RÉTRÉCISSEMENT DES ESPACES PUBLICS ET ÈRE NUMÉRIQUE

C’est par une vue d’ensemble des « Droits à la communication dans un monde divisé » que Philip Lee, secrétaire général de la WACC, a ouvert le 10 avril dernier, un séminaire à Helsinki organisé conjointement par la WACC-Europe et la Conférence des Eglises européennes.  Le thème du rassemblement était « Qu’est-ce qui nous met si en colère ?  « Discours haineux, fausses nouvelles et droits à la communication. » 

La vérité, la dignité humaine et la non-violence sont trois principes universels qui devraient « façonner et définir les droits à la communication dans un monde divisé », a t-il déclaré. Bien qu’il n’existe pas de solution universelle pour traiter la question des droits à la communication dans un monde divisé, une préoccupation transversale se situe dans la réduction des espaces publics de communication où les technologies numériques sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important. De son point de vue, les droits à la communication des gens d’aujourd’hui sont affectés par la tendance mondiale à « réduire les espaces publics », ce qui à son tour « aggrave les défis posés par les technologies numériques ». Si la technologie numérique a permis aux gens de se connecter et de partager des informations comme jamais auparavant, elle a également créé « de nouveaux risques et dilemmes éthiques qui affectent les droits de l’homme », a déclaré Lee.  Ce qui est particulièrement préoccupant, dit-il, c’est « ce qui est partagé, avec qui et comment les données personnelles sont stockées et consultées ». La technologie numérique a contribué à l’avancement du droit à la liberté d’opinion et d’expression, qui comprend le droit de recevoir et de partager l’information, et le droit de communiquer, a fait également remarquer le secrétaire général de la WACC. Cependant, cette avancée technologique a également accru « la conduite illégale des gouvernements et des fournisseurs de services[…] qui peut porter atteinte aux droits des personnes et accroître la vulnérabilité numérique ».  « Les abus potentiels comprennent la perturbation ou la fermeture complète des systèmes, l’utilisation abusive d’informations à des fins de surveillance, la censure de la parole, l’effacement ou le blocage de données, et la distribution forcée de messages à caractère politique par l’intermédiaire d’opérateurs de réseaux ».


Les femmes, en particulier, sont plus susceptibles que les hommes d’être victimes de cyberviolence et de discours haineux, a déclaré Lee, citant une étude commandée par le Parlement européen.  La recherche a montré que les femmes sont victimes de cyberviolence sur un grand nombre de plateformes – médias sociaux, sites de discussion en ligne, moteurs de recherche, services de messagerie, applications de rencontre et sections de commentaires des médias.  Il a montré que l’âge était un facteur important dans la prévalence de cette violence, les jeunes femmes étant constamment menacées de harcèlement sexuel et de harcèlement criminel.  « La cyberviolence menace les droits et libertés fondamentaux des femmes, leur dignité et leur égalité et a un impact sur leur vie à tous les niveaux « , indique la recherche.

Lee a également noté la menace d’un « capitalisme de surveillance », qui s’attaque à des milliards de personnes sans méfiance en utilisant les services gratuits offerts par des prestataires qui surveillent leur comportement, « souvent sans leur consentement explicite ».

D’autres défis consistent à rendre l’accès numérique « accessible à tous en fonction des besoins essentiels, indépendamment du revenu ou de la situation géographique », a déclaré Philip Lee, citant un article écrit par Clifford G. Christians, pour le journal de la WACC, Media Development.  Les chrétiens ont également relevé la « complexité » de la technologie des blogs, dans laquelle « les structures et les sources profondes sont facilement cachées et difficiles à récupérer », la profusion de violence interactive dans les jeux vidéo et les sites Web, la pornographie, comme autres défis.

