MON PALMARES CANNES 2014

Arrivé au bout de cette 67ème édition du Festival de Cannes… le jury œcuménique a remis son prix et deux mentions ce soir et demain samedi à 19h il sera temps de clôturer officiellement cette édition avec la remise de la palme et des nombreuses autres récompenses. Alors vous imaginez sans doute, les pronostiques ou autres rumeurs vont bon train comme toujours et je ne saurai manquer à la règle en vous livrant, non pas des secrets quelconques qui auraient filtrés mais juste quelques uns de mes coups de cœurs personnels qui ont d’ailleurs évolué tout au long de la quinzaine.

Pour ce qui est du Jury Œcuménique, c’est le film mauritanien Timbuktu qui a reçu le prix 2014. S’y ajoutent deux mentions spéciales (les deux dans la catégorie « Un Certain Regard »), l’une pour Le Sel de la Terre de Wim Wenders et l’autre pour Hermosa Juventud de James Rosales. Pour découvrir l’argumentation de ce jury, vous pouvez vous rendre directement sur ce lien : http://cannes.juryoecumenique.org/spip.php?article2882

Alors venons-en à mon palmares, extrêmement subjectif évidemment. Je dirai tout d’abord que pour moi 2014 fut plutôt un bon cru avec pas mal de films très intéressants, beaux et touchants… et pas trop « trash » en plus.

– 2 films à qui j’aurai envie de remettre ma palme d’or :

Jimmy’s Hall de Ken Loach, cet hymne à la liberté, à la vie… et au courage, racontant l’histoire vraie de Jimmy Gralton, le seul Irlandais à avoir été expulsé de son propre pays sans procès, parce qu’il était considéré comme « immigré clandestin » en août 1933.

2 jours 1 nuit des frères Dardenne ce drame social avec Marion Cotillard

   

– Mon « prix du Jury » à The Homesman de Tommy Lee Jones, ce pseudo western sur la rédemption de ce marginal sur une route qu’il n’a pas choisi

– Mon prix spécial à Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, ce superbe film mauritanien qui aborde l’invasion djihadiste au Mali.

– Mon prix du scénario à The Search de Michel Hazanavicius, le conflit Tchétchène et la façon dont s’apprivoisent mutuellement Carole et Hadji.

– Ma caméra d’or pour un 1er film irait à Nad Benson pour La disparition d’Eleanore Rigby, cette romantique histoire d’un couple qui tente de survivre à l’absence de l’être aimé.

– Les interprètes masculins de cette 67ème édition (puisque j’en mettrai 2 ex-aequo) seraient pour moi Steve Carell, dans le rôle du milliardaire excentrique John du Pont de Foxcatcher et le tout jeune Abdul-Khalim Mamatsuiev, âgé de 10 ans qui interprète Hadji avec tant d’émotion dans le film The Search.

– Et pour finir… l’interprète féminine reste pour moi cette année Marion Cotillard, bouleversante d’authenticité dans 2 jours, 1 nuit des Dardenne

Voilà… c’est fini… c’était mon humble palmarès à moi… le vrai reste à venir et sera sans doute une autre histoire… à découvrir samedi soir !

 

 

RENCONTRE AVEC LES FRÈRES DARDENNE

À l’occasion des 40 ans du Jury Œcuménique, Denyse Muller (vice-présidente d’Interfilm et coordinatrice du Jury Œcuménique à Cannes), a rencontré les réalisateurs belges Jean-Pierre et Luc Dardenne. Pour faire suite à mon dernier article, je vous propose de découvrir cet interview :

Denyse Muller : Après 2 Palmes d’or et de nombreux autres prix au Festival de Cannes, appréciez-vous un prix spécial du Jury Œcuménique ? Est-ce que cela vous parle particulièrement ?

Luc et Jean-Pierre Dardenne : Oui parce que d’une part votre prix a une importance reconnue, d’autre part parce que vous récompensez des films selon des critères qui ne suivent pas la mode. Vous avez toujours considéré le cinéma comme un moyen d’éducation et d’enrichissement de l’individu. Quand on dit que c’est un prix chrétien, je ne le prends pas dans le sens de promotion d’une idée ou d’une religion particulière, mais plutôt dans la défense des valeurs de base sur lesquelles le christianisme s’est appuyé et qu’il a véhiculées, comme d’autres religions d’ailleurs, des valeurs comme celles de la justice, de la conscience, de la culpabilité, de la responsabilité. Effectivement je crois que nos films sont en rapport étroit avec ces valeurs.

