HUIT FEMMES, UN VILLAGE ET LE SOLEIL !

Un documentaire d’une grande bienveillance et de tendresse d’où l’on sort le cœur paisible est à partir d’aujourd’hui sur les écrans de cinéma. Au programme, Jericó, un village au cœur des Andes, en Colombie mais surtout huit femmes de ce village filmées dans leur intimité et avec une immense délicatesse. Jericó, le vol infini des jours, un film de Catalina Mesa qui fleure bon l’espérance !

À Jericó, petit village en Colombie, des femmes d’âges et de conditions sociales différentes évoquent les joies et les peines de leur existence, tour à tour frondeuses, nostalgiques, pudiques et impudiques. Leurs histoires se dévoilent l’une après l’autre, ainsi que leur espace intérieur, leur humour et leur sagesse. Un feu d’artifices de paroles, de musique et d’humanité.

Immersion donc, d’une certaine façon à la « Strip Tease » (le magazine tv), mais avec une vraie touche artistique et un travail soigné de documentaire, dans la vie de huit femmes colombiennes de Jericó, village des ancêtres du père de la réalisatrice, village où a vécu aussi sa très aimée grand-tante, Ruth Mesa.

Les murailles qui tombent ici sont celles de ce qui nous sépare de ses femmes, car en quelques secondes à peine, le spectateur se retrouve au cœur de leurs histoires, de leurs doutes, questionnements, espérances, joies et peines… et de leurs croyances.

Car on croit beaucoup à Jericó !

Une ferveur mystique imprègne plusieurs d’entre-elles. Simples superstitions sans doute parfois mais vraie foi également souvent… à leurs façons. Le documentaire ne pose aucun regard jugeant ou complaisant… la caméra de Catalina Mesa observe et nous offre des moments riches et touchants. À Jerico, on progresse à pas lents guidé par des choses simples de la vie, au rythme de la nature, marqué par des rires d’enfants ou la conversation avec son voisin au détour d’une rue.

Car à Jericó, on parle aussi beaucoup… on échange, on discute, on n’est pas toujours d’accord et on peut même aller jusqu’à se fâcher avec Dieu et ses « saints ».

Ainsi, au cœur de ce documentaire, c’est la parole de femmes qui jaillit avec éclat. Parole qui n’est pas assez souvent écoutée, porteuse pourtant d’une véritable conscience de la mémoire. Catalina Mesa explique qu’elle voulait montrer le quotidien de ces femmes, et surtout le fait qu’il est habité de joie, de musique, d’humour. De leurs peines aussi, elles ne sont pas occultées. « Ces femmes sont les dépositaires de la mémoire de ces lieux, donc autant de la douleur que de l’humour, de la tendresse que de la dureté du travail, des épreuves de la vie. Mais il est vrai qu’il n’y a pas de victimisation. Lorsque l’une d’elles raconte la disparition de son fils enlevé par un groupe armé, elle le fait en jouant aux cartes, comme “en passant”, alors que son émotion demeure toujours aussi forte. »

Et à Jericó, c’est aussi la vie en couleurs et en poésie…

Et tout cela rayonne dans ses images et dans sa magnifique BO joyeuse et, elle aussi, colorée. Catalina l’explique d’ailleurs très bien dans une interview : « le film commence avec ce poème d’Oliva Sosa : « Este mi noble Jericó es bonito, enclavado en el sol de la montaña, el monte azul rozando el infinito y el infinito entrando en la cabana » (« Ma noble Jericó est belle, nichée au soleil de la montagne, la montagne bleue écrase l’infini et l’infini entre dans la chaumière »). Dans la poésie de Jericó, que j’ai beaucoup lus, il y a plein de poèmes comme ça. Cette rencontre entre le ciel et la terre, c’est très spirituel, ça vient de la religion aussi, mais même en dehors de la religion, dans la poésie on retrouve cette sorte d’élan de Jericó qui rencontre le ciel. C’est comme ça que c’est dit dans la poésie. La poésie de Jericó, c’est un peu comme une boîte de macarons, on en mange un tout petit peu et c’est délicieux, mais après on ne peut plus s’arrêter et on est… gavés. Parce que c’est une poésie romantique du début du siècle… Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup d’appels à l’infini, ou à la transcendance. C’est pour ça que le film commence avec le ciel, et le soleil est omniprésent. J’ai essayé de faire figurer cette rencontre avec la lumière à travers la maison, ce moment où cet infini rencontre le morceau plus petit de la fenêtre. »

Alors, un conseil pour conclure… Scrutez bien la programmation des salles proches de chez-vous… et faites-vous du bien en allant voir Jericó, le vol infini des jours !

 

                    

HISTOIRE DE JUDAS : REFORMULER POUR LIBÉRER !