Lee a souligné la position du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies selon laquelle « les mêmes droits que ceux dont jouissent les personnes hors ligne doivent également être protégés en ligne ». Il a noté que le fondateur du World Wide Web, Sir Tim Berners-Lee, lui-même, a appelé à « un meilleur Web au service de toute l’humanité » et a exhorté les gouvernements non seulement à garantir que les marchés restent ouverts et compétitifs, mais aussi à protéger les droits et libertés fondamentaux des personnes en ligne.  Les entreprises ne doivent pas non plus sacrifier les droits de l’homme, la vie privée et la sécurité des personnes pour la recherche du profit. Outre la vérité, la dignité humaine et la non-violence, Lee a enfin ajouté que les principes directeurs de la WACC étaient essentiels à la réalisation des droits à la communication.

Pendant cette même journée, au cours d’un sermon, le Révérend Juha Rajamaki a exhorté les communicateurs chrétiens présents au séminaire à se pencher d’abord sur eux-mêmes lorsqu’ils abordent la question des discours de haine et de désinformation.

« Le changement doit commencer de l’intérieur – tout ce que vous voulez que les autres vous fassent, faites-le aussi pour eux « , a déclaré Rajamaki, directeur des communications de l’Église évangélique luthérienne de Finlande et ancien président de la WACC Europe. Pâques fournit un message puissant pour nous y aider, a-t-il dit. « Nous ne sommes pas laissés seuls avec notre faiblesse, mais nous avons la force de surmonter les barrières de la haine et de la colère, de rencontrer et d’aimer notre prochain ». 

Dans son sermon, Rajamaki a pris comme parralèle le récit de la Genèse où le serpent a offert à Ève « la vérité alternative », et comment les grands prêtres ont aussi utilisé un faux témoignage contre Jésus. « Ce sont là des exemples pour parler des mêmes questions que nous devons traiter aujourd’hui en Europe et dans le monde. » La Bible pourrait-elle donc nous offrir des solutions puisque certaines de ces situations résonnent clairement avec le monde d’aujourd’hui ? Car nombreux sont les récits bibliques de souffrance, de peur, de haine, de colère, de mensonges, de méfiance, de trahison, d’accusations, de désinformation, de populisme, de nationalisme… et tous peuvent être entendus comme tellement contemporains.

Malgré tout, le Révérend Juha Rajamak reconnait les nombreux silences de Jésus sur le sujet, comme face au grand prêtre… « il aide rarement ». Mais la prescription de suivre la Règle d’Or, « faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent », qui est mentionnée plusieurs fois dans la Bible, pourrait tout de même être une ébauche de réponse.

DISCOURS DE HAINE ET FAKE-NEWS

Une cinquantaine de communicants chrétiens se réuniront du 10 au 12 avril à Helsinki et Stokholm pour s’attaquer au phénomène mondial des discours haineux et de la désinformation. Organisé par l’Association mondiale pour la communication chrétienne (WACC) – région Europe et la Conférence des Eglises européennes (KEK), l’événement sera accueilli par l’Eglise évangélique luthérienne de Finlande.

« En tant que communicants chrétiens, nous sommes engagés par notre foi et notre profession en faveur de la liberté d’expression, de la liberté de la presse, de la diversité des médias et d’autres droits de communication « , a déclaré Stephen Brown, Président de la région Europe de la WACC.  « Comment réagissons-nous à la prolifération croissante de discours haineux et des fake-news en ligne ? ».

Des soldats et des policiers hongrois fouillent des réfugiés et des migrants entrant dans le pays à Beremend, un village situé le long de la frontière avec la Croatie.  Des centaines de milliers de réfugiés et de migrants de Syrie et d’autres pays ont transité par la Hongrie en 2015, en route vers l’Europe occidentale. Photo :  Paul Jeffrey/ACT Alliance

Le thème du rassemblement est « Qu’est-ce qui nous met si en colère ?  « Discours haineux, fake-news et droits de communication ». Les participants feront ainsi le point sur notre réalité européenne, étudieront la possibilité d’un cadre de droits de communication pour le monde numérique et travailleront sur des études de cas et des stratégies pour lutter contre le discours de haine et la désinformation « , a déclaré M. Brown.

