provoquer la naissance d’une forme d’expression qui va façonner « l’Épopée des musiques noires ». Si les Negro-Spirituals et le Gospel ont accompagné la cruelle destinée des Noirs aux États-Unis, une autre émanation de cette tragédie quotidienne a vu le jour à la fin du XIXème siècle, c’est le Blues. Il n’était pas rare que les ouailles des Églises baptistes viennent s’encanailler dans les « Juke Joints », ces bicoques délabrées où des musiciens amateurs déversaient leur frustration et leur colère dans des ritournelles sombres et désabusées. Le Blues fut et reste la bande son du désespoir, la matrice de toutes les musiques afro-américaines. L’esclavage, tragédie humaine effroyable, a finalement provoqué la naissance d’une multitude d’engagements artistiques qui ont porté le discours de Martin Luther King jusqu’à Washington.

Les chants propulsent alors dans l’espace public, comme au plus profond des individus, des paroles propageant la non-violence prêchée auparavant. We Shall Overcome, l’hymne principal du Mouvement pour les droits civiques combine un vieil hymne baptiste, I’ll be allright, au texte d’un vieux gospel de Charles Albert Tindley, I’ll Overcome Someday. Popularisé durant les années 40 dans les syndicats mêlant ouvriers noirs et blancs, il se retrouve durant le Mouvement au cœur des manifestations proclamant, envers et contre tout, à temps et contretemps, l’espérance des manifestants. We Shall Overcomea été enregistré entre autre par Mahalia JacksonPete Seeger, Joan Baez, Frank Hamilton, Joe Glazer, Bruce Springsteen, Peter, Paul and Mary, les Mountain Men, Bob Dylan, Roger Watersdes Pink Floyd… Régulièrement encore, des adaptations sortent, souvent en lien avec des combats politiques ou sociaux.

 

En 1964, on croit en l’évolution de la société américaine vers une véritable égalité raciale. L’un des chanteurs afro-américains les plus populaires de sa génération, Sam Cooke, chante alors A change is gonna come (ces choses qui vont changer) avec un véritable enthousiasme. Le morceau devient emblématique de la lutte pour les droits civiques, mais Cooke n’aura pas le temps de profiter pleinement de son succès puisqu’il est assassiné dans des circonstances encore très floues le 11 décembre 1964.

 

Les textes reprennent souvent les grandes lignes du discours politique afin d’inciter les membres de la communauté noire à entrer en résistance. Par certaines caractéristiques linguistiques comme par leur mode de transmission, ils contribuent à diffuser le message du discours militant auprès des masses. Au nombre des artefacts utilisés, il est des images relativement explicites comme celle de l’oiseau en cage chantée par Nina Simone dans I Wish I Knew How It Would Feel To Be Free (J’aimerais savoir quelle impression cela fait d’être libre) en 1967.

 

L’artiste ne se contente pas d’interpeller son public par des propos introducteurs, ses paroles n’ont pas seulement valeur d’exemple, elles sont également des messages directs d’un noir à un autre noir :

Prenons l’exemple de Is It Because I’m Blackde Syl Johnson en 1968 : Y’see if you have white light brown skin and high yellow, you’re still black, so we got to stick together now (Que tu aies une peau marron clair et des cheveux décolorés, tu es toujours un noir, c’est pourquoi nous devons nous serrer les coudes) 

Avec James Brown, en premier lieu, cette apostrophe, qui utilise, bien entendu le you – fort pratique en anglais en raison de l’ambigüité entre le singulier et le pluriel – est renforcée par l’utilisation progressive de l’impératif, appel direct à une implication dans l’action de la communauté : Get Up, Get Involved, Get Into It (Lève-toi, implique-toi, entre dans (le mouvement), James Brown, 1968), Say It Loud, I’m Black And I’m Proud (J. Brown, 1968). De même, l’ambigüité quant à la personne – singulier ou pluriel – dans l’utilisation de l’impératif contribue à la création d’un esprit communautaire. Mais surtout, la soul utilise la première personne du pluriel, mettant ainsi en avant l’idée de communauté :

We Are Rolling On(1968), 

We’re A Winner(1967), 

We got talent we can use (Nous avons des talents que nous pouvons utiliser, I Don’t Want Nobody To Give Me Nothing) J. Brown. (1969).

 

Plus globalement, à travers les années, la sphère musicale a été nourrie avec des chansons inspirées par Martin Luther King ou lui rendant hommage. En voici encore quelques une en ce jour symbolique.

