KINGS… TENSION ET ÉMOTIONS

Il y a trois ans, le monde découvrait Deniz Gamze Ergüven, réalisatrice franco-turque, avec son premier long métrage, Mustang, qui allait être récompensé par quatre César (dont celui du meilleur premier film), le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère et une nomination aux Oscars. Changement assez radical avec Kings, qui nous plonge au cœur des émeutes raciales à Los Angeles en 1992, fruits de l’affaire Rodney King, même si la jeunesse reste aussi le fil conducteur de cette histoire construite comme sur une corde tendue toujours prête à rompre brutalement.

1992, dans un quartier populaire de Los Angeles. Millie s’occupe de sa famille et d’enfants qu’elle accueille en attendant leur adoption. Avec amour, elle s’efforce de leur apporter des valeurs et un minimum de confort dans un quotidien parfois difficile. À la télévision, le procès Rodney King bat son plein. Lorsque les émeutes éclatent, Millie va tout faire pour protéger les siens et le fragile équilibre de sa famille.

 

Kings est un drame qui se développe à la fois sur l’axe familial, politique et social. Deniz Gamze Ergüven nous immerge dans la vie d’une famille afro-américaine qui vit dans un quartier marqué par la violence, mais aussi par le bruit… cris, hurlements, sirènes, tirs… ambiance sonore amplifiée et exacerbée par le quotidien de cette famille où la magnifique et bouleversante Halle Berry campe Millie, une mère, seule, totalement débordée, qui recueille des enfants en difficulté, tandis que Daniel Craig son voisin est un écrivain alcoolique, bougon et colérique. J’insiste sur cette notion de bruit car il participe constamment à une forme de surenchère globale qui donne à Kings de nous mettre à la fois sous pression et comme en immersion dans l’histoire racontée. Au son s’ajoute aussi les plans serrés sur les visages des comédiens qui traduisent le sentiment de suffocation ressenti par les personnages et par effet de contamination par le spectateur.

Le film s’ouvre sur une séquence brutale du meurtre sanglant de la jeune Latasha, qui sonne le désir de vengeance de la population noire quand une simple sentence faite de sursis et d’amende tombe. Tout au long de son film la réalisatrice va agrémenter son scénario d’images d’archives et le construire comme une sorte de docu-fiction afin de magnifier l’impression de réalisme. Il faut le dire, il y a pour moi une vraie beauté esthétique dans cette façon de faire un cinéma du réel sans artifice. Autre point réussi à noter, dans la capacité de la cinéaste d’égrener de nombreux petits moments de bonheur ou d’humour au milieu des émeutes et du drame, même si le chaos reste tout de même le point d’orgue inévitable. 

 

En ce qui concerne les thématiques abordées, elles sont nombreuses. Kings parle bien évidemment des questions d’injustice, de race, de violence et de non-violence. Cela en fait d’ailleurs un film particulièrement intéressant dans cette année de commémoration des cinquante ans de la mort de Martin Luther King. Mais il y a aussi beaucoup plus à y voir, avec des choses autour de la famille, de ce qui nous fait être famille, de l’éducation. Je veux redire encore la qualité d’interprétation d’Halle Berry dans ce rôle de mère courage exceptionnelle qui se bat pour protéger les siens et ceux qui le sont devenus. Les protéger des dangers qui ne sont pas tant là à l’intérieur du cocon familial, comme dans Mustang, mais à l’extérieur, dans un monde en furie où on ne sait plus à quoi se fier et vers qui se tourner. Il y a une réflexion d’ailleurs très pertinente sur la puissance de l’engrenage qui se manifeste dans ces circonstances ou la normalité s’efface. On pourrait là se souvenir des paroles néotestamentaires de l’apôtre Paul… « Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas ». Enfin, impossible de parler de Kings sans évoquer la jeunesse, car c’est dans leurs yeux que les événements se présentent à nous. C’est au rythme de ces adolescents, pris dans un vrai tourbillon tant de leurs sentiments et émotions, que de ce qui leur est imposé par les autres, que nous avançons comme marchant sur une corde tendue prête à rompre brutalement. Et l’on peut passer ainsi d’une scène d’apparition tendre et lumineuse d’une fille pas comme les autres (Rachel Hilson) devant les yeux ébahis et amoureux de Jess (Lamar Johnson) à la traversée nocturne et enfumée faisant de Los Angeles un décor de film d’horreur ou apocalyptique de ces deux mêmes protagonistes.

 

Deniz Gamze Ergüven confirme là ses talents et sa grande justesse en termes de casting et direction de jeunes acteurs (comme avec Mustang) à qui elle réussit parfaitement à faire porter sur leurs visages cette effroyable violence d’une adolescence brisée par les événements. 

 

 

COMME UN OISEAU SANS AILES…

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C’est parfois dans des films qui pourraient passer inaperçus, car loin des grosses productions hollywoodiennes, que se trouvent de très jolies choses qui font du bien et donne au cinéma aussi sa raison d’être. C’est ce qui ressort comme sentiment avec ce premier long métrage de Greta Gerwig, cette actrice particulièrement reconnue dans le cinéma indépendant américain. Lady Bird nous plonge au cœur de l’adolescence et des relations mère-fille avec charme et sincérité.

Christine « Lady Bird » McPherson se bat désespérément pour ne pas ressembler à sa mère, aimante mais butée et au fort caractère, qui travaille sans relâche en tant qu’infirmière pour garder sa famille à flot après que le père de Lady Bird a perdu son emploi. 

