Trois ans déjà qu’Aretha Franklin s’en est allée rejoindre le chœur des anges et un peu plus de deux années également que le grand écran nous ait offert l’Amazing Grace de la reine de la soul. Le temps passe… mais sa voix reste pour moi et pour tant de gens une référence incontournable, un repère musical comme nul autre. Comment passer à côté alors de la sortie de Respect où Jennifer Hudson incarne Aretha, un biopic qui retrace son accession au succès jusqu’à ses trente ans ?
Aretha Franklin, fille de Barbara Siggers et du pasteur baptiste Clarence LaVaughn Franklin (surnommé C. L.), devient choriste de gospel dans son enfance à l’église de son père à Detroit. Au fil des années, elle va devenir une chanteuse populaire de soul.
Premier long métrage de Liesl Tommy qui, jusque-là, avait mis en scène plusieurs pièces de théâtre dont Hamlet ou La Leçon de piano, le biopic s’ouvre sur une séquence extrêmement significative. Nous sommes en 1952, Aretha âgée de tout juste 10 ans se réveille. C’est son papa, le révérend C.L. Franklin (Forest Whitaker), qui la tire du lit pour qu’elle se produise dans le salon familial rempli de célébrités du moment comme Dinah Washington (Mary J. Blige dans un caméo bref et efficace), toutes amies du pasteur et habituées de ces afters mémorables dans la maison des Franklin. « Elle n’a que 10 ans, mais sa voix en a 30 », nous dit-on. Interprète née, elle tient le public dans la paume de sa main. Non ce n’était pas un rêve… mais une scène où l’émerveillement est dans chaque regard. Ceux des adultes réunis évidemment devant cette enfant si précoce et éblouissante de talent mais aussi et surtout ceux de la jeune demoiselle, puisque la caméra choisit d’opter principalement pour cet angle de vue. Émerveillée mais aussi éclatante de naturel… c’est ainsi que démarre l’histoire de Melle Franklin.
Skye Dakota Turner, qui incarne la jeune Aretha dans les premières scènes de Respect, prépare le terrain pour Hudson. Dans ces courts instants, elle transmet habilement les joies et les traumatismes qui influenceront la version adulte de son personnage. Et c’est alors qu’apparait Jennifer Hudson, véritablement exceptionnelle dans cette interprétation de la diva. Elle offre l’une des meilleures prestations de sa carrière dans le rôle d’Aretha Franklin et se positionne favorablement pour un Oscar. Elle est tout aussi envoûtante que dans Dreamgirls et contribue à faire de ce film une expérience captivante. Car l’essentiel du caractère poignant de Respect vient de sa performance, et non du scénario. Elle est parfaitement capable de transmettre les performances vocales mais aussi donne une dimension touchante à celle qu’elle connaissait personnellement et admirait.
Et cet aspect du personnage est capital car l’histoire de Franklin comporte une bonne dose de ténèbres – agression sexuelle, violence conjugale, alcoolisme – les fameux démons évoqués dans le film (je préfère personnellement parler de combats, de blessures, de luttes intérieures) et c’est tout à l’honneur de la réalisatrice de résister à la tentation de traiter ces questions avec voyeurisme. C’est bel et bien une forme de pudeur qui l’emporte même si tout est suggéré et facilement perceptible. Respect ne va jamais plus loin qu’une exploration superficielle de la façon dont ces traumatismes ont affecté Franklin. Il peut par contre être donc plus difficile de comprendre certaines choses comme sa relation avec Ted White (Marlon Wayans), ou celle avec son père. Et justement ici, Liesl Tommy choisit un certain angle qui ne parvient pas à retranscrire véritablement la relation si particulière qui unira père et fille. On devra s’en contenter.
Respect restera un film vraiment divertissant et très agréable à suivre. Mais, l’approche linéaire de son histoire la rend très conventionnelle et ne surprend pas, si ce n’est à chaque fois que la musique démarre et que la voix d’Hudson résonne. Car c’est bien lors des scènes exaltantes où Aretha chante que le film s’envole le plus et, heureusement, elles sont nombreuses pour que le public puisse en profiter sur le plan émotionnel.
Pour ce qui est de la totalité de l’histoire, si complexe, extraordinaire et émouvante, d’Aretha, je ne peux que vous recommander d’aller vous plonger dans une bonne biographie. Alors oserais-je ?… Oui, je n’y résiste pas, car il m’a accompagné intérieurement tout au long des 2h25 de visionnage de Respect : Sister Soul – Aretha Franklin, sa voix, sa foi, ses combats aux éditions Ampelos. C’est une évidence.
Merci pour cet article qui donne une bonne idée générale de la tonalité de ce film.