Le 28 août 1963, le pasteur noir a réussi à réunir plus de 250.000 personnes devant le Lincoln Memorial, à Washington D.C., durant la Marche sur Washington pour l’emploi et la liberté. C’est là qu’il prononce le fameux discours I have a dreamBob Dylan, le chanteur folk américain interprète ce jour-là son titre Blowin’ in the wind avant que le pasteur prenne place. Un hymne qui prend tout son sens à cet instant précis : « How many roads must a man walk down / Before you call him a man ? » (Combien de routes un homme doit-il parcourir avant d’être appelé un homme ?)

Stevie Wonder a composé en 1981 le titre Happy Birthday dans le cadre d’une campagne qui avait pour but de rendre hommage a Luther King en faisant de son jour d’anniversaire un jour férié national.

U2 et son célèbre leader Bono ont également rendu hommage au pasteur. Avec leur titre Pride (In The Name Of Love) issu de leur album The Unforgettable Fire, paru en 1984,  le groupe de rock irlandais entonne « Early morning, April 4/Shot rings out in the Memphis sky/Free at last, they took your life/They could not take your pride », des paroles qui ne laissent aucun doute sur la personne visée. En effet, Martin Luther King a été assassiné le 4 avril 1968 à Memphis.

La jeune génération n’oublie pas non plus… Le talentueux Will.I.Am s’est associé au rappeur  Common sur le titre I Have A Dream qui sample le fameux discours. Ce titre apparait sur la bande originale du film Freedom writers.

De nombreux autres artistes ont rendu hommage à ce personnage historique. Ben Harper a composé le titre Like A King qui fait un parallèle entre Luther King et Rodney King. Enfin, Queen, le groupe de glam rock britannique a signé son titre One Vision où Freddie Mercury chante « Look what they’ve done to my dream » (Regarde ce qu’ils ont fait à mon rêve) à travers un solo de guitare endiablé.

Cette intérêt pour Martin Luther King et tout ce qui accompagne l’homme a touché des groupes et des univers musicaux très divers. Prenons l’exemple ici du groupe de rap métal californien Rage against the Machine. Groupe connu pour ses nombreuses revendications et son appui à différents mouvements de revendication sociaux et musicaux, il signe en 1992 le titre Wake up, sur son premier album. Cette chanson est une ode à Martin Luther King, Cassius Clay et Malcolm X. Certaines paroles font clairement référence à l’assassinat de Luther King (I think I heard a shot) ainsi qu’à un discours qu’il avait prononcé (how long, not long cause what you reap is what you sow cité à la fin de la chanson), selon lequel il donnerait le pouvoir à ceux qui ne l’ont pas (he turned the power to the have nots). 

 

La chanson française a aussi apporté sa pierre à l’édifice. Quelques évocations de MLK et de son message sont ainsi clairement interprétées par plusieurs artistes.

Le 29 mars, invité spécial d’Harry Belafonte, Hugues Aufray chante en présence de Martin Luther King, Les crayons de couleurs au cours d’un gala donné au Palais des Sports, au profit de la lutte contre le racisme. Pour la première fois la chanson se met au service d’une cause humanitaire.

Peu de temps après son assassinat, Jacqueline Dulac lui rend hommage en 1970

En 1998, un collectif de rappeurs français sort 30 ans après Martin Luther King, une chanson extraite de la compilation « Generation Exile « , lancée par une association protégeant les droits de l’homme et regroupant des artistes de styles et d’horizons très divers. Cette chanson intitulée est un superbe hommage de 14’54’’

Sur son album Frontières, en 2010, la chanson Angela de Yannick Noah rend hommage à Angela Davis. Il fait référence à de nombreux faits de 1968 et de 2008. Dans le clip de ce morceau, on voit notamment des extraits de Martin Luther King ou encore des extraits des discours de Angela Davis.

J’évoquerai aussi le rappeur chrétien Lyonnais Lorenzo MPC qui, à sa façon, dans son titre Une seule race, une seule couleur s’appuie sur le discours I have a dream de Martin Luther King pour porter des valeurs chrétiennes de fraternité.

Pour finir sur l’aspect musical, comment ne pas évoquer Glory, le titre de John Legend avec la participation (à nouveau) du rappeur Common, chanson phare de la Bande Originale du film SELMA, qui lui valut de recevoir 8 récompenses dont le must… l’Oscar de la meilleure chanson originale en 2015.

NOUVEL HORIZON

Bill Deraime, l’un des vieux briscards du blues français, qui en est devenu un symbole, célèbre ses cinquante ans de carrière avec un exceptionnel vingtième album studio mêlant passé et avenir.

