PORTRAIT RICHARD LEONARD

Richard Leonard est Jésuite, diplômé en arts de l’éducation et en théologie. Il a obtenu un doctorat en études du cinéma à l’Université de Melbourne. Il dirige l' »Australian Catholic Office for Film & Broadcasting ». Il enseigne régulièrement à l’Université catholique de Melbourne et a été chercheur invité à la School of Theatre, Film et Television de l’Université de Los Angeles, ainsi que professeur invité à l’Université grégorienne pontificale à Rome. Membre de nombreux jurys dans les festivals (Venise, Berlin, Varsovie, Hong Kong, Montréal, Brisbane et Melbourne) et auteur de plusieurs livres sur le cinéma et la foi.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos envies, espérances ?
C’est ma septième expérience dans un Jury œcuménique, mais c’est ma première à Cannes. Mes expériences précédentes à Berlin, Venise, Montréal, Varsovie, Brisbane et Melbourne me rassurent. Le rassemblement de professionnels du cinéma pour regarder le travail de certains des meilleurs réalisateurs du monde est à la fois passionnant et agréable. Je me suis fait de bons amis en siégeant à des jurys et j’ai toujours trouvé que les idées et les connaissances cinématographiques de mes collègues étaient aussi très profitables. Je pense que nous verrons d’excellents films du monde entier qui me mettront au défi, et certains nous inspireront. J’espère qu’un film de haute qualité artistique émergera, avec des valeurs humaines positives, qui peuvent être lues à la lumière du message de l’Évangile.
 
Comment le cinéma a pris de l’importance dans votre vie ?
En plus d’être déjà un spectateur enthousiaste, le cinéma est entré plus précisément dans ma vie en 1995 lorsque mon supérieur provincial jésuite m’a demandé d’entreprendre des études dans les médias visuels. J’ai fait le cours de troisième cycle à la London Film School, à Covent Garden, en 1996/1997. Plus tard, on m’a demandé d’entreprendre un doctorat en études cinématographiques avec le professeur Barbara Creed à l’Université de Melbourne. Dans la dernière année de mes études de doctorat, j’étais invité comme chercheur à l’École de théâtre, cinéma et télévision de l’UCLA avec le professeur Bob Rosen. Ma thèse a été publiée sous le titre Le regard mystique du cinéma : les films de Peter Weir (MUP). J’ai été nommé directeur de l’Australian Film Office en 1998 et j’ai enseigné le cinéma et la théologie et le cinéma australien à l’Université de Melbourne, l’Australian Catholic University. J’ai été pendant plusieurs années professeur invité à l’Université Grégorienne de Rome. J’ai aussi publié Movies That Matter : Lire l’objectif de la foi.
 
Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ? (Et en quelques mots, pourquoi ?)
Citizen Kaned’Orson Wells : c’était un cinéma révolutionnaire sur tant de niveaux narratifs et cinématographiques.
Les films de Peter Weir : Picnic at Hanging Rock, Witness, Dead Poets Society etGallipoli, pour n’en nommer que quelques-uns, parce que j’ai passé tant d’heures agréables à examiner chaque image à bon escient.
Of Gods and Mende Xavier Beauvois qui a remporté le Grand Prix à Cannes en 2010. Je pense que c’est l’un des films les plus intelligents jamais réalisés sur un sujet religieux.

De même, avez-vous un(e) réalisateur(rice) « coup de cœur » ?
Florian Henckel von Donnersmack dans The Lives of Others (2006).
 
Qu’est-ce que, pour vous, un bon film ?
Tout genre de film qui met au défi le public de répondre aux demandes sociales et de justice du monde ou reflète la culture au public d’une manière qui peut être transformatrice, ou une histoire morale qui inspire le public à faire mieux, et être meilleur.
 
De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?
Pour que j’apprécie un film à la lumière de l’Évangile, il ne doit pas nécessairement être religieux dans un langage, une focalisation ou un récit. Je parlerai plutôt de paraboles sur la condition humaine ou la situation du monde qui évoquent les meilleures réponses humaines et en particulier l’espoir et amour.
 
Autre chose à ajouter ?
J’espère que nous trouverons un film pour notre prix qui n’est peut-être pas forcément grand public, mais qui, grâce à notre prix, trouvera une plus grande distribution, un public plus large et une sensibilité accrue aux problèmes les plus importants de la famille humaine.