La conférence débutera à Helsinki le 10 avril et se poursuivra sur le ferry Viking à destination et en provenance de Stockholm le 11 avril, pour se terminer à Helsinki le 12 avril. Parmi les points forts de la rencontre, on peut citer une réflexion théologique sur « Fausse théologie, fausses nouvelles », par le révérend Anders Gadegaard, de l’Eglise évangélique luthérienne du Danemark, qui préside la Task Force Communication de la Conférence des Eglises européennes.

Le Secrétaire général de la WACC, Philip Lee, donnera une vue d’ensemble des « Droits à la communication dans un monde divisé ». Sara Speicher, Secrétaire générale adjointe de la WACC, animera une table ronde sur « Discours de haine et désinformation dans le contexte européen ».  Parmi les panélistes figurent Max Arhippainen, directeur de la communication du ministère finlandais de la Défense, Agnieszka Godfrejow-Tarnogorska de l’Église évangélique de la confession d’Augsbourg en Pologne et Dóra Laborczi, de l’Église évangélique luthérienne en Hongrie.

À Stockholm, le révérend Kimmo Saares, chef des programmes de l’Église évangélique luthérienne de Finlande, animera une séance au cours de laquelle il examinera des exemples et des stratégies de lutte contre le populisme et le discours de haine.  Parmi les orateurs de la session figurent l’évêque de l’Église de Suède, Mgr Eva Brunne, le président de l’organisation de jeunesse de l’Église de Suède, Mgr Jakob Schwarz, et Ralf Peter Reimann, de l’Église évangélique de Rhénanie, qui est impliqué dans le projet WACC Europe, Communication Rights and Refugees :  Combler le fossé des médias sociaux.

Les participants auront également l’occasion de visiter la section suédoise de Pen International, une association mondiale d’écrivains qui promeut la liberté d’expression.

La Région Europe de la WACC tiendra également son Assemblée, élira son bureau et un comité exécutif régional pour les quatre prochaines années.

WACC

 

> Article traduit et adapté par Jean-Luc Gadreau à partir de celui paru sur le site de la WACC.

REGLEMENT DE COMPTE (GLACIAL) A L’OMBRE D’UN ARBRE ISLANDAIS

Le film de la semaine nous vient du grand nord et balance une vraie fraicheur dans les sorties estivales, agrémentée d’une jolie dose de noirceur esthétique mais rudement efficace. On le sait bien maintenant, le cinéma scandinave met la barre haute depuis quelques années et les islandais ne sont pas en reste… bien au contraire. Ainsi, avec « Under The Tree », Hafsteinn Gunnar Sigurðsson fait mouche une fois de plus et plante littéralement le spectateur comme un bel arbre au milieu du jardin !

 

Atli, accusé d’adultère par sa femme, est forcé d’emménager chez ses parents. Il se retrouve malgré lui plongé au sein d’une querelle de voisinage, dont le déclencheur est l’ombre imposante d’un arbre entre les deux maisons. Leur banal conflit se transforme en guerre sans pitié.

 

Under The Tree est bel et bien une fable sociétale grinçante pointant du doigt avec quelle fatalité le vernis de l’apparence peut se craqueler au moindre soubresaut et, tel un séisme de magnitude 7 sur l’échelle de Richter, révéler nos pires instincts bestiaux détruisant tout à l’épicentre et laissant ressentir des secousses à des kilomètres à la ronde. Mais pour se faire, point de bulldozer cinématographique, d’effets spéciaux tape à l’œil ou, à l’inverse, de niaiseries irracontables… ici, avec Sigurðsson, c’est la maitrise du sujet qui l’emporte, faite de sobriété, d’une mise en scène paramétrée au micron, d’une musique anxiogène, d’une interprétation soignée digne d’une dentelle de Calais, d’une photo et de plans de coupe implacables, d’un humour noir très flegmatique et d’une intelligence d’écriture haut de gamme, acide, glaciale et féroce à la fois.

