Le mot résume « CAPHARNAÜM », le nouveau long métrage de Nadine Labaki récompensé du Prix du Jury et du prix du Jury œcuménique lors du Festival de Cannes 2018, qui sort ce mercredi 17 octobre.
Capharnaüm raconte le périple de Zain, 12 ans, qui décide d’intenter un procès à ses parents pour l’avoir mis au monde alors qu’ils n’étaient pas capables de l’élever convenablement, ne serait-ce qu’en lui donnant de l’amour. Le combat de cet enfant maltraité, dont les parents n’ont pas été à la hauteur de leur rôle, résonne en quelque sorte comme le cri de tous les négligés par notre système, une plainte universelle à travers des yeux candides…
Un film construit autour premièrement de la question de l’enfance maltraitée, allant jusqu’à poser la question on ne peut plus pertinente : « pourquoi donner la vie quand on n’est pas en mesure de l’assumer ? ». Mais Capharnaüm évoque aussi les migrants par le biais du personnage de Mayssoun et les sans papiers au sens profond de l’expression. Car Zain n’a véritablement aucun papier depuis sa naissance… il est un invisible, il n’existe pas au sens légal du terme induisant par la même un certain nombre de conséquences psychologiques et relationnelles.
Un film réalisé et mis en scène admirablement par Nadine Labaki. Il faut noter que tous les acteurs sont des gens dont la vie réelle ressemble de façon très frappante à celle du film. Il en ressort un sentiment d’authenticité assez rare et la performance du jeune Zain Al Rafeea dans le rôle de Zain est purement exceptionnelle.
Capharnaüm est un film dont on ne ressort pas indemne et qui, malgré la teneur on ne peut plus triste et douloureuse, fait aussi le choix du pari de l’espérance finale. Choix qui, personnellement me va doit au cœur, car cette démarche n’est pas simpliste et facile… mais plutôt osée et forte de sens. Alors certains critiques y verront inévitablement un mélo fadasse… moi je préfère y voir un cri d’amour, une œuvre forte et poignante, un témoignage nécessaire et interpellant !
Alors que le 71èmeFestival de Cannes vient de s’achever avec l’annonce du palmarès par le jury présidé par Cate Blanchett décernant la palme d’or au Japonais Hirokazu Kore-Eda et son film « Une affaire de famille », revenons plus largement sur cette quinzaine cinématographique. Occasion de l’aborder sous le prisme d’une réelle présence chrétienne en son sein mais aussi sous la forme de nombreuses thématiques visibles dans les courts et longs métrages.
Le Festival de Cannes s’est déroulé du 8 au 19 mai. Premier événement culturel au monde, chaque année, au mois de mai, il s’empare de la ville et des tabloïds du monde entier. Professionnels de l’industrie cinématographique, stars internationales et acteurs en devenir se mêlent à la foule avide d’images, de selfies, d’autographes et de rencontres surprenantes. Le Festival, c’est aussi les paillettes, les stars, les bruits de couloirs mais aussi des scandales et même parfois des affaires diplomatiques… Grands événements ou petites anecdotes prennent parfois des dimensions démesurées, certains faits même ont bâti sa légende. Mais paradoxalement, c’est aussi un lieu où se côtoient des chrétiens du monde entier et où peuvent être portés des thématiques évangéliques au cœur même de bon nombre de films.
Des chrétiens à Cannes
Par sa taille, avec 120 pays accueillis et plus de 12.000 participants, le Festival de Cannes est à l’image de la société dans sa diversité. Et ainsi, nombreux sont les chrétiens présents : Professionnels du cinéma venant présenter des films dans les différentes sélections ou cherchant à les commercialiser grâce au Marché du film, exposants dans ce même Marché, journalistes, bloggeurs, techniciens, exploitants ou simples cinéphiles. Difficile à quantifier évidemment mais les échanges, rencontres programmées ou impromptues sont nombreux et deviennent, parfois même, de vrais rendez-vous divins.
