Alors que débutait vendredi dernier la cinquième édition de CanneSéries, Canal + Série lançait la diffusion de la mini-série finlandaise à suspense de 8 épisodes de 30’ Mister 8 (et disponible en intégralité sur myCANAL), de Teemu Nikki et Jani Poso, qui était gagnante l’année passée du prix de la meilleure série longue et de la meilleure performance pour Pekka Strang, alias Juho, le huitième homme. Une pépite délicieuse façon thriller en noir et blanc, extrêmement audacieuse, avec une intrigue de comédie loufoque et excentrique autour de la polyandrie, c’est-à-dire la polygamie au féminin.
La vie est belle pour Maria. Elle est PDG de l’entreprise familiale et elle a bien assez d’amour dans sa vie. Pas étonnant puisque Maria a sept conjoints ; un homme différent pour chaque jour de la semaine. Mais son organisation bien rôdée s’effondre quand Maria tombe amoureuse de Juho, qui vient d’emménager en ville. Malheureusement, il n’y a pas huit jours dans la semaine.
Avec Mister 8, soyez prêt à être déstabilisé. C’est sans doute une romance d’aujourd’hui qu’aurait pu chanter Fugain, mais aussi fantaisiste et atypique dans un environnement caustique où « un homme et une femme » se transforment en « une femme et de multiples hommes ». Les hommes y sont ici les marionnettes d’une Krista Kosonen alias Maria, tout bonnement lumineuse. Maria est une obsédée du contrôle, qui veut avoir le compagnon le plus parfait. Elle finit par créer un « monstre de Frankenstein », qui a les meilleures parties de sept hommes différents. Elle a peur de l’amour, même si elle aimerait recevoir plus d’amour de son père.
En plus de sa narration surprenante pleine de situations improbables, Mister 8 assure dans tous les domaines. La performance de chaque membre du casting est de premier ordre, Strang et Kosonen étant clairement les points forts. Le montage de Kerttu Jaatinen, Nikki et Vilja Harjamäki est excellent et présente notamment une technique inédite consistant à réaliser une scène de sexe sans montrer la moindre nudité ou l’acte en lui-même mais tout en conservant l’érotisme du processus. La photo léchée à souhait et la bande son aux contours électro apportent une touche d’élégance à cette histoire au charme nordique assez indéfinissable.
Alors, avant qu’elle ne soit adaptée par un studio ou une plateforme de streaming nord-américaine, comme c’est souvent aujourd’hui le cas avec de si belles propositions, assurez-vous de la voir dans sa forme originale qui restera forcément bien supérieure !
Depuis quelques mois sur la plateforme Disney +, « Summer of Soul (… Ou, quand la révolution ne pouvait pas être télévisée) » est un film tout à fait exceptionnel à savourer urgemment… comme il se doit.
Le qualificatif d’exceptionnel n’est absolument pas extravagant. D’abord parce que sa sortie est un quasi miracle. Quarante heures de rush qui ont pris la poussière durant cinquante ans dans un sous-sol, jusqu’à ce que le batteur du groupe de hip-hop The Roots, Ahmir « Questlove » Thompson, n’en découvre l’existence et décide de les partager avec le monde entier en réalisant ce documentaire, qui se trouve être, qui plus est, son premier. L’autre raison se trouve sans doute dans la reconnaissance de ce chef d’œuvre. Il vient tout bonnement d’être récompensé par l’Oscar du Meilleur Documentaire après avoir déjà remporté le Grand Prix du Jury et le Prix du Public lors de sa première au Festival du film de Sundance 2021 et le prix dans la catégorie Meilleur documentaire aux Independent Spirit Awards 2022. Le film est d’ailleurs également en lice pour le Meilleur film musical aux prochains Grammy Awards.