PORTRAIT D’ALAIN LE GOANVIC

Diplômé de l’École supérieure de Commerce, cinéphile passionné, Alain Le Goanvic a créé plusieurs ciné-clubs et lancé en 2007, à Vitrolles (France), un festival « Cinéma et Aviation ». Membre de Pro-Fil depuis 2000, il en a été le Président de 2010 à 2014, et demeure membre du comité de rédaction de Vu de Pro-Fil, et rédacteur sur le Site Pro-Fil et celui du Jury œcuménique du festival de Cannes. A été juré à Mannheim-Heidelberg en 2004 et 2014, membre du jury des « Très courts métrages » à La Rochelle et du Jury interreligieux au Festival Visions du Réel à Nyon en 2012.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos envies, espérances ?
Je viens avec le plaisir de la découverte, car ce Jury très international va débattre de films d’une sélection très élaborée, comme chaque année. J’ai envie d’échanger et de confronter mes impressions et avis avec mes collègues, dans une ambiance ouverte au dialogue.
 
Comment le cinéma est entré dans votre vie ?
J’étais tout petit enfant quand mes parents m’ont mené au cinéma. Je me souviens de ma rencontre avec un monde magique, cet émerveillement premier ne m’a pas quitté.
 
Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ? (Et en quelques mots, pourquoi ?)
Le Mariusdes années 50 avec Raimu et Pierre Fresnay –
L’année dernière à Marienbad(Alain Resnais)
2001 Odyssée de l’espace(Kubrick) J’ai le souvenir d’un choc émotif et visuel, je n’en n’oublierai jamais les images, la musique, les sons.
 
De même, avez-vous un(e) réalisateur(rice) « coup de cœur » ?
Oui, bien que le choix soit difficile, je choisis Godard !

 
Qu’est-ce que, pour vous, un bon film ?
Un film qui, avec les moyens du cinéma : la technique des plans, des mouvements de caméra, le montage – est servi par le scénario (un récit, des dialogues solides) et évidemment par de bons acteurs.
 
De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?
Il y a des films qui semblent habités par la Grâce qui nous montre un monde non pas « sans » Dieu mais « avec » Dieu. Il y a des films qui disent oui aux valeurs de solidarité et de souci de l’Autre. Je citerai Babel, Des hommes et des dieux, Eurêka,  secrets and lies…
 
Autre chose à ajouter ?
Merci d’avoir posé ces questions, car elles m’ont permis d’expliciter mes pensées.

LETO… TELLEMENT BEAU

Après l’émotion de « Yomeddine » le coup de cœur de ce début de Festival sera pour moi « Leto » du réalisateur russe Kirill Serebrennikov. Un film qui m’a tenu en haleine du début à la fin, les yeux et les oreilles grand ouverts en regardant cette naissance du rock underground dans l’URSS de la Perestroïka.

Il était venu présenter à Cannes son premier film « Le disciple », mais là avec son deuxième long-métrage, le cinéaste Kirill Serebrennikov se voit privé de vivre la magnifique ovation du public et de la presse, et peut-être même de recevoir un prix dans quelques jours, assigné à résidence à Moscou.

Nous sommes à Leningrad, au début des années 1980. es disques de Lou Reed et de David Bowie s’échangent en contrebande, et une scène rock émerge. Zoopark, groupe mené par Mike Naumenko, est sur la scène du club rock de la ville. Mike chante une vie quotidienne sous fond de grisaille sociale et humaine. Dans la salle, les jeunes sont enthousiastes bien que surveillés avec attention par le personnel du club qui les empêche de se lever ou même de se trémousser sur leur chaise. Le cadre est donné… Mike et sa femme, la belle Natacha, rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique.

 

Bientôt Zoopark verra naitre Kino, un autre groupe avec Victor Tsoi à la voix et la guitare. C’est cette histoire qui nous est racontée, avec l’amour en toile de fond. Un amour d’une grande pureté se révélant aussi dans une soif de créativité quelque peu naïve mais aussi militante, portée par des références constantes… Lou Reed, T-Rex, Marc Bolan, Bowie, les Sex Pistols, les Beattles et compagnie… même Blondie est de la partie.