Cette présence chrétienne devient aussi à fortiori plus visible au-travers du Jury œcuménique invité officiellement depuis 1974 pour remettre un prix et d’éventuelles mentions à des films de la sélection officielle, en portant un regard différent distinguant des œuvres de qualité artistique qui sont des témoignages sur ce que le cinéma peut nous révéler de la profondeur de l’homme et de la dimension spirituelle de notre existence. Ce jury international est composé de chrétiens catholiques, protestants, évangéliques ou orthodoxes engagés dans le monde du cinéma (journalistes, réalisateurs, enseignants, théologiens). Toujours plusieurs centaines d’invités, médias du monde entier présents lors de la remise dans le Palais des Festivals. Un palmarès depuis 1974 qui se suffit à lui-même pour démontrer le travail effectué chaque année laissant un témoignage qualitatif remarquable.
Des films qui font souvent écho à la foi
Une tendance apparait ces dernières années à Cannes avec une évolution certaine d’une sélection davantage orientée vers un cinéma d’auteur international audacieux et provocateur, et très souvent pétri d’une dimension sociale, spirituelle et métaphorique avec une volonté d’ouverture aux maux du monde.
Ce fut très clairement le cas cette année avec une bonne moitié de la compétition officielle dans cette perspective. Le Jury œcuménique avait donc le choix et a finalement remis son prix au bouleversant Capharnaüm de Nadine Labaki (récompensé aussi au Palmarès par le Prix du Jury) relevant qu’à travers l’histoire de Zain, un garçon de 12 ans qui attaque ses parents en justice pour lui avoir donné la vie, la réalisatrice expose sans concession l’enfance maltraitée et propose un voyage initiatique empreint d’altruisme. Un film qui aborde aussi la question des migrants et des sans-papiers. Ce même Jury a offert également une mention spéciale à l’excellent Blackkklansman de Spike Lee (auréolé lui aussi du Grand Prix lors du Palmarès final), cri d’alarme contre un racisme persistant et dénonciation par là-même d’une possible appropriation perverse de la religion pour justifier la haine.
Mais, dans cet angle mettant en lien cinéma et valeurs évangéliques, on pourrait en citer beaucoup comme la Palme d’or attribuée au Japonais Hirokazu Kore-eda, Une affaire de famille qui pose notamment la question de savoir quels sont les liens qui unissent, qui construisent plus particulièrement la cellule familiale. Je pense aussi à Lazzaro Felice d’Alice Rohrwacher, s’offrant une véritable métaphore christique dans un film qui dénonce toutes les formes d’esclavages modernes et de manipulation qui gangrènent le cœur humain. Il y avait cette petite perle, Yomeddine, une sorte de road-movie égyptien conduisant un lépreux à partir à la recherche de ses origines et de son père en particulier, soutenu par un jeune orphelin qui l’accompagne. Et encore l’amour qui surpasse toutes les entraves du monde, du pouvoir politique et des frontières dans le film polonais Cold War qui se termine avec tristesse et beauté sur cette phrase « Allons de l’autre côté… la vue y est plus belle ».
Ce fut aussi le combat social avec En guerre et un immense Vincent Lindon, la soif de liberté dans le film iranien de Jafar Panahi Trois visages ou encore un oppressant mais touchant Ayka sur les possibles souffrances de la maternité qui a valu le prix d’interprétation féminine à sa jeune héroïne Samal Yeslyamova qui jouait là dans son premier film.
Le choix de l’authenticité
Comment ne pas évoquer aussi cette importance de l’authenticité qui ressort dans plusieurs métrages ? Des cinéastes qui recherchent et privilégient l’expression vraie et sincère de personnages jouant leur propre rôle ou, du moins, une histoire proche de leur existence, plutôt que de miser parfois sur des acteurs confirmés. Et cela fonctionne, en tout cas dans plusieurs de ces films évoqués comme Capharnaüm, En guerre ouYomeddine. Les deux acteurs récompensés pour les prix d’interprétations masculine et féminine en sont aussi témoins car la justesse de leur prestation en est la force. Marcello Fonte dans Dogman est éblouissant dans ce rôle de toiletteur canin discret et apprécié de tous qui face à la trahison et l’abandon, voit sa vie totalement basculer. Quant à Samal Yeslyamova, dans Ayka, comme je le disais précédemment, elle crève littéralement l’écran et nous prend aux tripes dans sa capacité à projeter sa souffrance physique et psychologique. Un film qui, par ailleurs, trouve de la grandeur et de la dignité dans un refus de l’enjolivement et du romanesque en prenant le risque de mettre le spectateur, avec brutalité, à l’épreuve de la laideur du monde et de la souffrance des démunis.