 

 

Concrètement, Under The Tree se construit au travers de deux intrigues aux tonalités différentes qui s’entremêlent « joyeusement », se faisant écho, se portant mutuellement mais sans véritablement se rejoindre. Entrons quelque peu dans le scénario sans risque de spoiler ce qui ne devrait surtout pas l’être… Deux trames concomitantes, deux lignes narratives donc… avec une première qui suit un jeune homme en pleine procédure de séparation conflictuelle et une seconde suivant les parents de celui-ci dans leur pugilat de voisinage. Ce couple âgé de la banlieue de Reykjavík, toujours meurtri par la disparition de l’un de leurs deux fils, se retrouve donc à devoir faire face à la séparation amoureuse de l’autre. Mais c’est sans compter, qui plus est, sur la nouvelle jeune compagne du voisin, qui ne supporte plus l’arbre planté dans le jardin du couple, la gênant, et l’empêchant notamment de faire bronzette… Mais la mère endeuillée, profondément aigrie, dépressive, et particulièrement jalouse, voit d’un très mauvais œil que cette femme vienne mettre son grain de sel dans son petit univers vital, voyant sa demande comme une attaque la frappant involontairement de nouveau en plein cœur, au regard de la disparition de son aîné. À côté de cela deux maris qui se détendent à la chorale pour l’un et au tir de précision pour l’autre… et quelques faits banals du quotidien. Le réalisateur Hafsteinn Gunnar Sigurðsson installe alors le spectateur dans une atmosphère qui se tend progressivement. Il joue pleinement avec lui et envenime des situations de plus en plus savoureuses en les laissant presque toutes libres d’interprétation, ce qui est là aussi d’une grande intelligence !…

Derrière tout ça, Sigurðsson nous offre, comme un cadeau somptueux, une vraie parabole pour notre temps. Cette petite démonstration d’incommunicabilité peut aisément être lue comme la métaphore de n’importe quel conflit qui agite notre monde. On appréciera d’ailleurs le choix d’un arbre, objet particulier et symbolique dans toutes les cultures, comme point de départ de l’un des conflits qui renforce plus encore l’universalité du propos. L’axe principal du long métrage se construit comme une étude terriblement acide des rapports sociaux. Le réalisateur met ainsi en lumière les zones d’ombre tant de ses personnages que de tout comportement social en les poussant à l’extrême. Car ici, en y regardant de plus près, toutes les situations, même les plus insignifiantes sont dans cette veine là… le moindre rôle, la plus insignifiante scène du métrage, tout participe à observer la complexité des rapports humains. Jalousie, frustration, vengeance, raideur morale ou laxisme, douleur, espérances, amertume… et surtout mise en lumière de notre incapacité trop courante à communiquer, démontrant alors que ce que nous appelons communication n’est hélas trop souvent qu’une série de monologues parallèles ou moyens de défense pour ne pas dire d’armes de poing terriblement affutées et tranchantes.

 

Au final Under The Tree est pour moi un film drôlissime et terriblement fascinant, proposant une étude féroce des comportements humains qu’il faut, bien entendu, voir et qui restera à revoir encore comme un bon film qui se bonifie avec le temps.

 

UN REGARD CRITIQUE ET BIENVEILLANT SUR LE CULTE TV HILLSONG

Si ArtSpi’in est un blog personnel, il peut devenir, comme c’est le cas avec cet article, un support d’écriture pour la plume de certain(e)s ami(e)s inspiré(e)s. Cet article est signé par Joan Charras-Sancho et vient en écho à mon Billet d’humeur joyeuse et confiante suite au culte télévisé sur France 2, dans le cadre de Présence Protestante, le dimanche 25/06/17 à Hillsong Paris.