Nouvel Horizon est un disque choral qui reprend en duo plusieurs de ses titres mythiques (Babylone, Le bord de la route, Un dernier blues, plus la peine de frimer…) avec sa bande d’amis dans laquelle on retrouve Kad Merad, Florent Pagny, Bernard Lavilliers, Jean Jacques Milteau, TRYO, Sanseverino, Fratoun (chanteur des Guetteurs), Yves Jamait, Joniece Jamison. Mais Bill ne regarde pas uniquement dans le rétroviseur. Il sait encore se projeter en avant en donnant de nouvelles et très jolies couleurs à ces anciens titres, en en proposant de nouveaux inédits démontrant que l’inspiration est toujours parfaitement au rendez-vous… mais aussi en indiquant une dimension spirituelle encore plus vaste et fondamentale.

Car oui, Bill Deraime n’est pas un artiste comme tous les autres. Peut-on d’ailleurs être un vrai bluesman et ressembler aux autres ? Bill ne sépare pas en tout cas toute cette dimension spirituelle et humaine de ses mots et de sa musique.  J’ajouterai même de sa vie tout simplement. Pas de faux semblants ou de discours fabriqués mais de l’authentique avec des fêlures, de la joie, de l’humour, des doutes, des interrogations et de la foi et de l’espérance.

Nouvel Horizon, le titre de l’album, l’indique d’ailleurs parfaitement en reprenant les mots de la première chanson, tout simplement admirable tant dans ses qualités artistiques propres que dans le message dévoilé qui résume l’esprit Deraime et celui de cet album :

« Allez-vous m’aider à chanter ma chanson / Jusqu’à la fin chanter un chant d’libération / Pour imaginer un nouvel horizon »

Ou encore dans son dernier couplet :

« Assez parlé, divisé, dominé, / C’est l’esprit seul qui nous rassemble / Assez jugé, classé, assassiné, / Pensons plutôt l’avenir meilleur pour vivre ensemble. / N’ayons plus peur à chaque matin sa peine / Demain déjà luit dans la nuit d’aujourd’hui / Qui sème le vent de la tendresse humaine / Moissonne les champs dorés de l’infini. »

 

Pour revenir sur l’aspect artistique, Nouvel Horizon nous ballade dans les rythmique et l’univers de l’artiste : Blues évidemment, mais reggae, ballades, boogie, et ambiance Nouvelle-Orléans (avec même une pointe de culture amérindienne). Comme toujours, car c’est une constante chez Bill, on retrouve autour de lui une équipe musicale remarquable. Alors ça tourne, ça groove et ça offre une toile quasi parfaite pour que la voix grailleuse du barbu blanchâtre aux 70 balais vienne se poser pour distiller ses textes qui font tellement sens aujourd’hui encore. Et puis il y a tous ces duos plutôt vraiment sympas et bien vus comme celui avec Kad Mérad sur la reprise d’Otis Redding. Vrais coups de cœurs perso aussi pour L’enfer avec Lavilliers (titre qui lui colle avec une justesse étonnante) ou pour la revisite de Babylone avec Tryo. Concernant L’enfer, Bill Deraime explique que cette chanson est dédiée au collectif Les Morts de la Rue. Florentine, son épouse, et lui appartiennent à ce collectif qui se charge des enterrements des gens qui meurent dans la rue, pour leur éviter la fosse commune. Pour qu’ils soient enterrés dignement, avec une petite cérémonie. La phrase clé du titre, c’est « Et l’homme créa l’enfer » précise-t-il. C’est une chanson reptilienne, qui convie à un voyage intérieur.

Les inédits sont aussi bienvenus et par exemple ce Raymond. Bien différent de celui de Carla, ce Raymond là, c’est Ray Charles, bien sûr, mais c’est aussi l’histoire d’un mec qui part sur les routes du blues, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique. C’est une chanson blues funky, au sourire en coin, dédiée à son ami Chris Lancry.

Et pour finir, je reprendrai simplement les propos élogieux du magazine RollingStone d’une grande justesse : Cet opus nous fait passer du rire aux larmes, de l’espoir à la fin éternelle, de la grandeur de l’homme à sa fragile humanité. Bill Deraime donne une grande leçon de blues, et vise juste.

Enfin, sachez que Bill débutera ensuite une tournée anniversaire… et même si l’album est un vrai régal… Bill sur scène c’est tout simplement vrai et merveilleux !