Avec ce Lady Bird, cette nouvelle identité revendiquée par la jeune Christine McPherson, transpire cette envie, ce besoin, dirais-je même, de prendre son envol, de construire sa propre vie. Se libérer des barreaux de la cage que peuvent représenter le cercle familial, surtout quand celui-là, comme souvent, est aux antipodes de vos souhaits ou fantasmes de vos 17 ans. C’est ce que nous raconte tout simplement Greta Gerwing s’inspirant par là-même de sa propre histoire. Une tranche de vie, 1 an au cœur de ces instants si importants de l’adolescence où se forgent des choix, où se solidifient et se détruisent des relations, où les larmes coulent, où les rires se déclenchent, où certaines premières expériences se vivent. C’est une ado en crise, gentiment rebelle, qui vit ses premiers émois sexuels, mais qui surtout cherche un peu d’attention.

Il y a donc un peu tout ça dans l’histoire simple et touchante de Lady Bird, cette jeune fille aux cheveux roses. Rien d’extraordinaire me direz-vous… et en effet, là se trouve précisément la force du film… raconter l’ordinaire mais avec sensibilité, charme, sincérité et pas mal d’humour. Et surtout, joué avec classe et justesse, par la jeune comédienne irlandaise Saoirse Ronan qui incarne à merveille Christine, alias Lady Bird. Mais elle n’est pas seule et l’ensemble du casting colle parfaitement à l’histoire racontée. On y trouve Tracy Letts, Lucas Hedges ou encore la nouvelle coqueluche d’Hollywood, le Franco-Américain Timothée Chalamet dans le rôle d’un copain solitaire et particulièrement nonchalant. Et puis, il faut insister sur Laurie Metcalf qui incarne Marion, la matriarche du clan McPherson. Une femme particulièrement paradoxale dans ses attitudes, à la fois autoritaire, aimante, attachante, mais aussi parfois d’une immense froideur et très maladroite.

Vous l’aurez compris, les relations parents-ados sont l’un des enjeux forts du scénario et font de Lady Bird un intéressant film pour parler de la famille. Il y a aussi, et en parallèle une certaine réflexion sur l’identité, notamment au travers du prénom donné ou choisi… mais je ne vous en dis pas plus sur le sujet pour ne pas gâcher votre propre découverte du film.

Lady Bird sort en France ce mercredi 28/02 et surtout est en route pour les Oscars avec 5 nominations.

HOME… LA CLAQUE !

Si plusieurs grosses sorties cette semaine risquent de monopoliser les regards, il serait vraiment dommage de passer à côté du film de la réalisatrice belge Fien Troch, « HOME ». Un film coup de poing qui ose aborder des thématiques difficiles, sombres mais bien existantes dans notre société.

Kevin, 17 ans, sort de prison. Pour prendre un nouveau départ, il s’installe chez sa tante et commence un apprentissage dans l’entreprise familiale. Une nouvelle amitié le lie avec son cousin et sa bande d’amis. Ce nouvel équilibre pourra t-il le sauver de la délinquance juvénile ? Confiance, complicité et trahison se succèdent dans la vie de ces adolescents jusqu’à ce qu’un évènement inattendu bouleverse à jamais leur quotidien.

Avec ce drame social, la réalisatrice Fien Troch propose un cinéma très contemporain, avec une approche directe et sans fard. Pour augmenter cet effet voulu, elle choisit ici aussi de travailler uniquement avec des acteurs non professionnels. Une sensation de réalisme, flirtant avec le docu-réalité, qui démarre dès les premières images dans le bureau de ce proviseur face à cette jeune fille prise en défaut de ragots sur l’un des professeurs. La musique électro qui accompagne l’histoire, le format carré qui resserre l’image jusqu’à parfois passer même à celui rectangulaire vertical d’un smartphone… tous ces détails intensifient ces impressions de modernité mais aussi d’une certaine urgence qui étouffe comme le vivent plusieurs de ces adolescents dans des existences marquées par des souffrances aigües et une profonde désespérance intime.

Violence, réinsertion, ennui, effets de bande, amitié, inceste maternel, indifférence, jalousies, peurs, enfermement, hypocrisie et technologie… autant de facteurs qui interviennent dans ces histoires qui se croisent, se font écho et s’entrechoquent. Des personnages qui s’inspirent de faits divers bien réels qui, comme le souligne la réalisatrice, prouve hélas que la réalité dépasse souvent la fiction !

L’univers de Fien est sombre et parfois glaçant. Les adultes de l’histoire ont un vrai côté monstrueux, marqué par l’abus et la manipulation. Même Sonia, la mère de Sammy, qui semble à priori être l’élément positif et équilibrant, va révéler une ambivalence dangereuse. Ses vrais héros malheureux se trouvent davantage du côté des adolescents pourtant, eux aussi, marqués par des comportements parfois odieux et révoltants. Les faisant malmener une femme obèse dans un bus ou donnant à l’un d’eux d’écrire sur un réseau social une phrase choc et révélatrice du caractère de ce long métrage : « Je voudrais tuer quelqu’un pour me sentir vivre ».

Finalement, en s’installant dans cette vision pessimiste et extrémiste, en choisissant la noirceur de la société, la réalisatrice interpelle violemment mais pour nous donner la possibilité de réagir, de réfléchir. Se pose notamment la question de la responsabilité et sans doute, à un degré plus loin, celle des valeurs qui peuvent nous conduire au changement, à la résilience, à l’écoute et l’accompagnement.

Home, un film dont on ne sort pas totalement indemne et qui prouve, une fois encore, que si le cinéma a cette capacité heureuse à divertir, il peut être aussi d’une force incroyable d’interpellation et de miroir de la société.