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La diversité de la FPF est sa richesse mais aussi son atout en ces temps de clivages sur tout et n’importe quoi. Les cultes diffusés le dimanche matin sur la chaîne publique donnent à voir cette diversité et c’est avec bienveillance et amusement que je propose ce regard critique venant d’une théologienne luthéro-réformée à tendance charismato-inclusive. L’idée étant de relever, ce qui, au court du visionnage, a retenu l’attention de la liturgiste que je suis. Ces détails, parlants, ont leur importance théologique et je serais ravie que ce petit exercice donne envie à d’autres de s’y essayer – et de mieux le réussir que moi !

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Une ambiance particulière

Un culte Hillsong, c’est une ambiance particulière, probablement aux antipodes des cultes austères, minéraux, intellectuels de certaines assemblées luthériennes et réformées de grande dissémination. Là, cette ambiance est tamisée, avec des éclairages qui font un peu penser à une salle de concert tout en créant une tierce ambiance qui déplace : ni salle de concert, ni culte classique…un culte Hillsong veut donner envie d’aller plus loin, dès les premiers instants.

Une façon de s’adresser à la communauté

Le phrasé légèrement émotif des orateurs, qu’ils passent à la télé en direct ou pas (ils sont tous filmés et passent toujours sur le net, ça ne change rien) met aussi dos à dos Billy Graham et ses collègues plein d’assurance et une forme de présence pastorale « empruntée ». Là, on a un jeune chrétien qui tremble et se réjouit, tout à la fois, de servir Dieu. Il est ému, il l’assume et ça se voit. A la longue, c’est un peu agaçant, d’ailleurs. Comme tout phrasé, ça se travaille et on peut éviter le ton « Neuilly-Passy ». Sauf si on veut restreindre sa cible à celles et ceux qui sont un peu riches, un peu hypes, un peu dans le vent. Mais je n’ose croire cela.

Dans le fond, Hillsong, ce sont des pros de la communication, il suffit de les écouter : « Eglise », c’est une façon peu commune de s’adresser à une assemblée. Mais en même temps, c’est court, c’est clair et c’est fédérateur : que tu sois là, sur place, derrière ton poste ou en train de regarder ça sur ton téléphone, tu es Eglise. C’est inspirant. Et ça sort de l’aspect binaire « chères sœurs, chers frères ». Je note.

Une autre image de l’Eglise

Le conducteur de louange est noir, les femmes sont de suite présentes à l’écran. D’ailleurs, plus tard, une femme pasteure – enfin, heu, une femme de pasteur , bref, les deux !–donnera le message. Hillsong est une Eglise qui attire les jeunes, qui aime la diversité des origines, qui prend autant soin des hommes que des femmes (ils font des week-ends géniaux pour les sœurs, dans de grandes capitales européennes ! J’attends toujours que l’UEPAL le fasse…) Cet amour des gens jeunes et cools se traduit même dans les cantiques : « à jamais jeunes en ton amour », dit l’un d’entre eux. Ca me rappelle le cantique que les missionnaires luthériens ont enseigné aux camerounais « blanc, blanc comme neige ». On chante aussi nos fantasmes, c’est bien humain. Le tout étant de le remarquer…D’ailleurs à la fin, on est encouragé à servir Dieu dans notre génération. J’aimerais savoir si ça s’adresse à toutes les générations, mêmes les personnes du 3ème et du 4ème âge, qui forment probablement le gros du public de ce format de culte !