Summer of Soul est centré sur le Harlem Cultural Festival de 1969, qui s’est déroulé au Mount Morris Park, sous la direction du maire libéral de New York John Lindsay et sous la protection des Black Panthers, en parallèle du festival de Woodstock et dont quasiment personne n’a jamais entendu parler. Le festival avait pourtant réuni 300.000 personnes pour une série de concerts donnés par des artistes majeurs comme Stevie Wonder, Mahalia Jackson, Nina Simone, BB King, Edwin Hawkins, the Staples Singers, Sly and the Family Stone ou Gladys Knight & the Pips. Le travail remarquable de Questlove permet de réhabiliter l’évènement et par la même occasion nous livrer des instants uniques de musique tout en replaçant ces instants magiques dans leur contexte de bouillonnement politique, social et culturel pour la communauté afro-américaine. Questlove ponctue son film d’images d’archives pertinentes, celles de manifestations pour les droits civiques et de témoignages de festivaliers recueillis à l’époque pour CBS Evening News. Il fait également réagir aujourd’hui des artistes et des participants.
Mais replaçons le film dans son contexte. Les années précédentes avaient vu l’assassinat de Malcolm X, de Martin Luther King Jr. et des Kennedy ; le chômage, la pauvreté et la criminalité marquaient Harlem ; Nixon était à la Maison Blanche ; et le procès des 8 de Chicago était imminent. Les droits civiques et le « black power » étaient les forces motrices de la tension culturelle de l’époque et, comme le révèle l’une des personnes interrogées, le simple fait de se battre pour utiliser le mot « black » dans les journaux, par opposition au terme « negro », était une bataille en soi. Cette volonté de retrouver une véritable identité est un élément que Questlove maintient au premier plan de Summer of Soul, qu’il s’agisse de Nina Simone acceptant d’être décrite comme « une princesse africaine » alors qu’elle chantait un air inspiré de la production théâtrale To Be Young, Gifted and Black, ou avec la chanteuse Marilyn McCoo du célèbre groupe 5th Dimension, dont la chanson teinté de pop Aquarius, a donné lieu à des critiques selon lesquelles le groupe « n’était pas assez noir », ce qu’elle a immédiatement écarté en se produisant devant la foule de Harlem, fière de reconquérir son identité dans ce processus. « Il ne s’agissait pas seulement de musique ; nous voulions le progrès », déclare Gladys Knight. Summer of Soul fait également allusion à la façon dont les vies et l’histoire des Noirs ont toujours été négligées et opprimées, en opposant des images de l’alunissage (qui se déroule pendant le festival) à des images de Harlem, laissé dans un état de ruine, avec des bâtiments en ruine et de graves problèmes de drogue.
Un documentaire qui peut se regarder comme situé entre narration et thérapie. Il raconte en effet l’histoire de ce festival hors normes, largement oublié par le temps ou dont la place dans l’histoire a été activement niée, mais par là-même l’histoire de l’Amérique de 69, celle aussi des participants qui n’ont jamais pu oublier cette expérience, celle également de musiciens qui n’avaient jamais vu autant de visages noirs rassemblés auparavant en un même lieu, et enfin celle de la façon dont les genres musicaux s’intègrent dans la mosaïque plus large de l’art afro-américain. Les artistes ont joué un éventail de genres musicaux allant du gospel au blues, du jazz à la Motown, du R&B au funk en passant par des influences latino ou afro. Dans certains des meilleurs moments du film, le réalisateur se concentre sur les visages, et pas seulement sur ceux des artistes emblématiques du festival. Une scène fabuleuse montre la légende Mahalia Jackson chantant Take My Hand Precious Lord, quelques instants après que le révérend Jesse Jackson n’ait dit à la foule que King avait fait demander cette chanson, dans ses derniers mots, au saxophoniste Ben Branch, juste avant qu’une balle ne le fasse tomber à terre ce 4 avril 1968. À ce moment-là, le film montre le visage d’un participant. C’est un homme qui regarde avec un sourire incrédule Mme Jackson, rejointe par Mavis Staples, se déchaîner au micro dans une performance vocale et physique incroyable. L’homme est ému et pourtant totalement absorbé, et nous ne pouvons qu’imaginer ce qu’il ressent à cet instant. Les interprétations sont sublimes et essentielles, même les chansons les plus connues dégagent une énergie saisissante qui fait dresser les poils, et sont en plus rehaussées par le fait que Questlove présente chaque numéro musical comme un hymne à une partie de l’histoire et de l’expérience des Noirs. Les Edwin Hawkins Singers chantant Oh Happy Day, Gladys Knight and the Pips chantant Heard It Through The Grapevine, et The 5th Dimension chantant Aquarius/Let The Sunshine In deviennent tous des hymnes à la joie, à la liberté et au changement.
