PARASITE

Bong Joon-ho est de retour avec un fabuleux drame familial en forme de thriller socio-politique, ou encore de satire sociale noire, pointue et parfois hilarante. L’histoire d’une famille pauvre sud-coréenne qui se fraie un chemin (avec la filouterie la plus tordue qui soit) pour travailler pour un couple riche est tout simplement faite pour le grand écran. Superbement scénarisé et tourné, le jeu des acteurs est en plus vraiment excellent.

Synopsis : Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne…

On entend souvent dire que l’argent est la racine de tous les maux – en réalité, le verset de la Bible à l’origine (Timothée 6:10, si vous vous le demandez) est plus précis : « L’amour de l’argent est la racine de tous les maux ». C’est, semble-t-il, le sentiment que partage Bong Joon-ho. La plupart de ses films comptent à certains égards une critique du capitalisme et évoque la lutte des classes. Après deux films en anglais (Snowpierceret Okja, présenté à Cannes en 2017), le réalisateur sud-coréen retourne à sa langue maternelle pour une autre parabole sur la nature séduisante de la cupidité et ses conséquences dévastatrices.

Parasitea cette qualité d’être tour à tour sombrement drôle, violent et triste, en nous plongeant dans les angoisses des riches, ainsi que dans la façon dont l’argent peut avoir le pouvoir de changer le monde… pour le pire. Alors que, l’année dernière, Hirokazu Kore-eda et son Affaire de famille nous racontait l’histoire d’une drôle de pauvre famille japonaise qui faisait tout ce qu’elle pouvait pour survivre, dans Parasite, on passe un cran plu haut avec des protagonistes qui sont prêts à tout dans leur quête d’argent. Ils considèrent que le monde leur doit quelque chose et ils ne s’arrêteront pas tant qu’ils ne l’auront pas.

En même temps, Joon-ho est farouchement critique à l’égard des classes riches, qui méprisent les pauvres (notamment avec ces affreuses remarques sur leurs odeurs distinctives) et parfois on peut avoir le sentiment qu’ils ne les voient même pas comme des êtres humains ; quand Ki-woo est employé, son nouveau patron lui dit « appelons-le Kevin », effaçant son identité et en en créant une nouvelle qui correspond à son image familiale.

Le ton rappelle celui de Canine de Yorgos Lanthimos et même celui de Vanity Fair de William Thackery, mais il y a une merveilleuse spécificité chez Parasite qui en fait un film si captivant, c’est qu’il se transforme soudainement en une farce sanguinaire. Et puis tout est bon chez Bong… Une mise en scène hors-pair avec de lents travellings dans la maison, une photographie de toute beauté, le jeu subtil des acteurs accompagnant parfaitement les diverses ambiances de l’histoire, et une dramaturgie parfaire. Tout cela ne peut que faire de ce Parasite une œuvre jubilatoire en même temps qu’un instrument critique redoutable.

Il n’est pas du tout exagéré de dire non plus que Bong est un maître de son art, mais avec un film aussi techniquement accompli et infiniment fascinant que Parasite, il continue à nous rappeler à quel point il est bon – et à élever sérieusement le niveau par rapport à la satire sociale occidentale contemporaine.

Rendez-vous samedi soir au Palmarès Monsieur Bong Joon-ho !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JOLIE TRIPLETTE CANNOISE

Aujourd’hui, zoom sur trois longs métrages présentés ce week-end à Cannes. Trois films extrêmement différents les uns des autres, tant par les sujets, la forme et les émotions qu’ils suscitent. Mais trois films qui donnent de la teneur à ce soixante dixième festival qui, pour le moment, peut se targuer d’une très bonne sélection.

OKJA

Commençons par Okja qui a surtout fait parler de lui avant sa diffusion par le fait qu’il crée un précédent à Cannes. Il s’agit, en effet, d’une production Netflix, qui sortira, non pas en salles, mais sur la plateforme de vidéos. Petit scandale… huées et sifflés en début de séance auxquels répondent rapidement des applaudissements, rien de bien méchant finalement… en tout cas, preuve en est, que Cannes fête ses soixante dix bougies et ouvre ainsi une nouvelle ère préfigurant de changements importants sur la façon de reconnaître officiellement des changements de consommation de la culture déjà bien installés dans la société.

