Pour cette deuxième journée de Festival, deux films totalement différents, mais un point commun : deux histoires de vies singulières. Mr Turner en compétition officielle d’un côté et Party Girl de l’autre, ouvrant celle d’Un Certain Regard.

Et commençons précisément par l’ouverture de cette sélection qui réserve toujours de si jolies surprises. Cette année, le choix de présenter un premier film pour l’événement était osé… mais en même temps, le buzz qui a précédé lui offrait une jolie tribune. Et les festivaliers étaient inévitablement impatients de le voir. Party Girl est réalisé par un trio de cinéastes français : Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis. En 2008, leur court-métrage Forbach avait déjà été primé à Cannes. Cinq ans plus tard, les réalisateurs ont à nouveau choisi la ville de Lorraine pour être au cœur de leur premier long métrage.

Ce drame social a la particularité de jouer entre fiction et réalité, tant par l’histoire elle-même (l’histoire d’Angélique Litzenburger, la mère de Samuel Theis) que par les acteurs, pour la plupart amateurs et même membres des familles des réalisateurs (Angélique jouant ainsi son propre rôle). Angélique, entraîneuse dans un bar de nuit obscur, aime la fête et les hommes mais, devenue la doyenne, se sent en fin de course. Sur un coup de tête, elle accepte d’épouser Michel, l’un de ses plus fidèles clients. L’occasion de prendre sa retraite à plus de soixante ans. La voilà donc en pleins préparatifs de son mariage, qui lui permettra de réunir ses quatre enfants autour d’elle dont sa jeune fille placée en famille d’accueil. Mais va-t-elle réussir à aimer cet homme qu’elle connaît peu ?

Si tout était réuni pour nous propulser dans un énième épisode de l’émission de TV  franco-belge StripTease (et certains passages nous la rappellent fortement quand même), les trois co-réalisateurs ont su aller plus loin et nous livrer là une vraie histoire de femme, et même plus encore, une véritable histoire familiale. Beaucoup d’émotions se mêlent à la rudesse des lieux et des évènements. Les personnages deviennent vite attachants et on se met à espérer à une vie nouvelle et meilleure pour cette femme qui semble libre mais qui ne l’est pas vraiment. Une analogie intéressante avec le film d’hier, Grace (2 univers pourtant totalement opposés), peut être envisagée avec l’utilisation d’une expression dans les deux longs métrages : le conte de fée. D’un côté un conte difficile à vivre pour Grace mais réel et la menant tout de même à se déterminer pour un choix et de le mener jusqu’au bout… de l’autre un conte qui semble se présenter à Angélique mais qui, malgré son choix initial, manquera d’abnégation pour lui donner la force de le nourrir et de devenir pleinement ce qu’il aurait pu être.

Toujours des choix à faire… mais jusqu’où, comment et avec quelle force ?…

Et puis donc, premier film de la journée, le nouveau Mike Leigh qui évoque les dernières années de l’existence du peintre britannique, J.M.W Turner (1775-1851). Artiste reconnu, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts, il vit entouré de son père qui est aussi son assistant et de sa dévouée gouvernante. Il fréquente l’aristocratie, visite les bordels et nourrit son inspiration par ses nombreux voyages. La renommée dont il jouit ne lui épargne pas toutefois les éventuelles railleries du public ou les sarcasmes de l’establishment. A la mort de son père, profondément affecté, Turner s’isole. Sa vie change cependant quand il rencontre Mrs Booth, propriétaire d’une pension de famille en bord de mer.

Cette fois ci (ouf), on peut semble-t-il parler d’un biopic, en tout cas pour la partie finale de la vie de peintre de génie, sans que personne ne s’offusque. En faisant de la peinture le cœur de l’histoire, Mike Leigh va encore plus loin en misant sur une photo magnifique. Paysages, personnages, situations sont empreints de force et de beauté (parfois invisible pourtant au premier regard… mais, comme le rappelle Mrs Booth, la beauté n’est pas toujours qu’extérieure). L’histoire est belle, les personnages atypiques et parfois très drôles ou touchants (en particulier la dévouée Hannah jouée par Dorothy Atkinson). Tout est réuni pour vivre là un magnifique moment de cinéma qui nous transporte, nous raconte une vie, nous parle d’un temps… Bon, à propos de temps, je ne peux m’empêcher de dire ce que beaucoup dirent tout bas : Mr Leigh pourquoi ne pas l’avoir fait juste un plus court ?!… 

A noter enfin la remarquable performance (et ses extraordinaires grognements) de Timothy Spall (dans le rôle de Turner) qui pourrait bien lui valoir le prix d’interprétation masculine en fin de Festival, ce qui ne me déplairait aucunement.