Le message est vital et le film est superbe regorgeant d’élégance. Merci Questlove !
Les véritables histoires d’amour sont finalement assez rares de nos jours sur le grand et le petit écran. S’il y a un couple dans une histoire, il est généralement entouré d’une famille ou plongé ensemble dans une aventure qui devient le cœur véritable du récit. C’est pourquoi Normal People, à voir sur la plateforme de France TV ou, actuellement par série de quatre, les lundis soir sur France 5, est si unique et bienvenue. Basée sur le best-seller de Sally Rooney, elle raconte l’histoire amoureuse et tortueuse de deux adolescents irlandais du lycée à la fin de l’université. Non seulement le scénario se concentre entièrement sur leur relation, mais il la rapporte à l’écran avec une étonnante sincérité, nous plongeant délicatement dans leur intimité. La sobriété de l’ensemble renforce certainement sa beauté. C’est une œuvre étonnante, touchante et captivante.
La mini-série se compose de 12 épisodes d’une demi-heure. Chaque épisode est un chapitre dramatique de la relation entre Marianne Sheridan (Daisy Edgar-Jones) et Connell Waldron (Paul Mescal).
Ce qui rend la série si fascinante, c’est qu’elle se concentre entièrement sur eux deux. Il n’y a pas d’intrigues secondaires, juste l’étude de ces deux personnes et de leurs vies complexes. Tous les codes habituels des séries sont même ici malmenés, voire totalement oubliés. Nul besoin de Cliffhanger pour vous donner envie de revenir. Peu d’action globalement, aucun changement de rythmes… l’histoire s’écoule dans la douceur, même quand on se fait du mal, ou quand ils ne se comprennent plus… Car si l’amour est omniprésent entre Connell et Marianne, ces deux jeunes millennials, Normal People raconte pourtant aussi leur capacité extraordinaire à s’infliger des blessures.
La série a fidèlement adapté la prose remarquable de l’irlandaise Sally Rooney, et l’autrice elle-même est d’ailleurs l’un des scénaristes de la mini-série, avec Alice Birch et Mark O’Rowe. Lenny Abrahamson (Room, The Little Stranger) a réalisé les six premiers épisodes, tandis que la non moins talentueuse Hettie McDonald (Beautiful Thing, Doctor Who, Howards End, Fortitude) a dirigé les six derniers. La réalisation touche à la perfection, les dialogues sont d’une incroyable justesse, la photographie de Suzie Lavelle et Kate McCullough est exquise et sophistiquée, la BO est magnifique (et vous fera découvrir d’ailleurs quelques talents de la pop-folk anglo-saxonne) et, par-dessus tout, la performance des interprètes est un pur bonheur : en sommes, tout est réussi dans Normal People.
À propos du duo d’acteurs, il est clair qu’une histoire d’amour, quelle que soit la qualité de l’écriture ou de la production, se résume à la qualité de la relation entre les deux protagonistes, et l’alchimie justement entre Paul Mescal et Daisy Edgar-Jones est tout simplement sublime. Ils sont particulièrement doués pour rendre les petits moments aussi vivants que les grands, comme lorsqu’ils dégustent ensemble des glaces ou se regardent s’endormir dans des décors séparés via leurs ordinateurs portables. On ne peut pas non plus occulter la dizaine de scènes de sexe au fil des douze épisodes, ce qui conduit la série à ne pas être conseillée à un public trop jeune. MAIS, en même temps, rarement le désir, le plaisir et la sexualité n’ont été aussi bien abordés et filmés. Sans doute parce que l’équilibre fragile de ces instants est autant montré que leur beauté. Il y règne un naturel et une tendresse, immensément rares.