Des rythmes plus ou moins biens gérés

Le grand atout d’Hillsong, c’est qu’ils sont rôdés à l’audio-visuel. On peut même dire qu’ils ont tout à nous apprendre, nous vieilles Eglises. Du coup, ils gèrent très bien, avec les lumières, les cantiques, les fonds musicaux, les intonations de voix et les mimiques des orateurs, les transitions (rapides et efficaces) entre temps d’exaltation et temps d’adoration. Leur recherche d’adoration les conduit cependant à l’écueil de la répétition (je vais à Taizé plusieurs fois par an, je connais bien cet écueil !) notamment en ce qui concerne « Ce nom est victorieux », une phrase d’un cantique. Il faut réaliser que les paroles étant assez pauvres, et ce afin d’être comprises de toutes et de tous, le fait de les répéter n’apporte rien à partir d’un certain moment. A moins qu’on ne veuille une ambiance de transe mais j’en doute dans le cadre d’un culte FPF en direct sur une chaîne publique.

Des idées de génie

Hillsong a bien des choses à nous enseigner. Le fait de préparer les sujets de prière à l’avance et de les mettre sur le vidéo-projecteur, c’est pratiquement à préconiser pour tous les cultes télévisés. Le fait de n’avoir aucun déplacement liturgique, pour ce format, c’est aussi beaucoup plus lisible. On garde un point focus, on reste concentré. Un témoignage de jeune converti, si on ne peut pas le généraliser (il faudrait déjà en avoir pour le faire !) est audacieux, notamment sous cet angle-là : dans sa vie quotidienne, à bidouiller sur l’ordinateur. Le fait de le laisser dire les choses, avec ses mots, sans filtre, rend son témoignage proche et intelligible. Extraits : « J’étais perdu comme tous les jeunes de mon âge ; ce week-end Hillsong pour jeunes, c’était un concert, vraiment cool ». Ce langage accessible doit nous interpeller, nous, vieilles Eglises.

Une vieille ficelle

La grande surprise, pour moi, ça a été la valorisation, via le témoignage du jeune (c’est très astucieux, bravo !) « perdu mais geek mais cool » de l’appel à la conversion. Je pense directement aux bancs de repentance de l’Armée du Salut, à la convention pentecôtiste à laquelle j’ai un jour assisté il y a 15 ans, bref, je suis rassurée de voir que les pentecôtistes ont aussi leurs vieux leviers rituels et liturgiques auxquels ils tiennent.

Un message qui se veut puissant

La femme-pasteure/femme de pasteur est elle aussi une professionnelle du « semi-free speech ». Debout, à l’aise, elle regarde bien l’assemblée et ne s’aide pas de notes pour parler. Hillsong veut se profiler comme une Eglise complémentariste où les couples pastoraux exercent leurs dons ensemble. Le leader, c’est l’homme mais il n’est rien sans sa femme. Un jour j’étais à un culte Hillsong-Paris et le pasteur a même précisé qu’il aimait grave sa femme et qu’il la trouvait canon ! J’avoue qu’en tant que femme de pasteur luthéro-réformé, j’ai été un peu jalouse. Chez nous, ça ne risque pas d’arriver. Bon, en même temps, ça fait presque 70 ans qu’on a des femmes pasteures. De plus en plus, d’ailleurs.

Revenons au message. Bien qu’à l’aise, l’oratrice parle de façon un peu pincé, un peu tendue. Elle annonce d’ailleurs dès le départ que son message va être fort. Dans ma tradition, on appelle ça de l’orgueil mais je veux bien croire que c’est une question de lunette ecclésiale. Je crois que chez eux c’est juste une constatation : on lit la Bible, on prêche dessus, ça va être fort. Pourquoi pas. Là où je tique, c’est quand elle utilise le témoignage d’une tierce personne pour faire sa démonstration. Déjà, les sujets de prière mis en public, c’est déconcertant pour moi mais j’en vois l’avantage. Là, je pense qu’il vaut mieux rester sur ce que ce passage de la Bible signifie dans MA vie, ce qu’il éclaire, ce qu’il remue, ce qu’il déplace. Trop de témoignages tue le témoignage.