D.M. : Vous appréciez donc généralement nos prix œcuméniques ?

L. et JP. : Oui, vos prix sont intéressants parce qu’ils touchent le public. Vous n’êtes pas là pour obéir à des modes mais pour dire « ce film on l’aime beaucoup d’autant plus que nous sommes chrétiens, on y reconnaît certaines valeurs ». Les prix que vous avez attribués à Cannes ont rencontré le public, et pas parce que le public est majoritairement chrétien. Les gens sont sensibles à l’art cinématographique et en même temps à ce quelque chose qui touche le public. Vous avez rarement choisi des films ésotériques. Ca ça nous plait parce qu’on se dit que le film parle à des gens. Et c’est bien pour cela que nous faisons des films.

D.M. : Vos films sont tout de même très durs. Le monde de Rosetta, du Fils ou de Bruno pourrait finir en catastrophe totale. Un monde très dur, très noir… mais à la fin il y a une lueur d’espoir, une larme, une réconciliation, un avenir possible. Pour vous, les relations humaines sont-elles plus fortes que toute la noirceur du monde ?

L. et JP. : Dans les situations difficiles l’homme se révèle tel qu’on s’y attend et nous nous comportons de manière terrible pour survivre ; en même temps nous sommes capables de gestes surprenants, tellement surprenants qu’on peut les attribuer à la Grâce et pas à l’homme et on se dit « c’est pas possible qu’il ait pu faire ça ».

D.M. : La Grâce, c’est un terme religieux…

L. et JP. : Oui et c’est pour cela que je l’emploie car ça nous surprend tellement cette grâce, ce « c’est pas possible qu’il ait pu faire ça » Avec mon frère on aime raconter des histoires où des hommes, des femmes dans des situations difficiles, à un moment donné, trouvent un geste humain.

D.M. : Que cherchez-vous à dire, à transmettre à travers vos films ?

L. et JP. : Il est important que pendant le film, ou en sortant du film, le spectateur ait, même un bref instant, une autre image de lui qui peut alors l’interpeller et lui faire voir d’autres possibilités que celles qu’il a vécues jusque là. On espère que le spectateur dans la salle obscure va être incité à un changement.

D.M. : Oui et cela entre dans nos critères.

L. et JP. : En même temps on est toujours le même mais il s’est passé quelque chose, une sorte d’expérience.

D.M. : Qu’aimeriez-vous dire à des cinéphiles chrétiens qui sont jurés dans les festivals ou qui animent des groupes ?

L. et JP. : Continuez à faire partie de ces gens qui aiment le cinéma, soyez des relais auprès du public pour leur faire rencontrer des films qu’ils ne verraient pas dans les circuits habituels. On a besoin de gens qui ouvrent d’autres possibilités. Continuez à faire partie de ceux-là et à montrer les films dans les communautés, les écoles, les ciné-clubs etc…

Biographie des Frères Dardenne

Réalisateurs belges, Jean-Pierre et Luc Dardenne travaillent dans les années 70 avec le dramaturge et cinéaste Armand Gatti sur des mises en scène de théâtre. A partir de cette rencontre, ils réalisent des vidéos militantes, des documentaires sur des problèmes de société puis des longs métrages. En 1975 ils fondent la maison de production Dérive qui produit leurs documentaires puis en 1974 Les films du fleuve à Liège, qui produira dès lors tous leurs films.

Depuis 1987 ils ont réalisé 9 longs métrages, la plupart en compétition au Festival de Cannes: La Promesse (1996) à la Quinzaine des réalisateurs; les suivants, sélectionnés en Compétition officielle, ont reçu un ou plusieurs prix du Grand Jury et du Jury Œcuménique. Cette année le Festival a sélectionné leur dernier film Deux jours, une nuit.