En restant au plus proche de son couple, Normal People élimine tout ce qui est superflu. La mini-série nous faire suivre ce couple fascinant dans son extraordinaire voyage vers la découverte de soi, de l’amitié et de l’amour, sans niaiserie et avec une recherche constante d’authenticité. C’est une réussite absolument remarquable !
Ridley Road, à voir depuis le 7 février sur Canal + et en intégralité sur MyCanal, met en lumière un moment fascinant de l’histoire, en racontant l’histoire d’une organisation juive clandestine qui a lutté contre la montée du nazisme dans les années 1960. Une histoire sans doute dérangeante mais extrêmement pertinente qui permet de nous rappeler le danger d’une montée des extrêmes d’aujourd’hui un peu près partout dans le monde. Encore une série de grande qualité émanant de la BBC…
En 1962, Vivien (Agnes O’Casey), une jeune coiffeuse juive de la banlieue de Manchester, quitte tout pour partir à Londres à la recherche de son petit ami disparu, Jack Morris (Tom Varey). Par conviction et par amour, confrontée à la montée du mouvement fasciste en Grande-Bretagne, la jeune femme épouse la cause des activistes antinazis.
Une chambre ensoleillée dans une maison de campagne du Kent. Une adorable petite tignasse aide une jeune femme blonde à faire le lit. Ils sont rejoints par l’homme élégant de la maison. Ils se rassemblent devant la fenêtre et font un salut nazi en souriant. C’est ainsi que commence Ridley Road, l’adaptation en quatre épisodes de 52 minute par Sarah Solemani du roman éponyme de Jo Bloom, paru en 2014. C’est une ouverture saisissante, d’autant plus que l’histoire qui va se dérouler, nous dit-on, est inspirée de faits réels. Certains téléspectateurs pourraient penser que les événements décrits dans l’histoire sont trop invraisemblables pour être vrais. Pourtant, Ridley Road est bien basé sur le témoignage de personnes réelles qui ont mis leur vie et leur sécurité en danger face à la menace du mouvement néonazi national-socialiste britannique. Car, dans l’Angleterre des années 60, parallèlement à ce que l’on appellera le « Swinging London » pour rendre compte de la vitalité culturelle de Londres dans ces années, devenue une capitale de la culture pop et de la mode, une forte montée d’un néofascisme exalté a bel et bien eu lieu, lorsque les lambeaux lugubres de l’Union Movement d’Oswald Mosley, et le British National party qui deviendra le National Front, ont été complétés par le National Socialist Movement dirigé par un homme appelé Colin Jordan. C’est lui, cet homme élégant, interprété par Rory Kinnear, que nous voyons dans Ridley Road. Ce nom, c’est celui d’une rue du nord-est de Londres dans un quartier qui était autrefois principalement habité par la communauté juive (et abrite encore aujourd’hui une communauté juive orthodoxe). Elle abritait le quartier général du groupe juif connu sous l’appellation Groupe 62, qui a mené une action offensive militante contre le NSM. Leur confrontation la plus célèbre a eu lieu à Trafalgar Square en 1962, lorsque Jordan – protégé par la loi sur la liberté d’expression – a organisé un rassemblement antisémite au cours duquel une émeute a éclaté entre les participants et les manifestants. L’histoire racontée par Ridley Road se déroule du point de vue de cette femme blonde que nous apercevons au début du premier épisode, la fictive Vivien Epstein.