Un catéchisme caché

Chez nous (les vieilles Eglises qui ont des orgues etc), on fait le catéchisme. Cette formule évolue et on est loin du temps de Luther où les jeunes devaient pouvoir répondre à n’importe quelle question pointue du catéchisme. Exemple : « Quel est le Sacrement de l’autel? Il est le vrai corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ, sous le pain et le vin, pour nous chrétiens, à manger et à boire, institué par le Christ lui-même. » Maintenant, en Suisse, on propose des catéchismes-péniche, en France on mutualise les forces et on fait même des mannequin-challenge. Bref, ça m’a bien surpris que la pasteure fasse répéter des paroles de repentance à l’assemblée. J’ai eu le sentiment d’un retour au catéchisme de Luther saupoudré d’une bande-son émotionnelle. Si ça se trouve, Luther aurait kifé ! (Je parle jeune moi aussi).

Blague à part, ce qui ne va vraiment plus pour moi, c’est quand, à la fin de ce moment, disons, fidèle à la tradition luthérienne, la pasteur s’exclame : « Waouh super ! Amen. » Les pasteurs n’ont pas à valider les élans de foi des fidèles car cela les pose dans un posture de coach, au mieux, de censeur, au pire. Un pasteur exhorte, enseigne, prie avec ses fidèles et se repent tout comme eux car il est autant pécheur et gracié qu’eux. C’est important qu’on en rediscute, théologiquement, de ce point, je pense.

Une belle emphase sur la prière

Ce qui m’a le plus séduit, dans ce culte, c’est le temps de prière à la fin. On peut dire que chez Hillsong, ils aiment prier et ça se sent. D’abord, ils pensent à remercier pasteure Karine (j’apprécie qu’ils l’appellent pasteure, d’ailleurs). Puis ils demandent qu’on garde une partie de leur équipe dans leur prière, ils s’en vont dans l’Océan Indien. C’est aussi ça, Hillsong : des équipes pros d’évangélisation, une grosse capacité à lever des fonds en cas de catastrophes, un fort esprit de service. Concernant la prière finale, celle qui demande la grâce (j’imagine que c’est la bénédiction), j’ai apprécié le décalage entre cette demande et le fait de brandir une Bible à 1,50€. Hillsong, sa force, c’est de créer des décalages qui parlent à celles et ceux qui ne comprennent rien à nos vieux mots et nos vieux rituels. Les observer, c’est apprendre.

Je termine en disant que je suis vraiment contente qu’Hillsong soit dans la Fédération Protestante de France. Une jeune Eglise, sûre d’elle, qui maîtrise les outils de communication, qui sait jouer sur plusieurs registres de langage sans rien renier de ses traditions et qui fait confiance aux jeunes, ça ne peut être qu’une belle source d’inspiration pour nous. Ou mieux, si jamais Hillsong venait à considérer que nos Eglises, malgré nos vieux rituels et nos pasteurs plus friands de théologie que de bancs de repentance, ont réussi à s’adapter à 500 ans d’histoire… ce sera éventuellement le temps d’un beau Réveil, l’alliance rêvée de l’orgue et de la batterie, du banc et de l’éclairage soigné, du stand-up et des processions d’entrée, des jeunes et des vieux, des prières sur vidéo-projecteur et des prédications en chaire.

Ah non, pardon, ça c’est le Royaume. Merci à la FPF de le faire avancer.

Joan Charras-Sancho, née en 1980, a soutenu, en septembre 2015, sa thèse de doctorat sous la direction de la professeure Elisabeth Parmentier : « Pratiques liturgiques d’Eglises luthériennes et réformées en France et analyses théologiques de ces pratiques ». Chercheuse-associée à l’Université de Strasbourg et à l’Institut Léman de Théologie Pratique, elle est aussi membre de la Société Internationale de Théologie Pratique et du comité de rédaction de Vie&Liturgie. Membre de l’Union des Eglises Protestantes d’Alsace et de Lorraine, elle participe activement au service de la Dynamique Culte au sein duquel elle organise des formations ponctuelles et met en place des projets innovants, comme une Expo-Culte.