Voilà c’est fini…
Edouard Baer, MC de la soirée de clôture l’a plutôt bien dit : « Le festival rentre chez lui c’est-à-dire chez nous, on rentre à la maison, après ce monde d’illusions, de rêves, de colères pour rien, de violence parfois sincères et authentiques. Le Festival de Cannes remballe, ses hommes, ses femmes, qui étaient là tous ensemble, unis, pour rien. Pour rêver, pour construire, pour essayer de dire que derrière les films, derrière les images, derrière les sons, il y a des rêves, il y a des violences, des envies de transmettre, des choses. Nous sommes simplement des gens qui ont eu le courage ou la chance d’exprimer nos rêves, d’aller vers les autres, de tendre une main qu’on appelle un film. Nous sommes des hommes et femmes ici, privilégies sans doute, mais qui sauront faire quelque chose de tout ça ».
Savoir faire quelque chose de tout ça… c’est peut-être finalement ça aussi qui devient comme une responsabilité individuelle et collective pour les spectateurs qui, dans les mois qui viennent, seront ceux qui accueilleront toutes ces images, tous ces sons, tous ces personnages et toutes ces histoires. Je vous souhaite donc maintenant d’en faire bon usage et que votre vie soit ainsi divertie et sans nul doute enrichie. Et vivement mai 2019 pour que le rideau s’ouvre à nouveau et les marches se draper de rouge pour un nouveau Festival… pas comme les autres.
Il peut arriver parfois à Cannes, où le soir, en éteignant la lumière, on se dise : « bof, c’était moyen aujourd’hui ». Rien n’est absolument parfait. Le cinéma est en plus subjectif… tout ça s’entant très bien. Mais d’autre fois aussi, comme ce soir, on a le sentiment d’être K.O. debout par un enchainement de films qui vous bouleversent, vous marque au plus profond des tripes. DOGMAN, WHITNEY et CAPHARNAÜM m’ont fait cet effet. Et sans tarder, j’aimerai vous en dire quelques mots, quitte à revenir plus en détail sur l’un ou l’autre, un autre jour.
La journée s’est ouverte au Grand Théâtre Lumière pour la presse avec la projection de DOGMAN de l’italien Matteo Garrone, à qui l’on doit déjà pas mal de choses très intéressantes. Je pense, par exemple, à Gomorra, Reality ou Tale of Tales.
Dogman, c’est l’histoire de Marcello, toiletteur pour chiens discret et apprécié de tous, dans une banlieue déshéritée. Il voit revenir de prison son ami Simoncino, un ancien boxeur accro à la cocaïne qui, très vite, rackette et brutalise le quartier. D’abord confiant, Marcello se laisse entraîner malgré lui dans une spirale criminelle. Il fait alors l’apprentissage de la trahison et de l’abandon, avant d’imaginer sa vengeance…
Matteo Garrone nous propose ici un drame radicalement sombre et désespérant. C’est une pure tragédie mais qui s’illumine au travers du personnage principal interprété par Marcello Fonte, un rôle qui pourrait tout à fait lui valoir le prix d’interprétation masculine. Un homme bon et bienveillant, qui s’arrange gentiment avec certaines lois mais qui demeure tendre et affectif. Face à lui une brute épaisse, cocaïnomane de surcroit, va lui livrer une véritable guerre psychologique et ultraviolente jusqu’à un dénouement terrible tant concrètement que psychologiquement.
Un grand bravo à Matteo Garrone pour une superbe photographie et surtout une construction du scénario remarquable.