La série est soutenue par les performances solides de son talentueux casting, composé de noms connus comme Rory Kinnear, Eddie Marsan, Samantha Spiro ou Rita Tushingham, mais aussi de nouveaux venus. C’est d’ailleurs justement un coup de maître d’avoir choisi Agnes O’Casey pour porter cette mini-série sur ses épaules. À seulement 25 ans, elle se retrouve là dans le premier rôle de sa carrière, pour incarner Vivien, cette gentille fille juive de Manchester dont l’évolution vers l’antifascisme est décrite de manière assez incroyable. Agnès tient son rôle principal, décrivant fidèlement la vulnérabilité et la force de son personnage. N’hésitant pas à utiliser son regard innocent et sa beauté pour les amadouer, Vivien est pleine de ressources et n’hésite pas à prendre des risques pour entrer de plus en plus dans la vie de Colin Jordan, pour s’attirer ses bonnes grâces et s’immiscer dans les affaires du parti. Transformée en véritable espionne, elle sera prête à tout pour mettre la main sur une valise de documents susceptibles de mettre hors d’état de nuire Colin Jordan et sa femme, Françoise Dior, nièce du couturier (Elle avait rompu avec le royalisme, et fondé la section française de la World Union of National Socialists (WUNS), une association néonazie internationale). Le rythme imposé par la réalisatrice Lisa Mulcahy est haletant avec des rebondissements réguliers, les dialogues sont tout à fait crédibles, et même la partition, signée Ben Onono, est excellente.
Ridley Road, à la façon d’un thriller sentimental, parvient à capturer admirablement la peur qu’éprouvaient les Juifs dans cette période à l’idée d’être la cible des antisémites et des fascistes, une situation à laquelle beaucoup peuvent hélas encore s’identifier de nos jours. Il est en effet impossible de ne pas établir de parallèles entre une partie de la rhétorique que nous entendons dans la série et les tensions qui montent encore aujourd’hui avec le populisme, et notamment pour nous en France dans cette période pré-électorale. Une raison supplémentaire pour ne pas manquer cette série.
Jeudi dernier, Arte diffusait les trois premiers épisodes de Sacha, une mini-série policière helvétique, et les trois suivants le seront jeudi prochain. Mais tous sont d’ores et déjà entièrement visible sur Arte.tv. Une œuvre coup de poing qui aborde nombre d’enjeux sociétaux et politiques, de plus remarquablement interprétée, avec notamment la comédienne Sophie Broustal dans le rôle principal, qui donne une dimension émotionnelle et juste à son personnage, tout à fait exceptionnelle.
Anne Dupraz, procureure respectée et redoutée, est en garde à vue pour avoir tiré sur un homme, à présent entre la vie et la mort. Elle reconnaît sa culpabilité mais semble incapable d’expliquer son geste. La situation est exceptionnelle. La plupart des procureurs connaissant bien Anne, on fait appel à Carla Meier, originaire de Suisse-allemande, arrivée récemment à Genève. L’affaire est d’autant plus trouble que l’homme sur lequel Anne a tiré était une personnalité interlope fréquentant le monde de la nuit et de la prostitution. Pour comprendre comment Anne n’a pas hésité à sacrifier sa carrière et sa liberté pour tirer sur cet homme, Carla Meier devra dénouer les fils du passé. En interrogeant tous les protagonistes de cette affaire, le temps d’une garde à vue, Carla et ses collègues vont peu à peu percer à jour le secret qu’Anne aurait préféré taire à jamais. C’est son histoire que la série révèlera. L’histoire d’une libération, celle de la parole.