À la décharge de Liesl Tommy, il est assez complexe d’approcher avec plus de profondeur la vie privée de cette grande artiste du XXe siècle. En premier lieu, parce qu’elle-même a su garder une certaine distance professionnelle avec le monde médiatique et le « star-système » de son époque. Mais surtout parce qu’elle porte en elle les ambivalences d’un parcours personnel familial, culturel, spirituel et musical rendant l’exercice d’une bio intériorisée extrêmement ardue et certainement hors de portée de tout biographe classique – à fortiori des hommes, blancs et dont la renommée est à peu près assurée dans leur sphère d’influence.
Hum… cependant Liesl Tommy est une femme noire, d’Afrique du Sud… J’aurais donc abordé la critique sous un autre angle d’attaque, même en restant sévère, pourquoi pas, bien que je ne l’aie pas vu, mais puisque c’est le choix que tu fais : « et si le cinéma sud-africain s’emparait de la cause afro-américaine… »
Du peu que j’ai vu, j’imagine une forme de récupération du personnage d’Aretha Franklin… à quelle fin ? Sans répondre, je mets juste en avant que Liesl Tommy est une cinéaste sud-africaine issue du théâtre, spécialiste dans la mise en lumière du drame conflictuel. L’actrice principale est une excellente chanteuse et actrice, étoile de son pays.
Quelques questions se posent donc à moi : quelle est l’intention de ce film ? Quelle est la politique culturelle de l’ANC ? Quelle est la mission des productions artistiques sud-africaines à l’étranger ? De manière plus générale, quel message l’Afrique du Sud entend explicitement passer au reste du monde, et sur quoi ce pays fonde-t-il son identité ?
Juste rappeler entre autres faits que :
– ce pays est le seul qui a inscrit à sa constitution le principe du pardon !
– ce pays est le seul qui, par exemple, a interdit la vente d’alcool pendant le confinement, pour contenir les violences domestiques – je suppose que ce thème est abordé dans ce film…
– dans ce pays, l’ANC n’est au pouvoir que depuis 1994 ! Avant, la démocratie n’existait pas encore. Avant, les opposants au régime étaient poursuivis et tués dans les forêts, hommes, femmes et enfants… En réalité, seule la génération de nos enfants ont connu l’émancipation !
J’en reste là pour cette piste, chacun se faisant sa propre idée des choses…
Un point à propos de ton dernier paragraphe. Hum… Pas spécialiste des biopics cinéma, mais j’ai lu des bio d’Aretha Franklin, j’en ai gardé des souvenirs très synthétiques :
– le travail fouillé de Mr Mark Bego, dont la biographie des grandes stars américaines controversées est la spécialité et dont on ne peut nier la qualité de l’investigation, mais à qui pourtant on a reproché d’avoir seulement effleuré la vie d’Aretha au point de n’en livrer qu’une forme de discographie détaillée ;
– celui un peu francocentré dans son approche idéologique mais néanmoins libre de M. Sebastian Danchin. Son point de vue de producteur musical indépendant en fait un ouvrage très intéressant. Mais sur les aspects purement biographiques, les deux éditions ne se valent pas : dans la première, sur les aspects purement biographiques, il nous livre l’image d’une star devenue capricieuse, à l’origine victime d’une forme de domination paternelle et du machisme du ghetto. Sentant le vent tourner et le succès d’Aretha monter en puissance, il se rattrape dans la seconde édition, en hissant sa Natural Woman au rang du symbole de l’émancipation sociale de la communauté des femmes noires américaines…
– ton livre semble plutôt approcher l’histoire d’Aretha sous l’angle plus spirituel de la réconciliation entre deux mondes, jusque là disjoints et se blâmant l’un et l’autre : en gros la soul music ne doit plus être pointée comme antagonisme au gospel, mais comme son pendant lunaire, pour dire vite. Et tu nous donnes à entrevoir de quel manière l’église baptiste afro-américaine et le gospel ont pu, du fait de l’ouverture d’esprit du Révérend C.L. Franklin, du charisme artistique de sa fille, de l’investissement de gens comme Cleveland, influencer le monde musical international de manière durable. Les aspects biographiques que tu y mets en avant y sont surtout pour montrer en quoi la posture musicale d’Aretha et sa foi lui ont permis de surmonter ses épreuves personnelles, sur lesquelles tu as eu la sagesse et la pudeur de ne point trop te pencher… Enfin, c’est mon souvenir… C’était réussi, alors pourquoi prendre le risque de laisser juger ton ouvrage à l’aune d’autres bio plus creusées dont c’était plus le but…
Déjà que la vie c’est compliqué, alors la vie des stars…
Pour une critique de critique, voilà ! Sinon pour un encouragement perso je te laisse je conseille ce ce blow-up d’arte spécial Aretha Franklin, https://youtu.be/MSv8hqBF-Ls et je plussoie le choix de la chanson de fin, un de mes leitmotiv, le message qu’elle nous a laissé : How I got over !
Fraternellement !