Lors du dernier festival de Berlin, le Jury Œcuménique a donné son prix, dans la sélection Forum, au nouveau film du réalisateur franco-algérien Rabah Ameur-Zaimeche « Histoire de Judas ». Un regard très personnel sur le récit des évangiles loin des habituelles reconstitutions. Le film est sorti aujourd’hui sur les écrans français dans une cinquantaine de salles.

L’histoire

Après une longue ascèse, Jésus rejoint les membres de sa communauté, soutenu par son disciple et intendant, Judas. Son enseignement sidère les foules et attire l’attention des résistants, des grands prêtres et de l’autorité romaine. Quand il chasse les marchands du Temple, Judas se révèle être le gardien des paroles du maître…

Critique

Le regard que nous portons sur un film est toujours lié d’une façon ou d’une autre au moment où nous le regardons, à notre état de forme, à nos émotions de l’instant. C’est ainsi que parfois nous pouvons passer à côté d’une histoire qui, dans d’autres circonstances, nous touchera avec force. Il me faut donc vous dire que c’est juste quelques jours après mon retour d’un temps d’animation d’un séminaire ayant pour thème la « reformulation » que j’ai pu découvrir le film de Rabah Ameur-Zaimeche.

Histoire de Judas est précisément un exercice de reformulation d’une histoire, d’un texte connu de tous, marqué d’interprétations, de croyances, de spiritualité. Accepter la reformulation d’autrui implique précisément l’abandon de son savoir propre, de ses repères personnels… pour entrer dans le paradigme proposé. Et cette étape est indispensable pour pénétrer dans l’Histoire de Judas proposée ici. Que ce soient les repères historiques, bibliques, comme la tradition des personnages et parfois de leurs noms… même l’arabe, le berbère et les youyous des femmes trouvent leur place… tout est bousculé, revu, réinventé. Barrabas se transforme en Carrabas, un poète fou et marginal. Jésus sourit, rit et pleure et prophétise même une migraine et sa guérison. On ne sait plus qui est la femme adultère et sa mère devient Marie Madeleine. Le bon Samaritain de la parabole n’est alors autre que celui qui relève Judas quand il se retrouve agressé et à terre. Quand à Judas justement, il est l’ami de Jésus, celui qui l’accompagne et le porte au sortir de son jeûne. Ce compagnon de route qui cherche à le protéger et qui devient aussi le protecteur des paroles prononcées. Point de traitrise mais une absence provoquée par Jésus lui-même pour justement empêcher de figer les mots et le récit sur des rouleaux de « journalistes paparazzis » du moment.

C’est peut-être là le cœur du message délivré par Rabah Ameur-Zaimeche. Refuser l’enfermement du texte pour lui laisser sa liberté comme celle redonnée aux poules, pigeons et autres êtres vivants dans la cour du Temple. La vie ne peut se retrouver derrière des barreaux, quelqu’ils soient, nous disent Jésus et Judas. Ce qui nous permet sans doute aussi de comprendre le choix du réalisateur de préférer les extérieurs aux pièces fermées, au risque d’ailleurs que les plus beaux palais deviennent, eux aussi, des ruines comme celles qui entourent le face à face entre Pilate et Jésus précédant la crucifixion.

Une autre particularité de ce film qui l’éloigne encore plus des traditionnelles représentations est le choix minimaliste et théâtral. Presque une sorte de tragédie grecque, dans un décor algérien désertique et montagneux, où très rarement plus de deux personnages sont présents sur l’écran. On entend parfois la foule mais elle est surtout suggérée. L’important est ailleurs… Même le jeu des acteurs n’est pas vraiment ce qui compte et permet d’accepter certaines hésitations. Je me suis même trouvé à repenser au film Maestro, Rabah prenant alors des airs de Michael Lonsdale.

Histoire de Judas est un film à recevoir comme l’image d’un tableau, sans chercher à tout analyser, comprendre, discerner… comme ce parfum de grand prix accueilli par Jésus les yeux fermés et dans un abandon total. Une reformulation qui ouvre, je crois, une autre expérience du possible et nous permet de ne pas oublier que la Parole est libre et vivante.

Argumentation du Jury Œcuménique lors de sa remise du prix à Berlin

Le drame historique intemporel sur la vie de Jésus est raconté du point de vue de Judas, l’un de ses disciples, qui, traditionnellement, a été considérée comme le traître de Jésus. Dans ce film, il est dépeint comme Jésus, une victime de la puissance et de l’oppression des dirigeants romains. Ce jeu de la passion demande aux téléspectateurs de regarder au-delà des préjugés et tenter de comprendre la vie et le message de Jésus. Dans la conscience des événements politiques du monde actuel, Histoire de Judas apporte des arguments solides à notre besoin d’écouter les histoires des personnes marginalisées.