 

Un film d’une immense beauté avec un travail de caméra et de photo léchée comme il faut, offrant un noir et blanc enjolivé ponctuellement d’effets graphiques ou de couleurs qui accompagnent des sortes d’interludes façon clips vidéo où réalité et fiction se mélangent et où le fantasme prend le dessus sur l’existant. Car si Leto raconte une histoire de quelques héros romantiques ou punks, le film s’élargit généreusement et reflète plus généralement une jeunesse éprise de rock et surtout de liberté, qui n’aspirent qu’à créer et s’aimer.

Finalement, je pense que Leto est un film à vivre tout simplement… et qui, certainement, aura envoyé une énergie folle dans ce début de quinzaine. Espérons que le Jury y aura été sensible en s’en souviendra… dans une semaine. Enfin, sachez quand même que l’histoire nous apprend hélas que Viktor Tsoi est mort en 1990 d’un accident de voiture tandis que Mike Naumenko a succombé à une crise cardiaque l’année suivante. Mais leurs noms restent et cette histoire leur rend un bel hommage.

 

Leto est prévu dans les salles le 5 décembre 2018. Cochez la date !

YOMEDDINE… EN QUÊTE DES SIENS

Quand l’histoire d’un lépreux vient toucher les émotions et faire du bien… c’est ce qui s’est produit en ce début de Festival de Cannes avec le premier film de l’égyptien Abu Bakr Shawky, Yomeddine.

Après la mort de sa femme, Beshay, lépreux guéri mais défiguré par les stigmates de la maladie, décide de quitter sa léproserie de toujours pour rechercher sa famille qui l’a abandonné quand il était jeune enfant. Commence alors pour lui, une longue route parsemée de rencontres, d’embuches, de toutes sortes de situations joyeuses ou difficiles, où il ne sera pas seul mais devra se confronter aux choses enfouies au plus profond de lui, en quête d’une famille, d’un foyer, d’un peu d’humanité…

 

Si les premières minutes m’ont laissé un peu perplexe quant à ce que je pourrai apprécier de ce film, très vite les doutes furent chassés et je me suis retrouvé embarqué dans cette histoire d’une grande beauté. Mais ici la beauté n’est jamais apparente… elle se découvre dans l’épaisseur des personnages, derrière les blessures physiques, derrière les détritus qui peuvent devenir une montagne, derrière des histoires pétries de souffrance et d’accidents de la vie. C’est au plus profond de l’âme que se dévoilera la force de ce petit bonhomme, d’Obama son jeune compagnon, et de quelques autres éclopés rencontrés par hasard.

 

Abu Bakr Shawky a su trouver la justesse en touchant les cœurs mais sans tomber dans le pathos. Il filme sans complaisance, et propose là une sorte de road trip initiatique. Je dis « une sorte » car n’imaginais pas le road trip à l’américaine… ici pas de voiture emblématique mais une charrette tirée par un âne qui laissera place à toutes sortes d’autre engins sur des chemins rudes et secs.

Un film qui fait du bien disais-je, qui montre encore que le cinéma peut parfois se permettre de vous toucher, vous faire réfléchir, jouer ainsi l’un de ses rôles primordiaux à l’égard du spectateur, sans grands moyens, sans stars patentées, et même avec quelques faiblesses cinématographiques. Alors, un grand merci M. Frémaux d’avoir osé faire ce choix au détriment naturellement d’un grand nom du cinéma et de nous avoir offert cet instant de grâce qui pourrait tout à fait toucher un Jury où les valeurs humaines sont de mise.

 

 

PORTRAIT ROBERT K. JOHNSTON

Robert K. Johnston, professeur de théologie et de culture au Séminaire théologique Fuller à Passadena (Californie), est co-directeur de l’Institut du Fuller’s Reel Spirituality. Il est l’auteur ou l’éditeur d’une quinzaine de livres et également le co-éditeur des collections Engaging Culture and Exegeting Culture auprès de Baker Academic Books. Président honoraire de la Société américaine de théologie et bénéficiaire de deux bourses de recherche majeures de la Fondation Luce, Robert Johnston est un ministre de l’Evangelical Covenant Church. Membre du jury œcuménique à Locarno en 2017.