Sacha, c’est six épisodes pour raconter un destin de femme et chercher à comprendre ses motivations face à son passé qui ressurgit soudainement et violemment. En adaptant l’autobiographie de Nicole Castioni, ancienne juge assesseur au Tribunal criminel de Genève et ancienne députée au Grand Conseil genevois, qui a d’ailleurs participé à l’écriture du scénario, la réalisatrice Léa Fazer donne une intensité dramatique de tous les instants à ses épisodes avec un final bouleversant. Dans Le Soleil au bout de la nuit, paru en 1998, Nicole Castioni y évoquait, sans filtre, les abus sexuels subis pendant son enfance et ses années de prostitution forcée à Paris. Dans la série, les choses se passent quelque peu différemment en prenant un caractère de thriller psychologique, mais cette approche donne l’occasion d’évoquer plus largement des faits de société comme rarement : violences sexuelles, violences psychologiques, incestes, maltraitances conjugales, traite des êtres humains par de véritables mafias organisées. Pour l’actrice Sophie Broustal il y a là « l’espoir que ce genre de récit permette de faire évoluer les choses, de provoquer des débats ou des réflexions, de lever des tabous, de libérer la parole ».
L’histoire nous est racontée au travers d’interrogatoires qui permettent des flash-backs au fil des épisodes, remontant ainsi le passé de cette femme qui semble refuser d’expliquer son geste aux enquêteurs, ainsi qu’à sa fille. En parallèle l’enquête progresse, par la police tout d’abord sur le terrain évidemment mais aussi par la protagoniste qui devra fouiller dans ses souvenirs traumatiques liés à sa prostitution, et à cet homme qu’elle a abattu. La mise en scène est franchement impeccable avec de jolies idées comme le choix de personnifier les Anne de son passé et de les faire échanger avec celle qu’elle est aujourd’hui. Pas de lourdeurs, ou de pathos, mais un juste équilibre entre le suspense de l’enquête et la tragédie humaine racontée. Le tout porté par des comédiens qui font parfaitement le job : D’abord bien sûr Sophie Broustal, qui illumine l’écran, mais aussi par exemple les deux procureurs adjoints chargés du dossier, les inspecteurs, et la famille d’Anne.
Arte nous prouve encore ici sa grande qualité de programmation en nous offrant une série de qualité divertissante certes, mais surtout utile et porteuse de sens.
La nouvelle mini-série documentaire en quatre parties du réalisateur haïtien Raoul Peck à découvrir sur Arte et déjà disponibles sur Arte.tv et le sera jusqu’au 08 avril 2022, Exterminez toutes ces brutes, est une véritable œuvre au sens élégant du terme. Une épopée fulgurante qui entraîne les spectateurs dans un voyage de plusieurs milliers d’années – jusqu’à l’aube de l’humanité – à travers les pires pulsions de l’humanité en matière de suprématie raciale et de barbarie coloniale.
La série suit la colonisation et les multiples génocides, ainsi que leurs conséquences, reliées à l’impérialisme et au suprémacisme blanc : « Civilisation, colonisation, extermination. » Dans le premier épisode de la série, La troublante conviction de l’ignorance, le cinéaste Raoul Peck se propose d’éclairer les courants entrelacés de haine et de sectarisme qui traversent l’histoire. Dans le deuxième épisode, P*** de Christophe Colomb, Peck revisite les histoires de Christophe Colomb, de l’Alamo et de la Piste des larmes du point de vue indigène, montrant comment l’histoire « officielle » est façonnée par ceux qui sont au pouvoir, et solidifiée par le mythe et la culture populaire. Dans le troisième volet de la série, Tuer à distance, Peck revient sur les migrations humaines, le commerce et l’armement, et montre comment les Européens ont utilisé l’industrie de l’acier pour mener la guerre toujours plus loin. Ensuite, il explore le cycle sans fin de la militarisation à travers les siècles – des efforts de George Washington pour relancer la fabrication d’armes américaines, à la doctrine Monroe, et enfin, aux horreurs des bombardements de civils à Hiroshima et Nagasaki. Dans le final de la série, Les belles couleurs du fascisme, Peck explore l’impossibilité pour les États-Unis de concilier leur véritable histoire avec ses idéaux de liberté et de démocratie, mettant en lumière la lutte actuelle pour la représentation indigène et l’héritage de l’esclavage face au racisme institutionnalisé. Peck relie la résurgence moderne des nationalismes, à l’esclavage, aux génocides en Amérique, au colonialisme et à la Shoah.