Okja est une fable fantastique à tendance écolo extrêmement bien réussie par le cinéaste sud-coréen Bong Joon-Ho. C’est l’histoire de la jeune Mija, qui pendant dix années idylliques, s’est occupée sans relâche d’Okja, un énorme cochon au grand cœur, auquel elle a tenu compagnie au beau milieu des montagnes de Corée du Sud. Mais la situation évolue quand une multinationale familiale récupère Okja et transporte l’animal jusqu’à New York où Lucy Mirando, la directrice narcissique et égocentrique de l’entreprise, a de grands projets pour le cher ami de la jeune fille.

Derrière cette étonnante histoire qui aurait pu être signée Disney, se profile clairement une dénonciation des pratiques de Mosanto (Mirando…), des OGM, des maltraitances animales et encore plus globalement d’une société de consommation qui donne la part belle au profit quitte a perdre même le véritable goût des bonnes choses. Okja raconte comment cette multinationale, sous couvert d’une fausse identité écologique et philanthropique, veut imposer sa nourriture, ici des cochons mutants, qui, de par leur taille, produisent beaucoup plus de viande qu’un cochon ordinaire. Et tout cela nous est proposé avec humour, tendresse et des prouesses techniques.

120 BATTEMENTS PAR MINUTE

Après le conte, la réalité brutale et dérangeante de 120 battements par minute, premier film français présenté cette année en compétition. Robin Campillo nous plonge au cœur des années sida au travers de l’histoire d’Act Up, sous forme proche d’un docu-fiction et en se fixant plus précisément progressivement sur certains de ces activistes qui montent des opérations spectaculaires pour sensibiliser l’opinion aux ravages du sida et accélérer la diffusion des traitements aux malades, et en entrant dans leur histoire personnelle. Nahuel Pérez Biscayart qui incarne Sean est ainsi tout simplement magnifique et criant de vérité. Il nous entraine dans l’émotion et apporte énormément au film. Beaucoup de « second rôles » sont aussi remarquables comme, par exemple, la mère de Sean que l’on découvre en fin de film dans une scène à la fois émouvante et vivifiante (je choisi ce terme à dessein car il vient comme un paradoxe dans le contexte et correspond précisément à l’ambiance de cette scène).

Le film montre aussi très bien la préparation de ces actions spectaculaires et surtout les débats qui les accompagne, ces fameuses RH (réunions hebdomadaires) parfois houleuses entre les militants pour décider du type d’actions à mener et organiser le travail au sein de l’association.

On pourra aussi préciser que, si le film contient naturellement dans le contexte du scénario, certaines scènes de sexe explicites, Robin Campillo a su intelligemment ne pas surenchérir sur cet aspect et même les filmer avec une certaine tendresse et douceur.

120 battements par minute à donc su trouver son public à Cannes et surtout toucher son cœur.

LE REDOUTABLE

Point commun avec le film précédent, Le Redoutable part d’une réalité. Celle de deux années (1967-68) de la vie de Jean-Luc Godard et de sa jeune épouse Anne Wiazemsky, marquées bien entendu par ce mois de mai qui fera basculer Godard d’un statut de réalisateur adulé à celui de Maoiste incompris, révélant ainsi certaines aspects de sa personnalité qui provoqueront notamment de nombreuses ruptures avec son entourage le plus proche.

Michel Hazanavicius, en traitant ce sujet « historique » apporte néanmoins sa touche décalée avec brio. Et tout devient alors second ou troisième degré tout en restant focus sur son personnage interprété avec grande classe par un Louis Garrel qui peut tout à fait briguer un prix d’interprétation masculine. Les dialogues savoureux provoquent facilement les rires et on se régale des multiples doubles-sens et allusions plus ou moins cachées. Le Festival de Cannes devient même pour un moment l’un des sujets et donc l’éch se produit o naturellement dans les rangées de fauteuils du Festival.

Oui Hazanavicius est redoutable et il le prouve encore avec un film esthétique (nous plongeant dans les couleurs vives des sixties), drôle et intelligent apportant un vrai courant d’air frais sur la Croisette où le soleil ne faiblit pas.