Comment abordez-vous ce Jury œcuménique à Cannes ? Quelles sont vos envies, espérances ?

Jusqu’à l’année dernière, je n’avais jamais eu le privilège de faire partie d’un Jury œcuménique, jusqu’à participer à celui de Locarno. En regardant les films de la compétition lors de ce festival, avec mes collègues du Jury œcuménique, j’ai appris à quel point il est intéressant de voir et de discuter de deux douzaines de films avec des personnes qui aiment à la fois le cinéma et Jésus. C’est avec ces deux mêmes amours que je viens à Cannes, désireux d’avoir ma compréhension de la vie élargie à la fois par les histoires des films qui seront projetés et par les idées de mes collègues qui m’accompagnent. J’espère aussi que par nos choix de Jury, nous pourrons aider à ce que le ou les films choisis parlent aux esprits de chacun, leur offre d’approfondir leur foi, espoirs et amours.

Comment le cinéma a pris de l’importance dans votre vie ?

Les films me permettent de faire l’expérience de ce que j’appelle une « coupe transversale » plus large de la vie que je ne serais autrement capable de voir. Comme les histoires sur l’écran croisent mon histoire et l’histoire de Dieu, je suis plus à même de comprendre la vérité, la beauté et la bonté de la vie (ou son manque tragique). Et peut-être plus en capacité de le ressentir.

Quels sont les 3 films majeurs pour vous personnellement ?

Quand j’étais à l’université, je suis allé voir Becket, avec Richard Burton et Peter O’Toole. En voyant l’ancien buveur du roi, Thomas a’Becket, prendre au sérieux sa nouvelle responsabilité d’archevêque dans l’obéissance à Dieu, j’ai reconnu que Dieu me demandait aussi de répondre à son appel comme ministre protestant. Je n’avais pas d’abord besoin de devenir une personne exemplaire; J’avais seulement besoin d’être disposé à obéir à l’appel de Dieu. Quand j’ai vu La vie est belle, mes filles avaient grandi. L’amour inconditionnel du père pour son fils (il ferait n’importe quoi pour Joshua), m’a aidé à comprendre personnellement ce que devrait être un « père », ce que j’aurais mieux aimé être en tant que père et être encore. Et même si la vie personnelle de Kevin Spacey a rendu la re-vision d’American Beauty difficile, voire impossible, mes premières projections multiples de ce film avec ses thèmes similaires au livre de l’Ecclésiaste ont profondément creusé mon âme. Le sens de ma vie ne vient pas de ce que je peux accomplir. Après tout, nous allons tous mourir. Mais le don de la vie et les relations qu’elle apporte sont précieux et pleins d’émerveillement.

Qu’est-ce que, pour vous, un bon film ?

Au cinéma, l’histoire règne en maître. L’excellence technique est évidemment une condition préalable, mais cela ne suffit pas. L’histoire d’un film doit être en mesure de se connecter avec les histoires de ses spectateurs. Un bon film doit être intellectuellement satisfaisant (il doit en quelque sorte être fidèle à la vie, même si c’est un fantasme), émotionnel (le spectateur doit se soucier des personnages à l’écran) et être visiblement accrocheur. Quand la tête, le cœur et les tripes d’un spectateur sont touchés par une histoire à l’écran, alors ce film est réussi.

De quelle façon abordez-vous la question « spirituelle » ou « chrétienne » dans votre rapport au cinéma ?

Le tournant post-séculaire de l’Occident au cours des vingt dernières années a conduit à un nombre croissant de films explicitement spirituels dans l’intrigue ou le thème. Et certains d’entre eux sont même explicitement « chrétiens ». Mais si ces films sont peut-être les plus évidents pour évoquer des films qui invitent au dialogue religieux, un tel dialogue ne se limite pas à ces films thématiques. Tout film qui parle à l’esprit humain – tout film, c’est-à-dire qui égratigne la vérité, la beauté et la bonté de la vie, ou son absence – est un film qui invite les spectateurs à converser en tant qu’êtres spirituels. Un tel dialogue peut être fait d’une perspective explicitement théologique, la théologie chrétienne étant la lentille à travers laquelle une histoire est comprise. Ou cela peut être fait à partir d’une perspective spirituelle plus générale, alors que les histoires poussent vers l’extérieur pour transcender leurs particularités.