Changement de climat à Cannes en ce troisième jour de Festival. Mais ne regardez pas vers le ciel, ou votre Miss Météo… c’est sur les écrans que ça se passe ! 

C’est en effet dans une ambiance plus stressante que cette journée commence. Cannes ouvre ses sélections (officielle et « Un certain regard ») à deux films qui nous transportent dans l’univers policier. Enlèvement, suspense, réseau pédophile pour Captive, un film canadien d’Atom Egoyan et l’adaptation d’un Siménon, la chambre bleue, pour le dernier Mathieu Almaric où une liaison adultère se transforme en double meurtres (ou pas…). Deux films rondement menés de façons très différentes et avec des conclusions très opposées.

 

Captives nous plonge au cœur d’une enquête où huit ans après la disparition de Cassandra, quelques indices troublants semblent indiquer qu’elle est toujours vivante. La police, ses parents et Cassandra elle-même, vont essayer d’élucider le mystère de sa disparition. L’histoire mélange alors ces moments de dénouement au récit même de l’histoire et au drame psychologique que vivent les deux parents. On découvre progressivement l’horreur des faits, la perversité innommable des personnes impliquées et les difficultés que rencontrent les enquêteurs.

On se laisse facilement prendre par l’histoire magnifiquement ficelée avec minutie par Atom Egoyan et surtout par le jeu remarquable de Ryan Reynolds. Intéressant, par ailleurs, de retrouver cet ex-super héro des productions hollywoodiennes dans le rôle de ce père de famille totalement laminé par la perte de sa fille, sans aucun supers pouvoirs en l’occurence mais n’abdiquant pourtant jamais. Et pour une fois, apprécions que les histoires ne finissent pas toujours mal (comme c’est désormais si souvent le cas sur les écrans), même si certaines « critiques » le préfèrent néanmoins et ont alors une fâcheuse tendance à conspuer ce qui redonne un peu d’espoir dans ce monde un peu trop souvent sombre.

Pour La chambre bleue, c’est avec l’enquête du juge d’instruction que nous suivons l’affaire : Un homme et une femme s’aiment en secret dans une chambre, se désirent, se veulent, se mordent même. Puis s’échangent quelques mots anodins après l’amour. Du moins l’homme semble le croire. Car aujourd’hui arrêté, face aux questions des gendarmes et du juge d’instruction, Julien cherche les mots. « La vie est différente quand on la vit et quand on l’épluche après-coup ». Que s’est-il passé, de quoi est-il accusé ?

Ce polar à la française (où Poitiers se retrouve plusieurs fois citée) nous présente un homme se retrouvant emprisonné par son histoire, subissant les événements, une sorte de victime consentante (ou coupable ?…), filmé de surcroit au format 1/33, ce qui ne fait qu’ajouter une sensation d’enfermement et d’isolement au déroulement du récit. Une histoire d’amour, de tromperie, de peur où finalement tout reste flou et abstrait et où chacun peut se faire son idée, même si certains indicateurs sont là possibles à décrypter. Un bien joli film parfaitement maitrisé par un Mathieu Almaric toujours aussi habile.

Et puis enfin, j’évoquerai le film autrichien du jour dans la sélection « Un certain regard », Amour fou de Jessica Hausner, une « comédie romantique » librement inspirée du suicide du poète Heinrich von Kleist en 1811. Ce qui peut ressembler à une sorte de farce tragique entre théâtre et cinéma devient une sorte d’essai cinématographique et nous donne l’occasion de philosopher sur le sens de l’amour, de la vie, ou de la mort, de la liberté… et même des impôts.

« On croit vouloir vivre alors qu’en fait on veut mourir » est l’une des répliques cinglantes de ce jeune poète tragique Heinrich qui souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l’amour. Il tente alors de convaincre sa cousine Marie, qui lui est proche, de contrer le destin en déterminant ensemble leur suicide, mais Marie, malgré son insistance, reste sceptique. Heinrich est déprimé par le manque de sensibilité de sa cousine, alors qu’Henriette, une jeune épouse qu’Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable.

Intéressant et original sujet au cœur de ce festival, surtout quand Jessica Hausner explique ce qui l’a motivé à travaillé ce thème : « C’est pour moi paradoxal de penser qu’on peut mourir à deux. On est irrémédiablement seul face à la mort, puisque son essence même est de couper nos liens avec les autres. C’est ce paradoxe qui m’intéressait. » et d’ajouter «  Ce film se veut un essai sur l’ambivalence du sentiment amoureux : on peut se sentir très proche l’un de l’autre à un moment précis et remarquer tout de suite après que c’était un malentendu ; ou encore éprouver des émotions contradictoires pour une personne qu’on n’aime en fait plus depuis longtemps. » La force de ce film réside finalement sans doute dans le fait d’aborder ces questions particulièrement difficiles au travers de l’absurde et de la dérision… mais toujours avec subtilité et élégance.