Filmographie (longs métrages)

1987 Falsch

1992 Je pense à vous

1996 La Promesse

1999 Rosetta Palme d’or – Prix d’interprétation féminine / Mention spéciale Jury oecuménique

2002 Le Fils – Prix d’interprétation masculine / Mention spéciale Jury oecuménique

2005 L’Enfant – Palme d’or

2008 Le Silence de Lorna – Prix du scénario

2011 Le Gamin au vélo – Grand prix

2014 Deux jours, une nuit

2 JOURS, 1 NUIT, 1 TRÈS GRAND FILM

À l’occasion des quarante ans du Jury Œcuménique, une cérémonie officielle sera organisée jeudi midi au pavillon UNIFRANCE, pour remettre un prix spécial aux frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, pour l’ensemble de leur œuvre. Les deux réalisateurs belges sont des habitués du Festival de Cannes où ils ont déjà reçu plusieurs prix, 2 palmes d’or et 2 mentions spéciales du Jury Œcuménique. Cette année, ils présentent dans la compétition officielle, leur nouveau film 2 jours, 1 nuit.

Une histoire d’aujourd’hui, simple et percutante : Sandra (Marion Cotillard), aidée par son mari Manu (Fabrizio Rongione), n’a qu’un week-end pour aller voir ses collègues et les convaincre de renoncer à leur prime de 1000 euros pour qu’elle puisse garder son travail. Le patron de cette petite entreprise a donné en effet au personnel d’arbitrer cette décision par un vote. Sandra sort juste d’une dépression. Son avenir va se jouer là dans ces quelques heures.

C’est un vrai drame social comme les Dardenne savent si bien le faire. Et si l’histoire est profondément difficile, mettant en jeu tout un tas de mécanismes honteux et faisant ressortir le côté sombre de certains individus, il en ressort malgré tout comme une lumière perçant l’obscurité. L’espérance, la persévérance et la solidarité sont en effet trois ressorts de ce qui se vit là. Mais ce n’est pas fait avec niaiserie ou sentimentalisme excessif. Au contraire, c’est avec brio et authenticité. Une autre grande qualité se situe également dans le fait qu’aucun jugement n’est posé sur aucun personnage. Le respect l’emporte. Pas de bons ou de méchants, mais la réalité humaine avec toutes ses ambigüités. Et à ce propos, la question de la force et de la faiblesse est évoquée avec cette obsession de la performance tant présente dans le monde de l’entreprise. Sandra est la « non performante », celle qui est devenue fragile et qui a perdue confiance en elle, mais qui retrouve progressivement force et courage grâce à la lutte menée avec son mari.

  

Justement enfin, qu’il est agréable d’avoir là donné l’image d’un couple uni, d’une famille solide. Comme je l’évoquais dans mon dernier article sur ce même blog, ce n’est pas souvent le cas dans le cinéma d’aujourd’hui, ni même toujours dans le cinéma des frères belges. Mais l’échec n’est pas une fatalité. Et cette unité, qui n’est pas montrée non plus « à l’eau de rose » (Sandra sort de dépression, leurs rapports amoureux sont en souffrance et le renoncement est tout proche), devient force de survie et d’avancement. Sandra va puiser son courage dans son couple, et longtemps Manu croit en Sandra plus qu’elle ne croit en elle-même.

Il est utile de noter que les frères Dardenne ont parfaitement maitrisé la fin de l’histoire. Pas forcément évident de conclure une telle histoire… Risque évident de tomber dans la facilité (de différentes façons possibles d’ailleurs)… Risque aussi de ne rien dire et de laisser, comme c’est souvent le cas, le spectateur en plan… Alors, en vous préservant d’un spoiler inutile et frustrant, le juste ton est simplement là et le rebondissement nécessaire intervient.

Autant le dire, et vous l’aurez aisément compris à la lecture de ces lignes, ce film est pour moi comme un vrai électrochoc. Il vous transperce et en même temps vous relève. Et même si, comme je l’ai entendu à la sortie de la séance dans la bouche d’un couple âgé à l’accent très « bourgeois », les frère Dardenne peuvent en ennuyer certains avec leurs drames sociaux… 2 jours, 1 nuit est un film nécessaire, utile et bon. Marion Cotillard est de plus admirable tant dans le rôle qu’elle tient que dans la façon de la faire. Rendez-vous maintenant samedi soir pour le palmarès… et sans doute aussi vendredi pour celui du Jury Œcuménique.