Écrit, réalisé et raconté par Raoul Peck, le documentariste et cinéaste qui nous a déjà donné l’exceptionnel Je ne suis pas votre Nègre (2016) autour de l’œuvre de l’écrivain américain James Baldwyn où il était question de racisme et de lutte pour les droits civiques, sa nouvelle contribution commente les travaux de feu Sven Lindqvist, Michel-Rolph Trouillot, Harold Zinn et Roxanne Dunbar-Ortiz. Trois ans de travail gigantesque pour parvenir à nous offrir ces quatre documentaires qui font véritablement œuvre d’histoire. À l’aide de ces chercheurs et de leurs écrits, il nous emmène dans un voyage historique sur la colonisation européenne, l’extermination des populations indigènes, des Noirs, des Juifs et des personnes de couleur, et la montée du capitalisme qui en découle. Il utilise également Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, d’où est tiré le titre du film, pour illustrer le complexe de supériorité que les dirigeants blancs ont imposé au monde moderne.
Peck puise dans le cinéma, la peinture, la photographie, la musique, les images d’archives, et y ajoute des dioramas, des animations, des aides graphiques, des détournements anachroniques et des interprétations dramatiques. Il déchire, en quelque sorte, l’histoire de façon féroce et violente, mais avec la précision et la délicatesse d’un chirurgien avec son scalpel… Peck fait lui-même la narration d’une voix rauque et tendue récitant les maux du génocide commis par l’homme contre l’homme – des monstres sous des masques humains. En quatre heures, cette production est bien plus qu’un simple film. Exterminez toutes ces brutesest plutôt un projet d’une immense portée et d’une puissante intimité. C’est une œuvre qui vibre à son propre rythme expérimental, richement académique ou douloureusement autobiographique, dans la même mesure.
Peck suggère très simplement que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Cette pensée n’est pas nouvelle, bien sûr. Mais à partir de là, il dissèque l’histoire et l’expérience du pillage des terres et de leurs habitants par la caste européenne. Peck propose de nous emmener à travers les fissures de l’histoire que l’art a trop souvent ignorées, mal interprétées, sur lesquelles on a menti, ou que l’on a aisément transformées. Au-delà de sa narration documentaire, Peck fait appel à l’acteur Josh Hartnett dans les quatre épisodes pour incarner un être (ou plusieurs êtres ?) qui semble se déplacer dans le temps et dans l’espace, et représenter le colonisateur blanc. Les cinéphiles auront également une mine d’images à consommer, de la séquence de l’homme préhistorique dans la comédie musicale On the Town, en passant par Les Aventuriers de l’arche perdue, Shoah de Lanzmann, Jurassic Park III, Le Magicien d’Oz, Le Triomphe de la volonté (film de propagande nazie tourné en noir et blanc par Leni Riefenstahl et sorti en 1935) ou encore les propres œuvres de Peck. L’un de ses moments les plus mémorables survient très tôt, lorsque le son des discours d’investiture du président américain recouvre des images de champs de coton. Des récits graphiques et détaillés de la violence infligée aux Amérindiens sont mis en évidence par l’histoire de Geronimo, un homme qui a défié les colonisateurs américains et qui deviendra étonnamment, 150 ans plus tard le nom de code de l’opération qui a permis d’éliminer Oussama Ben Laden, en mai 2011.
Exterminez toutes ces brutes est une œuvre fascinante et sans fin. On pourrait dire que son message n’est guère nouveau. Mais ce que Raoul Peck en a fait est extraordinaire. Il y a de l’esprit, du style, de la grâce et des émotions qui en jaillissent. C’est évidemment désordonné et peut-être parfois alambiqué, mais c’est à l’image de l’histoire qui l’est aussi. Voici une œuvre immense, essentielle… à voir et revoir !
The place, Billie, Drunk, Michel-Ange… Toute l’actualité ciné avec Jean-Luc Gadreau, journaliste et blogueur.
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