Dès la fin de Dogman, direction la petite salle Bazin dans le Palais pour découvrir WHITNEY, le documentaire hors compétition de deux heures sur la vie de Whitney Houston réalisé par le britannique Kevin Macdonald. Un cinéaste habitué du genre qui a d’ailleurs reçu l’Oscar du meilleur documentaire en 2000 pour « Un jour en septembre », sur la prise d’otages aux JO de Munich en 1972.
Le documentaire WHITNEY est un portrait intime de la chanteuse et de sa famille, qui va au-delà des unes de journaux à scandales et qui porte un regard nouveau sur son destin. Utilisant des archives inédites, des démos exclusives, des performances rares et des interviews originales avec ceux qui la connaissaient le mieux, le réalisateur Kevin Macdonald se penche le mystère qui se cachait derrière ‘La Voix’ qui a enchanté des millions de personnes alors qu’elle-même ne parvenait pas à faire la paix avec son passé.
« Le diable a essayé de m’attraper plusieurs fois. Mais il n’a pas réussi » raconte Whitney Houston sans savoir à l’époque qu’elle finirait par sombrer. Une vie d’ailleurs ou Dieu et diable semblent se confronter constamment.
Coup de chapeau à Kevin Macdonald pour la confiance qu’il a su mettre en place avec l’entourage de l’artiste afin d’arriver à de véritables confessions qui permettent notamment d’expliquer les problèmes d’addiction dont souffrait Whitney. On apprend ainsi, et ce pour la première fois, qu’elle avait été agressée sexuellement dans son enfance par sa cousine, la chanteuse soul Dee Dee Warwick.
Un superbe documentaire qui joue entre la carte biopic et le sujet d’investigation. Un montage de grande qualité qui nous permet de retrouver toute la beauté physique et vocale de cette immense star mais capable aussi de nous tirer quelques larmes tant l’histoire tourne vite au drame.
Enfin, ce soir, au théâtre Debussy, ce fut l’énorme claque émotionnelle avec CAPHARNAÜM, le nouveau long métrage de Nadine Labaki qui pourrait tout à fait devenir la deuxième réalisatrice a recevoir la palme d’or après Jane Campion et sa Leçon de piano. Bouleversant ! Le mot résume mon impression à la sortie de la projection.
Capharnaüm raconte le périple de Zain, 12 ans, qui décide d’intenter un procès à ses parents pour l’avoir mis au monde alors qu’ils n’étaient pas capables de l’élever convenablement, ne serait-ce qu’en lui donnant de l’amour. Le combat de cet enfant maltraité, dont les parents n’ont pas été à la hauteur de leur rôle, résonne en quelque sorte comme le cri de tous les négligés par notre système, une plainte universelle à travers des yeux candides…
Un film construit autour premièrement de la question de l’enfance maltraitée, allant jusqu’à poser la question on ne peut plus pertinente : « pourquoi donner la vie quand on n’est pas en mesure de l’assumer ? ». Mais Capharnaüm évoque aussi les migrants par le biais du personnage de Mayssoun et les sans papiers au sens profond de l’expression. Car Zain n’a véritablement aucun papier depuis sa naissance… il n’existe pas au sens légal du terme induisant par la même un certain nombre de conséquences psychologiques et relationnelles.
Un film réalisé admirablement par Nadine Labaki. Il faut noter que tous les acteurs sont des gens dont la vie réelle ressemble à celle du film. Il en ressort un sentiment d’authenticité assez rare et la performance du jeune Zain Al Rafeea dans le rôle de Zain est purement exceptionnelle. Capharnaüm est un film dont on ne ressort pas indemne mais qui, malgré la teneur on ne peut plus triste et douloureuse, fait aussi le choix du pari de l’espérance finale.
The place, Billie, Drunk, Michel-Ange… Toute l’actualité ciné avec Jean-Luc Gadreau, journaliste et blogueur.
SISTER SOUL
Découvrez le dernier livre de JL Gadreau
NOUVEAU ! « Je confine en paraboles »
Chaque jour à 7h45 , pendant ce temps de confinement, je vous propose ma minute-vidéo « Je confine en parabole »… histoire de bien démarrer la journée.
Que celui qui a des oreilles…